Autour de lui des gouttes espacées s'écrasaient lourdement sur les feuilles de vigne, que tachait le sulfate.
Ce lourd ciel bas était plus accablant que l'azur. Entre deux rangs de vigne, il se tapit comme un lièvre, face à la plaine morte. Des orages étaient épars et grondaient dans cette arène immense.
Aucun autre garde-fou qu'un corps bien-aimé : il nous cache, il nous défend, il nous protège contre les hommes, contre la nuit, contre l'inconnu.
Les yeux dessillés, à quarante-huit ans, elle découvrait sa solitude et, somnambule, se réveillait au bord d'un toit, au bord d'un gouffre.
A ce moment, le vent du sud froissa les feuilles flétries des tilleuls, épandit sur les vignes le parfum des pins consumés.
Tous les été, aussi loin qu'allait son souvenir, lui avaient donné du tourment : torrides, le feu dévorait les pignadas : pluvieux, la vigne souffrait.
-- Oui, pour cela il est bien le fils de son pauvre père, qui ne sortait jamais même pour une courte promenade, sans un livre...
Elle protestait qu'elle ne se fût pour rien au monde mariée avec un pareil mécréant. Mais une autre religion les unissait : les pins, la vigne, la terre, enfin.
Il n'arrivait pas à étouffer cette joie insidieuse : l'homme qui l'avait frappé à la face n'était plus au monde. "Et moi qui me persuadais de lui avoir pardonné ! J'avais pris l'attitude, j'avais fait le geste de la miséricorde, mais rien dans mon coeur n'y correspondait. Le christianisme ne m'est qu'un vêtement, un déguisement. A peine déforme-t-il mes passions. Elles vivent, masquées par la foi, mais elles vivent." Le sens pratique des êtres adonnés à la vie spirituelle induit Pierre à profiter de cette découverte pour en nourrir son humilité. Il est si difficile au chrétien de ne pas se croire meilleur que les autres hommes ! Pierre s'acharne à mesurer la joie atroce que lui donne la mort de Bob. Immobile sous les charmilles noires, il tourne contre lui-même sa fureur. Son plaisir est de se répéter : "Bob valait mieux que moi, lui qui vivait à visage découvert." Il s'enivre de cette certitude qu'il est le dernier des derniers, mais aussi qu'il travaille, par cette seule connaissance, à son avancement. Tout sert à qui vit en Dieu.