Après «
Danseur » qui évoquait le parcours de
Rudolf Noureev depuis Irkoutsk et sa Sibérie natale,
Colum McCann situe ici son roman dans le New York des années 70.
Entre les twins towers,
Philippe Petit, dont la renommée n'est plus à faire, a tendu un câble d'acier. Tout au long du livre, chacun, redoutant la chute, suit et commente, en filigrane, le cheminement du funambule.
Parcours périlleux, exploit inutile, inconsciente folie ou au contraire extraordinaire maîtrise de soi qui conduisent un homme à défier l'espace, le temps et les éléments… ne faut-il pas voir, dans l'éphémère tentative de surmonter la peur du vide, de se lancer des défis, de repousser ses limites et vaincre l'univers multidimensionnel, une allégorie de l'existence ?
Cette fois encore, je suis émerveillée par cette extraordinaire faculté (facilité) qu'a l'auteur de se glisser dans la peau de ses personnages, faisant siens leurs gestes et leurs pensées, leur passé, leur langage et leurs émotions.
Avec une compassion et une bienveillance qui forcent l'admiration.
Car sinon quelle empathie pourrait-on ressentir à écouter se raconter Tillie, une prostituée du Bronx ou Claire et Solomon, bourgeois de l'Upper East Side, Gloria, une Afro américaine du Missouri ou Lara, junkie bohème repentie torturée par une faute inavouée, ou bien encore Ciaran et Corrigan, frères irlandais à jamais liés par un amour inconditionnel et une complicité sans faille...
A travers le chemin de ces êtres meurtris qui se croisent et interfèrent sur la destinée les uns des autres, l'auteur nous délivre un message universel d'amour et de tolérance.
Vivre est le premier danger auquel est confronté n'importe quel être humain, à la fois soumis à la loi du hasard ou victime de ses choix. Chacun est à la merci d'une chute qui peut lui être fatale et on sait bien que, quelle que soit notre fin programmée, le monde n' en continuera pas moins sa course folle.
Mais lorsqu'une main secourable et une oreille attentive, qui sont le meilleur de la nature humaine, viennent adoucir les durs moments de l'existence, on se dit que cette course n'a pas été vaine.
Les tours jumelles ont disparu, rien n'est oublié, mais la vie continue, envers et malgré tout. Et dans le ciel le souvenir d'un homme qui trace sa voie en dépit du brouillard.