2008, à New York. Jende a quitté le Cameroun il y a déjà quelques mois, son cousin lui a payé le billet pour venir tenter sa chance aux États Unis. Depuis, à force de petits boulots et d'économie, il a fait venir Neni, son épouse, et Liomi, leur fils. NY est pour eux synonyme d'Eldorado, puisque dans leur pays, la différence de classe leur interdisait de se marier, de vivre sereinement et d'être acceptés par leurs familles respectives. Mais la vie de migrant n'est pas toujours facile, et si le rêve est à portée de main, l'administration et ses arcanes compliquent passablement les choses. Car pour rester en Amérique, il faut obtenir un emploi et une Green Card, ou une Green Card et un emploi, car l'un ne va pas sans l'autre, mais l'un comme l'autre sont difficiles à obtenir.
Grâce au piston et sans dévoiler son problème de papiers, Jende va se faire embaucher comme chauffeur par Clark, un banquier reconnu et prospère de Lehmann Brothers. Passer des heures ensemble chaque jour dans l'atmosphère confiné d'une voiture, même de luxe, ça rapproche. Clark et Jende se parlent, essayent de se comprendre, même s'ils n'iront jamais jusqu'à évoquer leurs problèmes ni aborder ce qui touche à l'intime.
Deux mondes vont alors se côtoyer et par moment s'accepter, s'écouter, tenter de se connaître. Celui des riches américains, avec grand appartement, bonne éducation pour les enfants, chauffeur, soirées de gala, maison d'été dans les Hamptons, vacances de rêve, et le monde des émigrés, vivant à Harlem, craignant à tout moment de se faire expulser, mais qui mettent tout leur coeur et leur énergie à se faire accepter, à rentrer dans le moule pour profiter à leur tour du rêve américain.
Neni rêve de devenir pharmacien et va enfin entreprendre des études financées grâce au beau salaire de Jende. Jusqu'au jour où, enceinte de leur second enfant, Jende décide qu'elle doit arrêter et rester à la maison. Car dans la tradition africaine, l'homme est celui qui sait et qui décide, et sa femme doit respecter ses choix, même si elle n'est pas d'accord, même si en Amérique elle est en droit d'exercer son libre arbitre. Arriver et vouloir s'intégrer dans un nouveau pays ne fait pas perdre pour autant les prérogatives et les croyances de son pays d'origine. En Afrique l'homme décide, la femme obéit. A New York, Neni devra accepter et obéir, au risque de voir son rêve anéanti. La crise des subprimes est passée par là, les riches banquiers de Wall street ne sont plus que l'ombre d'eux-mêmes et le pays a sombré dans une crise sans précédent, les mois passent, sans papiers et désormais sans emploi Jende se désespère. Certains s'en remettront, mais la famille de Jende devra certainement renoncer à ses rêves.
Imbolo Mbue nous propose une intéressante analyse des différences de classe, du choc de deux mondes en apparence si opposés, mais aussi de tout ce qui rapproche, une enfance malheureuse, les enfants, une bonne éducation, le rêve de s'en sortir. Puis vient la crise, le renoncement, la faillite, qui font prendre conscience aux plus riches de la valeur de la famille. C'est décrit ici de façon un peu caricaturale peut-être, mais qu'importe, car le rythme, l'intérêt sont là. Même si le roman semble un peu lent à démarrer, parfois un peu idyllique lorsqu'il brosse l'entente entre deux familles que tout oppose, jusqu'au moment où tout s'effondre. Et avant tout jusqu'à la fin du rêve américain, de cet espoir que l'on met dans la réussite qu'on va chercher dans un autre pays, quand on a le courage de tout quitter : famille, amis, pays.
Difficile réalité des migrants, de l'idée que l'on se fait de l'ailleurs, et pour les migrants africains où qu'ils soient, de l'aide qu'il faut continuer à apporter à la famille sans faillir, même quand la situation est difficile, car au pays tous espèrent votre réussite pour s'en sortir aussi. Excellente analyse également du poids de la famille, de la classe, de la tribu et des traditions tellement prégnants en Afrique, et exprimés avec tant de force dans les romans de
Léonora Miano, quand la voix d'
Imbolo Mbue se fait un peu plus légère et laisse une part au rêve et à l'espoir.
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