META 4 Complete Series

Ce tome regroupe les 5 épisodes de la minisérie du même nom parue en 2010.

Quelque part sur une étendue sablonneuse, un homme en tenue de spationaute est étendu à terre. Il reprend conscience, se met debout et constate qu'il ne se souvient plus de son nom. Il repère dans le sable une capsule métallique de Nevada Cola qu'il ramasse. Il trouve dans sa poche un récépissé d'on ne sait quoi avec un nom bizarre : Bzoma. Il se dirige vers les constructions les plus proches : un parc d'attractions. Arrivé au milieu des baraques de fête foraine, il croise un individu en tenue de Père Noël qui s'exprime par pictogrammes. Il repère 2 graffitis étranges. Il finit par se diriger vers les toilettes publiques. Là se trouve une femme au visage tuméfié et aux propos peu clairs. Alors que le spationaute toujours casqué propose de l'aider, un individu à la mine patibulaire surgit et frappe le spationaute à la tête. le Père Noël arrive à la rescousse. Il s'agit des 14 premières pages de ce récit.

Au sein d'Image Comics, Jim Valentino est responsable de la branche "Shadowline" qui édite des comics qui sortent de l'ordinaire. C'est grâce à lui que les précédentes oeuvres de Ted McKeever ont été rééditées en 3 tomes (1) Transit, (2) Eddy Current et (3) Metropol. C'est à nouveau grâce à Valentino que le lecteur découvre cette nouvelle histoire en noir et blanc, écrite et illustrée par Ted McKeever présentant un format inhabituel de 2/3 comics.

Le style graphique de McKeever fluctue au gré des séquences de détails très réalistes à des visages rapidement croqués. Les illustrations se lisent aisément et McKeever s'autorise parfois des épures tutoyant l'abstraction, ou le symbolisme (telle la chevelure en folie de l'aviatrice, ou les restes fossilisés d'une combinaison géante). de la même manière, les tribulations se laissent lire facilement, au gré des déambulations du spationaute et des activités sibyllines des quelques individus dont il croise la route. Mais la narration s'avère cryptique et refuse de livrer son sens.

Passée la surprise de voir ce spationaute sans fusée et sans mémoire se promener sans dévisser son casque, le lecteur surprend rapidement des associations d'idées et un décalage gentiment moqueur, légèrement ironique et puissamment évocateur. Et puis les images font petit à petit leur effet : un spationaute tenant dans sa main une capsule de Coca sur ce qui pourrait être la Lune, le même spationaute devant une fusée en papier mâché servant d'enseigne pour une baraque à hotdog, des silhouettes énigmatiques esquissées sur un panneau de signalisation, etc. Ted McKeever propose un mystère poétique, des scènes décalées recelant un sens indéchiffrable et une forte étrangeté qui interpelle. le cerveau du lecteur ne peut pas s'empêcher de chercher une signification, un fil directeur, une logique, pendant que l'inconscient absorbe ces images absurdes mais signifiantes. Ce premier chapitre porte le sous-titre de "esthétique", et il se rapporte à la notion de beau, d'émotion opposée à la raison. le lecteur doit se contraindre à accepter la forme originale développée par l'auteur, et à laisser de coté pour le moment la logique narrative. le phénomène s'amplifie encore à la fin de ce premier épisode quand les images s'accompagnent de transcriptions de communications entre un équipage de voiture de police et leur base sur une intervention incompréhensible. McKeever remplit ses promesses d'images déconcertantes et esthétiques tout du long.

Et la suite ? Les épisodes suivants sont sous-titrés "Cauteriae", "Mnemonic", "Elucidate" et "Metempsychosis", ce qui donne une idée de leur contenu. le lecteur est invité à découvrir le parcours étrange de cet individu amnésique qui cherche à trouver un sens à ses expériences dans ce monde complètement nouveau où une femme à la carrure impressionnante lui sert de guide. le thème devient celui de l'identité pour celui qui n'a pas de passé. Visuellement, McKeever double cette déambulation métaphysique de mises en scène au sens propre. L'amnésie a déconnecté les connaissances telles que la maîtrise du langage, des expériences qui ont permis de les acquérir. Que croire ? Où se trouve le sens des expériences ? McKeever va proposer 2 ou 3 débuts de réponse, pas forcément cohérentes, sans aller jusqu'à une pleine révélation. le lecteur ne dispose pas au final d'assez d'éléments pour choisir une interprétation plutôt qu'une autre.

Esprit cartésien, passez votre chemin. Dans la préface d'Eddy Current, McKeever insiste sur le fait que la page blanche autorise toutes les narrations possibles et imaginables et qu'il compte bien en profiter. C'est ce qu'il fait ici pour illustrer sous forme de bandes dessinées une de ses convictions sur la vie humaine. le personnage principal explicite cette conviction à l'avant dernière page. le plaisir de lecture découlant de cette métaphore en 5 épisodes ne dépend finalement pas de la nature de cette conviction, mais plutôt des sensations et des émotions générées par ce poème en bandes dessinées. À mon goût, le voyage était agréable et onirique, mais pour partie vain. Les amorces de signification étaient trop embryonnaires pour réussir à déstabiliser ma conscience, pour me projeter hors de ma zone de confort. Par exemple, les insinuations relatives à une éventuelle conspiration ne débouchent bien sûr sur rien, mais sont tellement ténues qu'elles en deviennent trop irréelles, trop impalpables. Il reste un voyage sortant de l'ordinaire, sans être extraordinaire. Cette histoire expérimentale évanescente finit par manquer un peu de substance à force de s'effilocher.