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3,97

sur 5950 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
La qualité essentielle de ce livre est sans doute qu'il ne s'y passe rien.Parfois un flingue ou un couteau surgit au bout d'un bras, mais sans que cette arme devienne un point de bascule qui définisse un avant ou un après. La fin, évidemment, revient au début: mais si le voleur se fait voler par celui-là même qu'il dépouilla autrefois, cela ne signifie pas que l'un ait pris l'ascendant sur l'autre: mais plutôt que le roman prend acte d'un équilibre des destins, tous également touchés par l'aile de la médiocrité.
Les 400 coups de l'adolescence semblent annoncer l'envol vers un ailleurs: devenir un caïd ou un légionnaire, promotions à portée d'ambitions, mais qui échoueront d'un rien, d'un rien pourtant inéluctable.
Qu'est-ce qui justifie cette incapacité à aller de l'avant? La crise? Même pas. Les personnages sont rarement au chômage. Plutôt l'impossibilité à être fier de soi, la force physique qui n'est plus une compétence, les compétences du bricoleur raillées par la société du tout-jetable. Et surtout le rapport à l'école dès lors qu'elle n'est considérée que comme un lieu de passage obligé. Seul le goût d'apprendre permet de rompre l'éternel retour: petit boulot, fond de vallée, mariage décevant - comme les parents.
C'est souvent très bien écrit. Mais bon, à quoi sert-il, finalement, ce roman? Sinon à dire des choses que l'on sait déjà, que les Gervaise qui deviennent de riches blanchisseuses n'en finiront pas moins dans leur trou de déchéance. Je n'ai pas vraiment de sympathie pour le Zola de L'Assommoir qui contemple de loin les rêves impossibles des ouvriers. Pour qui Nicolas Mathieu écrit-il? Lui non plus, il ne décrit pas des gens qui pourraient être ses lecteurs mais nous laisse admirer sa prose avec comme un arrière-goût de supériorité satisfaite, parce que nous, finalement, nous avons laissé derrière nous la vallée vosgienne.
Sur le même sujet, je ne saurais trop conseiller "Douches froides" d'Antony Cordier, film bouleversant sur les décalages sociaux et les corps adolescents en surchauffe, et qui, lui, ne nous donne jamais l'impression d'être simple spectateur.
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Somptueusement déprimant. Et si j'osais, je parlerais d'un manifeste sur les gilets jaunes. À croire que le jury du Goncourt avait anticipé les émeutes de novembre. Des générations qui galèrent aux confins du territoire, des petites vies rythmées par la bière et les joints. le consumérisme, le sexe et le football pour se consoler de ne pas avoir d'avenir radieux. À croire que l'auteur s'est gavé de Bourdieu pendant ses études. Ça rappelle les paroles de la comédie musicale « Les Misérables » quand ils évoquent le père et la mère qui font des cabrioles après leur dure journée de labeur : « entre nous et les bourgeois, c'est avec l'amour, la foi, le seul moment ou y'a pas de différences… et voilà nos vacances. Aime ce que tu as quand t'as pas ce que t'aime… » Presqu'un résumé de ce roman naturaliste qui après « en finir avec Eddy Bellegueule » et plus récemment « Fief » nous ressert les provinces déshéritées et le désespoir des classes moyennes en difficulté. La question est la suivante : si, aujourd'hui, on lit avec respect les déboires des Rougon-Macquart, lira-t-on en 2165 le roman de Nicolas Mathieu ? Alors certes, je commence à en avoir ras la soupière de ces récits noirs de mégots calcinés, de ces êtres à la dérive cherchant le réconfort dans le corps de leur prochain mais je dois avouer que l'auteur en parle avec un grand talent. Il y a des pages magnifiques où chaque geste, chaque expression des personnes sont décrites avec une acuité, une lucidité, une cruauté et une inventivité qu'on avait pas vues depuis longtemps, peut-être chez Houellebecq, la condescendance et le cynisme en moins. La page 392 en offre un bon exemple. Je remercie l'auteur de ne pas nous avoir pondu une fin à la « Goncourt de Queffélec » (un drame, un crime) et de nous laisser imaginer un dénouement, même heureux, même contre le cours du jeu. On se délecte donc, page après page, regrettant tout ce désenchantement, mais c'est le choix de l'écrivain. Je trouve aussi qu'il y a une perte d'intérêt et de vitesse dans les cents dernières pages (de trop ?). On a envie qu'il en finisse, qu'Hacine assassine ou qu'Antho. nique. Donc, plutôt pas mal et surtout, un vrai roman, pas un essai déguisé et bien ficelé comme le Vuillard de l'année dernière. Mathieu, c'est officiel, on vous tient à l'oeil !
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L'effroyable douceur d'

A laisser venir la nostalgie, près des canoës,
Pauvre jeunesse désenchantée, sur la plage Déchetterie,
Pataugeant dans leurs rêves de platitude…
A laisser s'épanouir le bourdon de leurs vies grises,
Rends toi compte de leurs frissons adolescents,
Tournoyant dans un cloaque de résignation.
Epanche-toi, sur ce doux roman d'initiation,
N‘oublies rien, de leurs résidus d'émotions charnelles…
Immersive, leur condition d'immobilité sociale,
Respire leurs vies, entre désir et désespoir.

« Et de même , leurs enfants après eux. »


Anthony et les autres rament leurs destins étriqués,
Sur un lac absorbant leur fol espoir de liberté…
Nicolas Mathieu leur donne le sel d'une existence,
A fleur de maux, à coeur de peaux, à grain de plaisance.
Lien : https://fairystelphique.word..
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Il m'arrive parfois d'être en délicatesse avec les prix littéraires, et c'est donc avec une certaine appréhension que j'ai commencé la lecture de "Leurs enfants après eux" de Nicolas Mathieu, notre nouveau Goncourt. Et pour le coup, bonne surprise et bonne pioche, je me suis laissée embarquer dans cette histoire qui est à la fois un roman d'apprentissage moderne et une fiction sociétale.

Anthony, le cousin, Hacine, Steph, Clem et quelques autres… Dans une région économiquement sinistrée de l'Est de la France, nous suivons sur quatre étés espacés de deux ans, de 1992 à 1998, le parcours d'une bande d'ados (puis de jeunes adultes) désenchantés, sans horizon et déjà sans avenir. Difficultés scolaires, glandouille et ennui abyssal forment le quotidien - épicé de shit, d'alcool, de bastons, de drague et de petits trafics - de ces gamins issus de familles socialement défavorisées, confrontés depuis toujours à la violence, l'alcool et la précarité et pour lesquels, faute d'avoir compris à temps l'importance de l'école et les chances qu'elle peut leur offrir, l'ascenseur social est déjà irrémédiablement en panne.

Leurs enfants après eux seront comme eux - si ce n'est pire -, des laissés pour compte d'une société qui, au moins dans la vision qu'en a Nicolas Mathieu, ne leur fera pas de place dans cette France prolétaire, inculte et mollement révoltée des matchs de foot, du picon bière et de Johnny Hallyday : seules Steph et Clem, parce qu'elle sont “bien nées”, que leurs familles ont les moyens de financer leurs études et qu'elles ont compris suffisamment vite le fonctionnement du système social, pourront s'en sortir, quitter cette vallée éteinte et sinistrée, et réussir.

L'écriture est fluide, les dialogues sonnent juste, les personnages ont du relief, l'ensemble se lit vite et bien. Et je me suis attachée à cette histoire et à ces personnages pourtant médiocres que Nicolas Mathieu dépeint avec tendresse et sans les juger, avec un réel talent de conteur.

Un roman pessimiste et sombre, mais que j'ai lu avec plaisir.
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Sur quatre périodes estivales, Nicolas Mathieu évoque le parcours de trois adolescents qui vont tenter, chacun à leur manière de ne pas reproduire les schémas de leurs parents respectifs que ce soit l'alcoolisme et la violence d'un père frustré pour Anthony, l'ennui d'une bourgeoisie étriquée pour Stéphanie ou les difficultés sur des enjeux d'immigration et d'intégration pour Hacine.
Mais tout n'est pas simple dans cette ville de l'Est de la France où les hauts- fourneaux sont éteins depuis des années.
Comment sortir de la torpeur ambiante, entre petits boulots minables débouchant parfois en CDI pour les plus chanceux, petits trafics pour les autres ?

Le tableau est plutôt féroce, terriblement lucide, ne laissant aucune place aux illusions. Et pourtant au gré d'un quotidien pétrit de petites tragédies, Nicolas Mathieu nous laisse entrevoir quelques lueurs d'espoir aux travers de ces petits instants de joie qui ponctuent l'ensemble d'un récit solidement ancré dans le réalisme social.
Outre les dialogues qui sonnent toujours juste et une intrigue qui se dessine parfaitement, l'auteur parvient à restituer l'ambiance de cette décennie en instillant tout au long du récit des produits de consommation de l'époque ainsi que des références musicales et cinématographiques comme autant de petites madeleines.

Nicolas Mathieu construit son roman comme une chronique sociale d'une ville touchée de plein fouet par la fin d'un modèle économique, la fin d'une époque.
Attaché au pas de ces quelques ados, c'est le quotidien des cités, sans fioriture ni pathos, qui nous est révélé ; Avec un style réaliste qui alterne phrases coup de poing et incursions dans l'univers des rêves.
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Un livre intelligent, sans conteste. Une écriture qui joint la pertinence des descriptions, la subtilité des dialogues et l'art des raccourcis dans la formulation. le tout pour décrire le vide sans fond qui habite alors ces jeunes désoeuvrés de la banlieue ex-industrielle du Nord-Est de la France. Anthony a quatorze ans en 1992. On le suivra, quatre étés, lui et ses potes, ami(e)s ou ennemis jurés jusqu'en 1998. Là, enfin, avec toute la France, ils seront Champions!
Un live plaisant? Non, pas vraiment. L'auteur, Nicolas Mathieu, nous rappelle ce que peut être l'adolescence et la vie errante des adultes dans une contrée économiquement sinistrée.  Peut-on vraiment trouver du plaisir à suivre Anthony et son cousin, chapardeurs de canoé et voyeurs de culs-nus, perdus entre des hauts-fourneaux refroidis depuis longtemps, un petit lac cuisant de soleil et le profond désoeuvrement débordant d'ennui qui les habillent? Non! Il n'y a pas de quoi s'enthousiasmer pour l'époque, le mode de vie et le quotidien des ces oubliés de la Terre!
Pourtant, l'auteur captera notre attention, nous fera rentrer dans leurs existences et, avec lui, on s'interrogera sur les liens qui tissent, ou non, le filet des relations dont tout le monde a besoin pour éviter la chute. Une attention subtile est apportée à la place de la mère, celle qui ne sait plus trop comment vivre avec son homme,  qui ne sait trop comment parler à son fils et qui, pourtant, se veut attentive à ce fils à pour qui elle rêve d'un avenir solide. "Sa mère avait pensé à tout. Elle l'énervait. Il était touché" pensera Anthony.

Nicolas Mathieu signe une fresque d'un monde qui fait peur. Il a existé. Il existe encore. Affligeant, sans doute. Mais il serait terrible de vouloir l'oublier. J'ai été touché par ces jeunes, les mêmes que ceux qu'il m'a été donné d'accompagner durant un temps professionnel. Mais Je suis conscient que les quarante ans d'avance dans la vie que j'ai sur Anthony m'ont procuré une bien plus belle jeunesse!

Leurs enfants après eux, un Gongourt, ma foi, sans doute bien mérité.

Un peu plus? https://frconstant.com/
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J'ai enfin lu « Leurs enfants après eux » de Nicolas Mathieu, Goncourt 2018. En retard, d'accord, mais je ne vais pas bouder mon plaisir pour autant. Un plaisir tardif mais qui vaut d'être partagé (s'il reste par hasard d'autres retardataires…).
L'auteur plante vite le décor : une région de l'Est de la France faite de chômage, d'emplois précaires, usant physiquement, en manque d'éducation, en manque d'horizon. Au fur et à mesure que se dressent et s'affinent les portraits de tous les personnages de ce roman -les adolescents principalement, mais aussi leurs parents - c'est toute une histoire sociale des années 90 qui se dessine sur 4 étés (entre 1992 et 1998).
Les ado qu'on découvre à l'âge de 13-14 ans grandissent et avec eux des désirs qui naissent et des rêves auxquels ils s'accrochent, malgré tout, coûte que coûte, de se sortir de là, de fuir cette région pauvre, sans réel avenir. L'espoir de ne pas devenir comme leurs parents, à trimer, à toujours compter et pourtant à être toujours dans le rouge. Une jeunesse qui n'en est pas moins lucide sur le risque grand de reproduire (habitus de Bourdieu), de ne pas avoir toutes les cartes en main pour pouvoir s'en sortir. Parce qu'ici les chemins à prendre sont plus limités qu'ailleurs, dans les grandes mégalopoles, et qu'ils peuvent souvent mener sur un cul-de-sac, pour ne pas dire droit dans le mur. Quand on nait dans ces régions, il faut savoir bien nager pour ne pas couler. Quand on nait dans ces régions, ce n'est pas du 50/50 : on sait d'avance que nos chances sont réduites…
Bien sûr, il y a ceux qui sont un peu mieux nés, dont les parents ont un boulot mieux rémunéré et qui regardent les autres, « ces cassos », de haut. Les premiers connaissent les voyages dans le Sud ou à l'étranger, les endroits où ça brille, les maisons avec piscine, les fringues de luxe. Et pas la peine d'avoir fait des études de sociologie pour savoir qu'on ne se mélange pas ou à peine ou seulement un soir par désoeuvrement, si on est un peu bourrés.
Il y a ceux qui finissent par se dire que l'école va leur ouvrir des voies, qu'il faut se plonger à cor et à cri dans les études, quitte à ne pas dormir assez, quitte à ne bouffer que ça pendant une longue période (mais il faut pour cela des capacités parfois supérieures à la moyenne). Pour d'autres, ce sera l'armée pour les sortir de cet environnement moribond ; d'autres choisiront des voies moins légales, peut-être plus rapides mais plus dangereuses à tous les niveaux (la drogue, la violence). Certains enfin, les plus nombreux sûrement, finissent par reproduire, et se résigner comme leurs parents. Ils se mettent en couple jeunes, font un enfant rapidement (plus tôt et plus que la moyenne nationale), et se disent, bon an mal an, que ce n'est pas si mal, même si parfois on se sent emmurés et que les rêves se réduisent comme peau de chagrin.
Les possibilités de sorties, d'activités sont souvent réduites : on se retrouve en bas de l'immeuble à fumer du shit ou encore au troquet du coin, à consommer beaucoup d'alcool. On oublie comme on peut. On joue à la PlayStation, on regarde des séries, on tourne en rond parfois. Certaines filles qui ont un physique agréable peuvent espérer -si elles se débrouillent bien- un bon mariage, trouver un petit banquier qui les emmènerait loin d'ici, à Paris ou pas loin de la capitale, mais partir à tout prix de là. Les mecs, ça joue les caïds, les gros bras parce qu'il n'y a que comme ça qu'on ne se fait pas trop marcher sur les pieds, parce que c'est le langage de la rue qui prédomine depuis des générations, parce qu'il n'y a que comme ça qu'on peut survivre.
Et bien sûr, durant les sorties avec les potes, le sexe opposé est un des sujets de conversation. C'est tout de même mieux que de parler du bahut, de l'avenir à l'usine à faire les trois/huit. Parce que l'amour (quelle que soit la classe sociale à laquelle on appartient), les jeux de séduction, réussir à emballer une nana, ça fait aussi partie des règles, même si les codes sociaux sont différents entre chaque groupe. Mais au-delà de ce jeu, il y a l'espoir invariable de rencontrer l'autre, de trouver l'amour, celui ou celle qui nous fera oublier notre solitude, par les corps imbriqués, les sueurs mêlés. L'amour est aussi une forme de rêve, d'espoir, même illusoire…
J'ai été souvent bluffée par les épisodes de ce roman, par ces passages d'un hyper réalisme, contenant un regard fin, précis, fouillé sur tous les protagonistes. Par les éléments de langage, un vocabulaire juste, les pensées de ces personnages, multiples, si différents, par des petits riens (les paroles d'une chanson, l'ambiance de la coupe du monde de foot, les expressions des jeunes, etc.), Nicolas Mathieu nous immerge dans cet univers. Il nous fait ressentir à chaque page l'ambiance, la mentalité, la noirceur mais aussi toutes les espérances d'une époque (finalement pas si lointaine au vue de l'actualité). Pas étonnant d'ailleurs, de découvrir qu'il a participé à l'ouvrage « Gilets jaunes, pour un nouvel horizon social » (avec Bégaudau, Mordillat, Binet, Ernaux et beaucoup d'autres).
Et nous immergeant dans cette histoire, au-delà de nous faire ressentir le climat de l'époque, l'auteur arrive à nous faire aimer tous ces ado (jusqu'aux petites frappes) et tous leurs parents : on vibre avec eux, on espère, on désespère, on est en colère et on aime comme eux.
Chacun de ces personnages est comme une pièce caractéristique et représentative d'un puzzle qui, une fois complet, dessine une ville avec ses critères économique et social. Des gens si différents et en même temps si proches, où chacun traine son histoire, sa reproduction sociale, ses schémas de vie un peu étriqués parce que c'est tout ce qu'ils connaissent, parce que ce n'est que comme ça qu'ils fonctionnent et ont appris à fonctionner, tout cet habitus qu'ils trainent comme des boulets trop lourds.
Nicolas Mathieu a bien mérité son prix (je vous ai bien dit que j'étais bluffée). Il a réussi par son écriture à la fois noire, profonde et sensible, à faire le portrait – tel un pointilliste- de tout un microcosme social et d'une génération dans une région souvent oubliée. Mais, pour ma part, je ne vais pas oublier si vite Anthony, Hacine, Stéphanie, Clem, Hélène, Patrick et tous les autres...

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J'ai lu ce livre car conseillé par ma soeur (et prix Goncourt attribué en 2018)…
Dans le bourg d'Heillange, années 90. On suit quelques jeunes (et moins jeunes) sur quelques années, de leur adolescence à leur entrée dans leur entrée dans la vie adulte. Anthony, quatorze ans et son cousin, ne pensent qu'à s'amuser et draguer les filles. Hacine, toujours quelques combines ou vols... La description de leurs vies de jeunes adultes montrent leurs difficultés d'avoir une vie bien posée. Nicolas Mathieu dissèque aussi les vies des familles qui se brisent quotidiennement. Et même si j'ai reconnu l'été 1998 et la Coupe du Monde qui a enflammé des millions de Français, les enfants après eux reste une chronique noire sur ces hommes et ces femmes coincés dans leurs cases, pendant les années 90.
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Avec Anthony vous vous embarquez dans une sorte de road trip qui fait du sur-place.
Anthony a des fourmis dans les jambes mais il ne fait rien d'autre que les piétiner, il a des étoiles dans les yeux qui ne servent qu'à l'aveugler, il a des rêves plein la tête qui l'empêchent juste de se réveiller.
Anthony, c'est tout un stéréotype : un looser de première, qui rate à l'école, qui a déjà pris de la drogue à quatorze ans, qui passe son temps d'abord à rouler des pétards à défaut de rouler des pelles, qui vomit le trop plein d'alcool dont il se perfusionne à longueur de temps et qui vomit sa rage à coups de poings à défaut de savoir pousser des coups de gueule !

Les dialogues sont bruts de décoffrage mais quel réalisme dans ces trivialités exprimées, les non-dits restant eux en l'état, peut-être même non-pensés, allez savoir…
Et puis comme on suit quelques personnages, on se dit que leurs points communs, c'est la baise et l'alcool, à croire que tous les jeunes ont que ça en tête – façon de parler, ça ne se situe pas exactement là… Bien sûr que non, mais il s'agit d'une rencontre entre le monde des miséreux auxquels appartient Anthony et le monde des privilégiés auxquels appartient Stéphanie. Alors des gosses de riches qui restent sérieux, ne se perdent pas dans l'alcool, se gardent d'histoires de cul excessives, il y en a. Mais ils ne sont pas dans le livre, parce que comment voudriez-vous qu'ils rencontrent Anthony dans ces conditions ? On se fréquente tout de même assez peu dans des milieux si différents, sauf s'il y a une raison. Nicolas Mathieu aurait pu choisir une autre raison, certes, mais ça n'aurait pas été le même livre. Il aurait même pu choisir un Anthony sobre et sérieux, même dans son monde de misère – si, si – mais là non plus, ce n'est pas ce qu'il a voulu écrire.

Immigration, économie parallèle, vieillissement, piston, alcoolisme, chômage, adolescence et jeunesse… beaucoup de sujets abordés, finalement peut-être trop ?
Mais tout est tellement nuancé dans l'évolution de l'alcoolisme du père avec ses différentes phases, le rapport au corps aussi, plusieurs fois évoqué, dans la découverte de la sexualité, dans le vieillissement, évoqué comme élément de maîtrise de soi, il y a aussi le rapport à l'autorité, paradoxal avec cette tentation de l'armée…
Alors c'est une chronique de vie très ancrée dans la réalité, dans une réalité en tout cas, si on en veut d'autres, on lit d'autres livres qui parlent d'autres gens, mais on ne nie pas que ceux-là existent.

Un prix Goncourt amplement mérité à mon sens, mais bien sûr, la notion de mérite, hein…

Lien : https://chargedame.wordpress..
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Il y a le monde, la France, et puis il y a Heillange, cette petite ville de Lorraine qui depuis la fermeture des hauts fourneaux, se cherche un avenir pendant qu'autour d'elle, la vie ne l'attend pas.

C'est la même chose pour Anthony, Steph et Hacine, enfants d'Heillange qui le temps de 4 étés des années 90, vont tenter d'échapper à la fatalité sociale et au déterminisme qui les entraîne inéluctablement vers une vie "copier-coller".

Ils ne sont pourtant pas tristes ces 4 été, entre balades en meules, sorties au lac, roulages de 3 feuilles en veux-tu en voilà, bouteilles de vodka tièdes sifflées en loucedé, sans parler de l'amour. Oh pas le grand ! Mais le p'tit coup de sexe vite fait sous la tente ou dans la voiture qui permettra de changer d'âge et d'alimenter les conversations. Sauf que les vacances ont ça de pénible qu'elles amènent nécessairement vers la rentrée, ce demain qui obsède Anthony, Steph, Hacine et tous les autres.

Partir ? Une évidence, pour échapper à cette demie-vie dans une ville où elle existe désormais si peu, entre résignation, alcoolisme et chocs de cités, sous les yeux de semi-bourgeois devenus borgnes au royaume des aveugles. Mais où ? Au bled pour mieux revenir à la case départ en pseudo-caïd ? Avoir le déclic des études pour tenter de s'extirper de ce monde de résignation ? Dans l'armée qui vous accueille aussi généreusement qu'elle vous rejette rapidement ?

Rester ? Un p'tit travail ; une p'tite femme ; un p'tit appart et ensuite, un p'tit pavillon ? Se caser, se ranger. Ici, on a finalement ses repères. Et puis souvent encore le père ou la mère ; le cousin ; les potes...

Mais a t-on vraiment le choix ? Car dans leurs quêtes diverses, Steph, Anthony et Hacine qui se fuient ne cessent finalement de se retrouver, tels des particules métalliques folles attirées par l'aimant Heillange qui les ramène à lui.

Dans leurs enfants après eux, Nicolas Mathieu nous envoie une carte postale grave et mélancolique, mais où pointe ci-et-là des lueurs d'espoirs effleurées dans l'enthousiasme et la fraîcheur de ces adolescents finalement pas si mal dans leurs têtes. Virtuose de l'alternance de style, il bascule constamment entre gravité et fraîcheur, entre digressions réalistes ou sociales et dialogues bruts. Il confirme surtout son habileté à capter une époque dans son entièreté, ralliant ainsi dès les premières pages le lecteur à sa cause.

Brillant !
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