Quel est le point commun entre Rouillé, Idier et Mathieu ?
Vous avez le temps de lire cette deuxième phrase pour trouver la réponse !
Alors, on sèche ? On jette l'encre ? (ça, c'est pour la seiche…)
Les neurones s'activent, mais oui, bravo !
En effet, ils s'appellent tous trois Nicolas.
Coïncidence troublante, je les ai découverts à la suite.
Je viens de lire « Timika », j'ai abandonné « Dans la tanière du tigre », et je vous propose celui-là, un prix Goncourt trouvé dans une boîte à livres, curieuse pioche !
Comment un roman primé peut-il atterrir là ? Il sort de ses « gonds, court » à sa perte. S'est-il dit « Je m'en vais », il ne faut « Pas pleurer ». Cherchez « L'anomalie ».
Cette année-là, 2018, il y avait le choix entre quatre textes très différents, mais qui réhabilitent tous l'imaginaire. Quatre textes inégaux mais écrits avec application, tous clean, sans surprise, en un mot "goncourisables".
En récompensant
Nicolas Mathieu, l'académie Goncourt renoue avec le récit romanesque, la chronique, la fresque grand public, qui donne une leçon d'histoire, délaissant les formes brèves, mais avec juste ce qu'il faut de tape-à-l'oeil, pas trop, pour qu'à la lecture, on se sente flatté par le style.
Un roman fouillé, épais, ah la vache , 400 pages, on en a pour son argent.
Mais ce vote ressemble aussi à un choix par défaut, élu au quatrième tour, comme si le jury prenait acte que le Goncourt n'est au fond que du dopant pour libraires, et qu'il serait absurde d'en espérer un chef-d'oeuvre.
« Au-revoir là-haut », il faut « Vivre vite » et ne pas rester « A l'ombre des jeunes filles en fleurs ».
Filon guère original des ados désoeuvrés, où sont donc passés «
Les souffrances du jeune Werther » et «
Le grand Meaulnes » ?
Des gosses perdus qui cherchent des raisons de vivre dans un monde hostile et corrompu, ça me fait penser à « L'attrape-coeurs » et à « Malataverne », des
romans du milieu du vingtième siècle, avant l'industrialisation à outrance et les crises pétrolières.
Après, il y a eu « Les clochards célestes », analyse négative de la société américaine. Négatif, « Moins que zéro », on arrive dans les années quatre-vingts, où trouver un sens à l'existence ?
Goethe,
Alain-Fournier, Salinger, Clavel, Kérouac, Ellis, la littérature a fourni matière à analyser l'adolescence.
Et là, maintenant, en 2023, se profile «
Les dragons » de
Jérôme Colin, juste après le « Fief » de
David Lopez. il y a tant à lire sur ce thème !
Alors, que dire de «
Leurs enfants après eux » ?
Dans ce long livre, on retrouve les scènes types attendues: le boutonneux qui reluque les seins des filles, la soirée où on se fait ièch mais faut bien picoler, les parents bornés, la castagne, les mobylettes et les scènes de baise.
Nicolas Mathieu place ses personnages dans la France périphérique, près de Thionvile, à Heillange, à des années-lumière des bobos rive gauche. Tout le monde a bossé chez Metalor, mais les hauts fourneaux, c'est plus ce que c'était. C'est plutôt les bas fourreaux, là où y a d'la gaine, y a pas d'plaisir.
Ils s'appellent Anthony, Hacine, Stéphanie, ils ont quinze ans, ils vivent chez leurs vieux à Heillange, ils ont leur C.A.P. d'délinquant, ils sont pas des nuls, ont une gueule d'ange.
Et on les suit, 1992, 94, 96 et 98, quatre étés entre leurs quatorze et vingt ans.
Leurs maladresses et leur désoeuvrement nous sautent au visage. Ils sont attachiants à défaut d'être bien éduqués.
« L'éducation est un grand mot, on peut le mettre dans des livres et des circulaires. En réalité, tout le monde fait ce qu'il peut. Qu'on se saigne ou qu'on s'en foute, le résultat recèle toujours sa part de mystère ».
Et la différence de culture n'arrange pas les choses.
Origine musulmane et trafic de coke, faut-il mettre la charia avant la beuh ?
L'impossibilité de sortir du déterminisme socio-culturel aboutit à la délinquance et à la violence. Dans les formules de phrases autant que dans les actes gratuits.
« Il ne reste plus d'idiots dans les villages, mais chaque café conserve son épave attitrée, mi-poivrot, mi-Cotorep, occupée à boire du matin au soir, et jusqu'à la fin ».
Il y a quand-même de l'ironie, la jeune coiffeuse qui s'installe en face du vieux merlan.
« Elle proposait une carte de fidélité, des coupes à cinquante francs pour les enfants et un notable décolleté : on frisait la concurrence déloyale ».
J'voudrais pas vendre la mèche, mais elle est bien bonne…
Je m'agace cependant d'une copie un peu trop bien écrite, lisse à force de chercher la phrase ou la formule qui font mouche.
Plus encore, ici ou là, s'imposent des formulations lourdes, telle cette écriture faussement dialoguée, pour faire vrai :
« Eliott lui demanda c'était quoi le problème ».
Là réside la faiblesse de ce livre, qui se donne trop à lire comme un objet parfait, où tout semble mesuré pour flatter le lectorat, avec ce qu'il faut de distance, de vulgarité gratuite, un soupçon de politique, un rien de tendresse…
J'ai trouvé l'écriture trop froide, trop prévisible aussi, pour être vrai.
Il reste que
Nicolas Mathieu fait autant oeuvre de sociologue que d'historien en décrivant par petites touches la France des années 1990.
Avec ce côté poétique qui surgit tout à la fin.
« Ces mêmes impressions de soirs d'été, l'ombre des bois, le vent sur son visage, l'exacte odeur de l'air, le grain de la route familier comme la peau d'une fille. Cette empreinte que la vallée avait laissée dans sa chair. L'effroyable douceur d'appartenir ».
« Allez, demain est un autre jour ».