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sur 3499 notes
Ce magnifique roman confirme l'exceptionnelle qualité du regard de Nicolas Mathieu. Dans la lignée de Leurs enfants après eux, l'auteur laboure ses invariants avec une acuité éclatante de justesse : le temps qui passe, l'incandescence de l'adolescence, les complexes de classe et notre rapport à la réussite sociale, toujours avec un ancrage géographique fort dans le Grand Est.

Connemara est un roman politique. Il ne dessine pas d'horizon à atteindre mais il saisit les fractures sociales béantes de notre époque en interrogeant sur la construction d'une identité d'aujourd'hui à travers ces deux personnages principaux, deux quadragénaires. Dans le camp des gagnants de la mondialisation, Hélène a coché toutes les cases du mètre étalon de la réussite professionnelle et sociale : mariée, deux enfants, cadre supérieure dans une société de conseil, maison d'architecte and co. Mais elle a fait un burn-out. Elle, le transfuge de classe qui s'était acharnée à conquérir sa réussite et à fuir aussi bien sa famille et sa région, est revenue. Christophe n'est jamais parti. Lui s'est laissé porté. Ex-star de l'équipe locale de hockey, ex-obsession des lycéennes, il est de ceux qui n'ont pas profité, désormais représentant en nourriture canine, divorcé, vivant seul dans un triste pavillon à carrelage avec son père et son fils.

Ces deux personnages sont totalement incarnés et existent au-delà des emblèmes sociétaux qu'ils représentent. Ils se déploient, se rencontrent dans un monde vivant. Jamais on ne perd leur grain de peau, on est toujours à fleur de peau de leur existence, de leur rencontre, puis de leur histoire d'amour. le récit prend son temps, refusant l'allusif ou l'elliptique. On plonge dans les détails de ces moments de vie avant de basculer dans de superbes plans séquences et des flash-backs époustouflants sur l'adolescence comme si on aurait voulu rendre éternel ce qu'on fut, un seul instant.

« L'adolescence est un assassinat prémédité de longue date et le cadavre de leur famille telle qu'elle fut gît déjà sur le bord du chemin. Il faut désormais réinventer des rôles, admettre des distances nouvelles, composer avec les monstruosités et les ruades. le corps est encore chaud. Il tressaille. Mais ce qui existait, l'enfance et ses tendresses évidentes, le règne indiscuté des adultes et la gamine pile au centre, le cocon et la ouate, les vacances à La Grande-Motte et les dimanches entre soi, tout cela vient de crever. On n'y reviendra plus. 
Alors Mireille regarde sa fille ( Hélène ). Elle l'envie, lui en veut, elle voudrait la toucher. L'amour au-dedans lui fait mal. Elle pense petite idiote, mon coeur, grande saucisse, ma chérie, pour qui tu te prends, ne t'en va pas. Elle est si fière. Elle a tellement de peine à lâcher. »

Nicolas Mathieu est l'auteur français qui parle le mieux de cette période
Hélène et Christophe veulent une deuxième chance, ils veulent suspendre le temps en rejouant quelque chose de leur adolescence, cette période indépassable de leur vie. Et c'est déchirant de les voir retrouver une énergie à la fois candide et désillusionnée jusqu'à un épilogue terriblement mélancolique ( très LaLaLand ), attendu mais qu'on soupirait de le voir dévier.

Et puis, il y a ses plans larges, des passages quasi analytiques qui règlent leur compte au néo-libéralisme contemporain. Ce n'est évidemment pas un hasard si le roman se déroule en 2017, à un moment de bascule, à la veille de l'ère macroniste. Avec une sens réjouissant du sarcasme et de la satire, très proche d'une comédie anglaise à la Jonathan Coe, Nicolas Mathieu réjouit en dézinguant le volapuk de l'entreprise, cette novlangue ( plus très nov' d'ailleurs ) managériale révoltante qui s'infiltre partout sans qu'on s'en rende compte. L'humour est féroce pour décrire les menées de ce cabinet de conseil pour collectivités territoriales déroutées par la réforme refondant les régions.

Remarquable roman qui nous interroge profondément sur ce qui vaut le coup dans la vie, sur ce qui malgré nous nous imprègne, nous habite, nous soumet ou nous révolte, au-delà des lézardes de la vie sans pour autant briser notre quête de sens et d'amour.



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Nicolas Mathieu n'est pas l'écrivain de la désillusion. Si la frustration est au coeur de ses romans, un vent d'espérance n'y souffle pas moins pour autant.

Avec Connemara, c'est à l'aube du mitan de la vie qu'il s'attele. Hélène approche des quarante ans, deux filles, un beau mariage et un poste à responsabilité. L'heure des bilans pour celle à qui tout semble avoir réussi. C'est sans compter ses humeurs noires qui la harcèlent et prennent source dans sa propre terre de désirs inassouvis.

Jusqu'au jour où le hasard mettra sur sa route une ancienne gloire de son lycée que toutes les filles convoitaient.

Christophe est en instance de divorce, et ne voit pas assez son fils. Il est représentant en nourriture canine, et organise son temps en fonction d'objectifs inatteignables. L'heure des comptes, pour celui qui semble avoir tout raté. Il a pourtant la ferme intention de reprendre son activité de hockeyeur, comme du temps où il en était star locale.

"Il fallait vivre pourtant et espérer, malgré le compte à rebours et les premiers cheveux blancs. Des jours meilleurs viendraient. On le lui avait promis." Page 52.

Quelles raisons le poussent à vouloir revivre ses instants de folle exaltation et d'espoirs sans fin ? Peut-être les mêmes que celles qui ont conduit Nicolas Mathieu à nous offrir ce nouveau roman à la frontière entre le générationnel et l'universel. Une écriture à fleur de peau, alliée à un souci constant du détail, comme un "chassé-croisé des espérances et de la peur" inspiré de sociologie, de psychologie et d'une putain de lucidité qui fait du bien !
Start-up nation balbutiante, exploitation des classes populaires, vacuité des valeurs, repli sur soi, nous sommes en 2017. C'est dans cette ambiance crépusculaire - sur laquelle le soleil ne s'est toujours pas levé - que les Français vont élire un président dont ils ne veulent pas.
Reste la rage de vivre, avec fougue, de celle que l'on retouve dans ces hymnes populaires qui traversent les générations et des classes entières, car "on dit que la vie est une folie, et que la folie ça se danse".
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Quatre ans après avoir remporté le prix Goncourt pour « Leurs enfants après eux », Nicolas Mathieu invite à suivre deux quadragénaires qui font le bilan de leurs vies…

Née dans un petit bled de l'est de la France, Hélène semble pourtant avoir réussie sa vie. Parvenue à "s'extraire" de son milieu grâce à de brillantes études, elle a un poste à responsabilités très bien rémunéré, un mari que beaucoup lui envient et deux filles charmantes. Alors certes, il y a eu ce petit burn-out qui l'a incitée à quitter Paris pour retourner dans une région natale plus reposante, mais sur l'échelle de la réussite sociale, il n'y a tout de même pas vraiment à se plaindre. Jusqu'au jour où elle croise Christophe, ex-star de l'équipe de hockey d'Epinal, dont toutes les filles du lycée étaient folles, mais qui est en instance de divorce et a perdu beaucoup de sa splendeur d'antan…

« Connemara » invite à vivre la crise de la quarantaine de deux êtres qui se demandent s'ils ont réussi leurs vies. Lui, vend de la bouffe pour chiens dans un bled qu'il n'a jamais pu/su quitter, tout en rêvant de rechausser ses patins à glace afin de pouvoir revivre ses plus grands moments de gloire. Sur papier, elle semble avoir réussi, sauf qu'elle se retrouve dans un système économique hypocrite qui brasse autant d'air que d'argent, tout en ayant l'impression d'avoir sacrifié/raté son adolescence. Leur rencontre va donc permettre à l'un de s'attirer à nouveau le regard rempli de convoitise d'une femme, de surcroît issue d'un milieu social plus élevé, de quoi revigorer son égo. Quant à l'autre, elle va pouvoir rejouer son adolescence en mettant à ses pieds une ancienne star du lycée qui n'avait d'yeux que pour les autres filles, de quoi rattraper le temps perdu et se sentir à nouveau belle et jeune, tout en assouvissant un léger sentiment de vengeance…

« Connemara » c'est la confrontation de deux mondes que tout oppose, de deux classes sociales qui vont se réunir dans une belle partie de jambes en l'air que l'on qualifiera volontiers d'amour. À l'image de la chanson populaire de Michel Sardou, Nicolas Mathieu va rassembler la France d'en haut et celle d'en bas, sans fausses notes, mais en faisant tourner des serviettes au-dessus des têtes qui ne sont plus vraiment blanches, mais parsemées de vilaines tâches…

Car même s'il nous sert une histoire d'amour, Nicolas Mathieu aime gratter là où cela fait mal, là où la crasse s'est accumulée au fil des ans. Dans un style totalement opposée à celui des réseaux sociaux, qui s'attellent à embellir notre quotidien à coups de photos triées sur le volet, voire même retouchées pour l'occasion, Nicolas Mathieu, lui, préfère décaper pour enlever les couches de verni. Outre un récit intime qui invite à découvrir les regrets et les frustrations de deux quadragénaires, il livre également une fresque sociale et politique qui se déroule durant l'élection présidentielle de 2017 et ne manque pas de déglinguer au passage ces consultants qui nous vendent de l'air à prix d'or. Un véritable régal !

Alors oui, « Connemara » est un récit lent, sombre et pessimiste, qui invite à se demander ce qu'est "une vie réussie", mais qui laisse également un peu de place à l'amour, tout en livrant quelques notes positives sur fond de Michel Sardou

Là-bas au Connemara… on dit que la vie, c'est une folie… et que la folie, ça se danse…
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Il y a les romans doudous et les romans bourre-pif ; celui-ci relève clairement de la seconde catégorie.

Nicolas Mathieu raconte la rencontre, 25 ans après le lycée où ils se sont croisés, de Christophe et Hélène. A l'époque, il était la belle gueule champion de hockey-sur-glace, et elle, la bûcheuse bêcheuse. Rien entre eux ne s'est passé alors, même si elle en rêvait. Et tout à coup, elle va tenter de le conquérir à nouveau -mais pareille aventure a-t'elle encore un sens, alors que tout les sépare désormais ?

Je sors de ce roman KO. J'ai l'âme meurtrie, et je ne sais pas si je l'ai aimé ou détesté, tant il m'a fait mal. Nicolas Mathieu cogne à chaque page avec une force de malade, et sans jamais faiblir. On ne se méfie jamais assez des types à lunettes qui portent des pulls à col rond sur leurs chemises bien boutonnées.

Et pourtant, c'est brillant, c'est puissant. L'auteur nous offre une radioscopie de la France des années '90 à 2017 d'une précision douloureuse. Tout y passe : l'enfance, l'adolescence, la vie adulte, la vieillesse, le couple, les grandes écoles, l'esprit de revanche, le monde du travail, la capitale, la province, les premiers de cordée et les autres, tous les autres. Nicolas Mathieu se saisit de chacun de ces sujets avec une justesse impitoyable, mais sans jamais juger, ni se complaire dans son rôle de conteur : on sent, on sait, qu'il écrit pour lui autant que pour nous.
Et tout sonne effroyablement vrai dans ce roman, des aspirations pleines d'audace et d'assurance de la jeunesse, aux barouds d'honneur rageurs de la quarantaine, où l'on tente tout pour repousser les renoncements prêts à nous engloutir. Autant de lucidité m'a laminée. (La prochaine fois, je lirai Foenkinos, ce sera plus simple).

Mais tout n'est pas que souffrance. En romancier tranquille et talentueux qu'il est, Nicolas Mathieu nous fait nous attacher à ses personnages, piteusement et magnifiquement humains (bien que je n'aie pas apprécié Hélène), et l'on a envie de connaître leur devenir. Il alterne les époques et les chapitres consacrés à l'un ou l'autre de ses protagonistes, mais sa maîtrise de la narration est telle que l'on n'est jamais perdu. En outre, son écriture est un pur plaisir de littéraire.
Ce qui ne m'a pas empêchée d'avoir envie de jeter ce roman monstrueux contre un mur, sitôt terminé, tant il m'a fascinée et mortifiée. Mais un livre qui remue autant ne peut qu'être remarquable et exceptionnel (même si on se retrouve avec du Sardou en tête pendant toute la lecture).

Alors, blindez-vous avant de le lire à votre tour. Prévoyez des pauses, des petits remontants, des sucreries, et respirez par le ventre. Mais pour Sardou, il n'y a rien à faire.
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Connemara, Les lacs du Connemara, cette chanson a inspiré Nicolas Mathieu, consacré par le Prix Goncourt 2018 avec Leurs enfants après eux. Si vous avez un peu oublié – est-ce possible ? - ce titre signé Jacques Revaux, Pierre Delanoë et Michel Sardou, écoutez-le à nouveau et l'air vous trottera dans la tête jusqu'à devenir obsédant comme il obsède Christophe et ses amis.
Dès le début de son roman, l'auteur s'attache à l'histoire d'Hélène qui, avec Christophe, justement, fait partie des deux personnages principaux de Connemara. Hélène est mariée à Philippe. Ils ont deux filles : Mouche et Clara. Leur réussite professionnelle semble exemplaire. Ils vivent à Nancy après une période parisienne.
Tous les deux, ils sont très occupés par leur travail mais, quelque chose m'intrigue. Hélène revient d'un rencart à Épinal, à environ une heure de voiture de Nancy. Au boulot, chez Elexia, « une boîte qui vendait du conseil, de l'audit, des préconisations dans le domaine des RH, toujours la même chose. », elle a embauché Lison comme stagiaire et attend impatiemment qu'Erwann, le patron, lui donne le poste d'assistante qu'elle mérite, à la direction.
De son côté, Christophe Marchal vit à Cornécourt, petite ville pénarde où le FN est arrivé en tête aux dernières élections… Ce quadragénaire, ex-gloire des Loups, l'équipe de hockey sur glace d'Épinal, rêve de recommencer à jouer mais il deux grands amis, Marco et Greg, qui le poussent à boire plus que de raison. Malgré sa volonté de ne pas céder, il craque à chaque fois et cela aura de graves conséquences pour lui.
De plus, Christophe est en pleine rupture avec sa femme, Charlotte, qui se fait appeler Charlie. Ils ont un fils, Gabriel, dont son grand-père, Gérard Marchal, adore s'occuper. La naissance de ce gosse est un moment fort du livre.
Ainsi, Nicolas Mathieu me permet de faire connaissance avec chacune de ses personnes, remontant à leur enfance, leur adolescence avec tous les problèmes mais aussi les joies de ces périodes décisives pour leur vie d'adulte.
Hélène, n'étant pas du tout satisfaite de sa vie de couple, Philippe étant souvent absent pour son travail, se lance sur le web pour tenter de trouver une relation qui lui plaise car ce n'est pas dans son travail qu'elle obtient les meilleures satisfactions malgré toutes ses qualités et son investissement maximum dans les tâches qui lui sont confiées.
Avec Elexia, Nicolas Mathieu permet de comprendre l'engrenage infernal dans lequel nous sommes plongés avec ces boîtes privées censées conseiller nos élus, les collectivités, les Conseils départementaux ou régionaux. D'ailleurs, la création des grandes régions comme celle du Grand Est est une aubaine permettant à ces entreprises de gagner un maximum de fric sur le dos des contribuables en proposant des réorganisations, des transformations, des réformes ayant le plus souvent pour conséquence la suppression de postes.
S'il ne faut pas divulgâcher les étapes importantes et décisives de ce roman, je dois mentionner des pages très sulfureuses et détaillées de relations sexuelles fort bien décrites…
J'ai appris aussi beaucoup de détails sur le hockey sur glace, un sport que je connaissais bien mal. Comme il l'avait fait pour son roman primé, Nicolas Mathieu sait parfaitement nous faire découvrir la Lorraine avec ses qualités mais aussi les problèmes rencontrés par ses habitants.
Une nouvelle fois, Nicolas Mathieu m'a régalé par son style direct, sans fioriture, allant au plus près de la psychologie de ses personnages tout en ayant un regard acéré sur l'époque que nous vivons. Son sens critique est approfondi, avec des exemples concrets accompagnant un déroulement bien maîtrisé agrémenté de surprises qui décuplent de plaisir de la lecture. Allez, je vous laisse pour écouter encore Les lacs du Connemara après m'être régalé avec la lecture de Connemara.


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Hélène, je m'appelle Hélène,
Je suis une fille comme les autres,
Héééélèèèèène, je m'appelle Héééélèèèèène,
Jeeeeeeeeee suis une fille comme les aaaaauuuutreeeees,
En toute logique, une fois ce livre refermé j'aurais dû m'égosiller sur cette chanson et me rebaptiser Hélène, comme le personnage principal de ce bouquin, mais finalement non, car fort heureusement, j'ose croire que je n'ai pas grand-chose en commun avec Hélène.
Pourtant au départ, ça matchait pas mal entre nous, même génération, fille unique, à peu près les mêmes études et des ressemblances dans le boulot, deux enfants, des parents qui ont acheté un petit appart à la Grande-Motte pour les vacances, qui ont payé de belles études à leur fille, études qu'eux-mêmes n'ont pas été en mesure de faire parce que dans leur milieu on n'en faisait pas et qu'on n'aurait pas su comment s'y prendre…
Donc le phénomène d'identification aurait dû fonctionner à plein régime ; les feuilletés Picard qu'on sort du four le soir après une journée de boulot pour faire plaisir aux gamins et surtout car on est crevés, les clins d'oeil appuyés de Nicolas Mathieu sur les souvenirs de notre enfance et adolescence, aaah, les Mystérieuses cités d'or avec Dorothée sur RécréA2, … l'incontournable chanson de Sardou que tout le monde connaît par coeur… Nicolas Mathieu aime caresser sa cible de lecteurs dans le sens du poil…
D'ailleurs Nico est passé chez Brico, et en plus des croquettes, il a pris le plus grand râteau qu'il pouvait trouver pour ratisser un maximum de lecteurs. Tant mieux pour lui, la pêche semble avoir été bonne, mais, ça n'a pas pris en ce qui me concerne …
D'abord toutes ces ficelles, ces références à la pelle, ça m'a fait l'effet du mec hyper lourdingue qui fait du pied sous la table en se croyant au summum de l'art de la séduction alors qu'on a juste envie de lui coller une bonne baffe …
Le pamphlet de Nicolas Mathieu sur les cabinets de conseil m'a paru complètement ridicule et caricatural. Donc, si je résume sa vision acérée, dans les cabinets de consulting, travaillent des méchants consultants qui piquent le fric du contribuable avec l'aide de fonctionnaires hauts placés qui ne pensent qu'à protéger leurs arrières et assurer leur promotion par la grâce de réorganisations vides de sens. Pour ce faire, le consultant grassement payé, débite dans un sabir franglais incompréhensible un discours truffé de chiffres avec de beaux camemberts powerpoint et tout le monde se tape dans la main à la fin. Là je me pose tout de même la question de savoir si Nicolas Mathieu a vraiment rencontré des gens qui travaillent dans le conseil ou s'il a juste acheté à la Fnac le guide « le Conseil pour les Nuls » ?
De même, dans la continuité de la « vision » de l'auteur, la plupart des gens ont des vies de merde, font un boulot de merde qu'ils soient en haut ou en bas de la pyramide sociale, et sont au choix : des ratés ignares complètement bas de plafond (comme ce débile de vieux beau de Christophe qui vend des croquettes pour chiens – votez 1 pour Christophe) ou de purs égoïstes incapables d'aimer autre chose que leur nombril et mettent leur intelligence au service de leur cynisme (votez 2 pour Hélène).
Comment ça vous ne vous reconnaissez ni dans l'un ni dans l'autre ? Ah, merci ça me rassure tout de même un peu… Je n'ai pas vraiment adhéré à cette façon nihiliste de voir les choses, car si ma vie n'est pas toujours rose ni un long fleuve tranquille, il y a au moins un ingrédient présent dans ma vie, et heureusement aussi dans celle de beaucoup d'autres personnes, et qui m'a fait cruellement fait défaut dans ce pavé, c'est l'amour ! La seule trace que j'en ai trouvée dans toute cette déprime et toute cette tristesse, c'est dans la jolie relation entre le grand-père et son petit-fils ! (mais là n'était pas l'essentiel du récit).
En toute sincérité, ces pages m'ont mortellement ennuyé, ces personnages sans âme et caricaturaux, nombrilistes, traités avec condescendance par l'auteur, je n'y ai pas cru et ne leur ai trouvé aucun intérêt… Entre les longueurs interminables (les matchs de hockey, le journal d'ado apparemment repris en mode copier/coller (tiens une habitude de consultant), les descriptions à n'en plus finir des beuveries entre potes et des effets de l'alcool, les invraisemblances (les confidences d'Hélène à sa petite consultante, qui va jusqu'à perdre son poste pour elle au cours d'un entretien surréaliste, des primes à 5 chiffres pour plusieurs collaborateurs dans une société de conseil à Nancy..), les approximations (le cabinet Arthur Andersen cité comme grand cabinet alors qu'il a sombré depuis 2002 à la faveur du scandale Enron, l'EM Lyon classée dans le Top 10 des écoles de commerce alors qu'elle est dans le Top 5 depuis 30 ans) … je n'ai rien ressenti au cours de cette lecture, à part de la déception et de l'agacement …
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Hélène a une petite quarantaine d'années et, bien qu'issue d'un milieu modeste, a fait une école de commerce du « top 10 » (donc pas la meilleure). Après un burn-out, elle a décidé de quitter Paris et a retrouvé un poste dans le conseil dans sa province natale, le « Grand Est », obligeant son mari à quitter un « poste en or » chez Axa, et ses deux filles, une fillette et une préado, à la suivre. Là, elle tombe sur Christophe, un ami d'enfance, commercial dans le secteur de l'alimentation animale confronté à des objectifs quasiment impossibles à atteindre, qui a eu son heure de gloire dans l'équipe de hockey d'Epinal et qui envisage de rechausser les patins. Lui n'a jamais quitté sa province et est en instance de divorce avec Charlie, avec qui il a un jeune fils, Gabriel. ● J'ai retrouvé avec un vrai bonheur le style magnifique de Nicolas Mathieu, dont je m'étais déjà délecté dans ses autres livres, Aux animaux la guerre (2014), Rose Royal (2019) et bien sûr son Goncourt 2018 Leurs enfants après eux. Je trouve son style d'un grand raffinement et j'adore ses fulgurances, en particulier ses métaphores et ses comparaisons. Par exemple : « Novembre est gris des façades jusqu'au ciel, et la Moselle même n'a plus de couleurs. Sous les ponts, elle coule avec une lenteur d'huile, on dirait des larmes. » « Charlotte pleurniche et un peu de salive coule sur ses lèvres qui ont pris une drôle de teinte, d'un rose intestinal. » « Dans le battement stroboscopique de la lumière, son corps blanchâtre luisait comme celui d'un lamantin. » « [I]l fermait si fort les paupières qu'on aurait dit des bouches. » « Aldo, le père de Jenn, versa le charbon de bois dans un barbecue et, les bras croisés, regarda la braise rougir avec une satisfaction néandertalienne. » ● Nicolas Mathieu est aussi un analyste très fin de notre société, il connaît à merveille les gens de la France périphérique et les restitue sans manichéisme, avec beaucoup d'humanité. Il sait également très bien parler des entreprises de conseil, qui vendent à prix d'or du vent emballé dans une novlangue atroce, notamment aux administrations, en particulier aux collectivités locales et tout spécialement aux « grandes régions » nouvellement créées grâce à la lubie de François Hollande. S'il n'est pas le premier à le faire, il le fait particulièrement bien : « Il s'agissait aussi de leur apprendre à se comporter en vrais managers, ne bougez pas trop vos mains quand vous parlez, posez votre voix, évitez les phrases à la forme négative, enfin toute cette psychologie tragique faite de lieux communs et de sommaire manipulation qui tient lieu de science dans les hauts lieux de la décision. » ● Il comprend aussi parfaitement le phénomène du transfuge de classe, comme on le voit par exemple dans ce superbe oxymore : « des rouspétances soumises » ou dans ce passage : « [M]algré elle, elle conservait en soubassement des réflexes de gagne-petit, une sorte d'instinct de cocu qui lui faisait voir tout de suite la stupidité des ordres verticaux, l'inadéquation foncière entre les bonnes intentions des belles personnes et le désir lourd des existences moyennes. » ● Ses personnages sont particulièrement bien campés ; j'ai beaucoup aimé notamment la stagiaire Lison et le coup pendable qu'elle réussit, en quelque sorte l'inverse de MeToo. ● La construction du récit, qui fait alterner passé (l'adolescence des personnages) et présent (ils ont une quarantaine d'années) est habile et très bien menée. Nicolas Mathieu a un talent particulier à raconter l'adolescence. ● On sait que les scènes de sexe sont particulièrement difficiles à réussir ; Nicolas Mathieu est un maître en la matière, les siennes sont délectables : « Pour la première fois, ils échangèrent des mots de métal, de ces mots chauffés à blanc qu'on se souffle à l'oreille dans les lieux clos, la nuit, dans le noir, loin des polices et du progrès, des injures qui valent tous les compliments, des paroles honteuses qui engendrent des liens spéciaux et des complicités hostiles au monde entier. Et peu à peu, ils basculèrent dans un de ces accouplements limites. La sueur de Christophe tombait de son front goutte à goutte et Hélène ouvrait la bouche, tirait la langue. Elle disait mords-moi, plus fort, encore. Lui disait tu me sens, tiens-moi, serre-la. Ils sentaient leurs ongles dans la viande, des douleurs et des impatiences qui ordonnaient d'autres postures, des odeurs de marée et de salpêtre, des fadeurs de cosmétiques qui fondaient, des pointes acides qui autrement les auraient dégoûtés, et sous leur langue des poils, du lisse, des fronces, l'enfer de la matière, versatile et inimaginable, l'autre comme soi-même, grand ouvert, liquide, révoltant, comestible, tout entier résumé dans l'enclos des jambes et des bras. » ● Bref, c'est un superbe roman qui illumine le lecteur et que je recommande chaudement !
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J'avais adoré " Leurs enfants aprés eux " et c'est tout naturellement que je me suis intéressé à ce nouveau roman de Nicolas Mathieu .Verdict : encore une trés bonne pioche et un trés grand moment de plaisir .
A mon âge , s'il n'a rien de cannonique non plus , c'est dans le rétro que je vois l'adolescence , la mienne comme celle de ma fille , la " crise du milieu de vie ", la mienne et ...celle de ma fille , bref , je me retrouve plongé dans une histoire dont je pense que , circonstances aggravantes ou atténuantes , elle aurait pu être mienne ou ...celle de n'importe qui ...C'est , pour moi , le premier atout de ce roman , sa proximité avec le lecteur dont la vie pourrait peu ou prou , ressembler à celle d'Hélène ou Christophe .Vies sentimentales commencées dans l'euphorie d'une jeunesse qui brise tous les tabous , fait fi des conventions pour s'offrir une vie de rêve , tant sur le plan de l'intime que sur le plan professionnel .Et puis , le temps délite peu à peu l'euphorie initiale , les relations professionnelles cèdent sous la pression des résultats .Ainsi va la vie jusqu'au moment où le désir s'annonce " d'aller voir ailmpleurs si l'herbe est plus verte " ,de retrouver les " papillons " qui grattent le ventre , les rendez vous cachés vite lassants puis le moment d'un nouveau choix , d'un nouveau départ ...vers un nouveau bonheur ?
Ce livre , c'est ça , une immersion dans des vies qui , au demeurant pourraient être celles de " monsieur ou madame Toutlemonde " et l'adaptation à une société dont l'hypocrisie n'est pas le moindre défaut.
Je trouve que Nicolas Mathieu excelle dans l'expression de ces " peintures sociales et sociétales " ou , même dans " l'Amour ", une certaine bestialité se traduit par des mots crus , qui ne sont que le reflet d'une atmosphère pesante et chargée d'incertitude .
La description de l'adolescence d'Hélène fera sourire , rire , énervera , irritera par sa grottesque description d'un " égo gros comme ça ", si proche de ce que peuvent des parents qui , eux aussi , s'apprêtent à vivre une mue dont personne ne pourra prévoir si elle sera réussie ou non .
Fanny Cotençon , dans une brillante lecture d'extraits de ce roman , au cours d'une soirée organisée par le centre culturel Leclerc local , ne s'y est pas trompée et a , bien entendu , choisi Hélène pour nous régaler et faire aimer ce texte à un public séduit . Personnellement ce fut un ravissement . Certaines pages sont un régal .
Et puis , je vous l'ai dit , les amies et amis , je regarde la vie dans mon " rétro " , mais tout de même , ce rétro , il m'a fait découvrir bien des choses qui , n'en doutez pas , pourraient bien vous concerner un peu aussi et ...vous intéresser au plus haut point .
Finalement , raconter " la vie " , facile ou pas ? Cap ou pas cap ? Nicolas Mathieu , lui , est excellent dans l'exercice .Je l'en remercie .
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Ils ont quarante ans, l'âge des premiers bilans, avec malgré tout une éventualité de redresser la barre, de changer de vie, d'aller au bout des projets. Ou pas…

Elle s'est propulsée dans des sphères que ses origines ne permettaient à peine d'envisager, laissant ses parents à distance, incapables de comprendre le fonctionnement du milieu qu'elle fréquente. Beau mariage, beaux enfants, mais une alerte : un épuisement qui a nécessité un retour en province, pour un peu moins de pression. Et ça, ça ne pardonne pas. C'est inscrit comme une balafre au milieu d'un visage : fragilité…Est-ce le signal de la dégringolade générale ?

Lui est resté géographiquement et socialement proche de ses bases. Il est commercial pour une boite de nutrition animale, vit une vie de couple bancale, et peu satisfaisante. Il conserve le secret espoir de revenir dans les lumières des projecteurs comme lors de son adolescence lorsque le hockey sur glace l'avait auréolé d'une gloire éphémère.

Ces deux parcours, si parallèles, si différents, se croiseront : mais que peuvent-ils en attendre ?

Nicolas Mathieu sait avec adresse pointer les faiblesses de notre organisation sociale. Il sait appuyer là où ça fait mal. Il souligne les travers de langage, les tics qui traduisent immédiatement les origines de ses contemporains. L'absurdité de l'illusion de choisir sa vie, alors que les dés sont jetés dès le départ. Les transfuges de classe qui sont l'exception, restent malgré tout à jamais inconfortables entre deux milieux, un peu comme la seconde génération de familles transplantées.

C'est très addictif, très fluide, et ça se déguste avec plaisir : on retrouve l'ambiance du roman précédent, vainqueur du Goncourt, Leurs Enfants après eux, même si Michel Sardou a détrôné Diane Tell. Et c'est parfait.

400 pages Actes Sud 2 février 2022
Sélection Prix Elle 2022
Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Dans son nouveau roman, Nicolas Mathieu poursuit la description naturaliste des classes populaires du Nord-Est de la France, qu'il avait débutée avec un brio indéniable dans « Leurs enfants après eux », qui approfondissait la question du déterminisme sociologique pesant sur l'avenir de ces enfants nés dans une région brisée par la désindustrialisation.

Ce qui frappe à la lecture du nouvel opus du lauréat du prix Goncourt, c'est qu'il ne s'y passe pas grand-chose. L'intrigue, volontairement minimaliste, ne comporte pas d'événements hors du commun, ni meurtre, ni violence particulière. Elle décrit le quotidien relativement banal de ses protagonistes, dévoilant en creux l'ambition essentiellement sociologique de son auteur.

Le roman pourrait se décrire comme un retour sur les itinéraires respectifs de deux enfants de Cornécourt, une bourgade de l'Est de la France, qui vont entrer en collision.

Hélène a bientôt quarante ans. Après des études de commerce réussies et une carrière bien remplie, elle vit dans une maison d'architecte sur les hauteurs de Nancy en compagnie de son cadre de mari et de ses deux filles, après s'être brûlée les ailes lors de son passage dans la Ville Lumière. Elle a réalisé son rêve en quittant la condition sociale modeste de ses parents et en rejoignant une bourgeoisie provinciale aisée.

Christophe, qui vient de passer le cap de la quarantaine, fut, le temps de son adolescence, la vedette locale de sa petite ville de naissance, grâce à ses prouesses d'hockeyeur sur glace. Contrairement à Hélène, il n'a pas quitté le milieu populaire de son enfance, préférant les copains ainsi que les fêtes, et vend à présent de la nourriture pour chien tout en rêvant de reprendre le hockey. Divorcé de son amour de jeunesse, il partage sa vie entre un père déclinant et son jeune fils.

Au travers des longs passages consacrés à l'environnement professionnel dans lequel évolue Hélène, Nicolas Mathieu règle leur compte aux cabinets de conseil avec un brio jubilatoire. Il passe au vitriol cette volonté de tout rationaliser, de tout calculer, de tout optimiser jusqu'à l'absurde, inspirée des méthodes anglo-saxonnes, qui a gangréné un monde du travail qui évoque parfois un asile de fous.

« Connemara » est évidemment une allusion au grand succès de Michel Sardou, cette chanson qui apparaît comme le seul dénominateur commun entre la France d'en bas, la France des oubliés de la mondialisation « heureuse », la France que le sociologue Christophe Guilluy appelle la France périphérique et la France d'en haut, la France des élites mondialisées, cette nouvelle bourgeoisie cosmopolite qui parle aussi bien l'anglais que sa langue natale. Un mariage entre deux habitants de Cornécourt comme une soirée HEC se terminent inéluctablement aux sons des accords qui accompagnent « terres brûlées au vent, des landes de pierre », les premières paroles du tube d'un chanteur de droite qui réussit à réconcilier le temps d'une chanson les classes populaires avec les futures élites du pays.

Le titre résume tout l'enjeu du roman, à savoir la collision entre Hélène, qui après un burn-out dans un cabinet de conseil parisien a rejoint Nancy pour y poursuivre sa carrière à un rythme moins effréné, et Christophe, qui s'est laissé vivre, boit toujours trop de bières avec ses copains d'enfance et est resté « fidèle » à la modestie de son milieu de naissance.

Dans son dernier opus, Nicolas Mathieu examine ainsi ce moment de frottement entre deux classes sociales, une certaine bourgeoisie provinciale et la France périphérique, à travers la liaison que vont entamer Hélène et Christophe, une relation qui semble se résumer à de longues parties de jambes en l'air dans des hôtels anonymes de la région, et qui ressemble pourtant parfois à une impossible histoire d'amour.

La liaison entre les deux enfants de Cornécourt est une métaphore de la possibilité d'une rencontre entre les gagnants de la mondialisation et ceux qu'elle a oubliés en route, dans une petite ville située entre Nancy et Epinal. L'avenir potentiel de cette relation est au fond la clé du roman, dans la mesure où, à travers le devenir de cette improbable romance, se joue la possibilité d'une forme de réconciliation entre deux France si dissemblables.
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