Citations sur Transatlantic (74)
A quoi nos vies se résument-elles finalement ? Des séries d'incidents posés sur de courtes étagères, et qui parfois se regardent de travers.
(L'auteur parle ici de Frederick Douglass)
Il racontait parfois une histoire à son public. En Amérique, les propriétaires utilisaient des tonneaux. De bourbon, surtout. Mais aussi d'huile d'olive, ou de vin, celui qu'ils avaient sous la main. Ils plantaient dans le bois des clous de quinze centimètres. Plaçaient parfois du verre pilé à l'intérieur. Des buissons d'épines. Alors, disait-il, ils emmenaient leur esclave - un mot qu'il prononçait toujours d'une voix plus grave - au sommet d'une colline. Pour le plus petit délit. Peut-être avait-elle oublié de fermer la porte de l'écurie. Fait tomber une assiette. Regardé de travers la maîtresse de maison. Taché un torchon. Qu'importe, il fallait la punir, c'était dans l'ordre des choses.
Au milieu du récit, il lui donnait un nom : Mary. Laissait le silence retomber sur l'assemblée. Il répétait "Mary".
Les propriétaires - il détachait bien chaque syllabe - n'avaient pas seulement obligé Mary à gravir la colline, ils lui avaient aussi ordonné de pousser le tonneau le long du chemin de terre. Pour donner l'exemple, ils avaient rassemblé en haut les autres esclaves. Les maîtres crachaient souvent quelques extraits de la sainte Bible. Forçaient Mary à rentrer. La poussaient à l'intérieur, par la tête, lui écorchaient les épaules. La pointe des clous lui fendaient la peau. Le verre s'incrustait dans la plante des pieds. Les épines lui griffaient les cuisses. Puis ils clouaient le couvercle. Agitaient le tonneau quelques instants, dans un sens et dans l'autre. Citaient encore un verset de la Bible.
En cahotant, le tonneau roulait jusqu'au bas de la colline.
Nos vies sont des tunnels qui parfois se connectent, laissant entrer le jour à des moments inattendus, puis elle nous replongent dans le noir. Suivant un curieux ruban de Möbius, nous retournons à ceux qui nous ont précédés, avant, finalement, de nous reconnaître nous-mêmes.
Nos vies sont des tunnels qui parfois se connectent, laissant entrer le jour à des moments inattendus, puis elle nous replongent dans le noir. Suivant un curieux ruban de Möbius, nous retournons à ceux qui nous ont précédés, avant, finalement, de nous reconnaître nous-mêmes.
Voler, c'est ça. Se débarrasser de soi. Une bonne raison de prendre les airs.
Lottie avait remarqué tout de suite, dès son arrivée à Belfast, que les femmes portaient un mouchoir de dentelle dans la manche de leur robe. Curieuse mode - si l'on peut parler de mode. Une capsule temporelle, amarrée au poignet, promesse de peines à venir. Elle s'y était mise elle-même et puis ça s'est perdu. Les manches rétrécissent, le chagrin grandit, on se mouche dans du papier.
On lui affirma un jour qu'un vrai Irlandais était capable de parcourir quatre-vingts kilomètres juste pour entendre une insulte - cent, si l'affront était réellement bon.
Garder le cap est affaire de magie et de génie. Brown, navigateur, a pour tâche d’orienter l’avion par tous les moyens à sa disposition. Le sextant est fixé sur le panneau de bord devant lui. L’anémomètre et l’altimètre chevillés au fuselage. Le dérivomètre encastré sous son siège, avec le niveau à alcool qui mesure l’inclinaison de l’appareil. Les tables du capitaine Baker, avec leur calque, par terre à ses pieds. Les trois compas sont phosphorescents. Le soleil, la lune, les courants, les étoiles. Et si plus rien ne fonctionne, il naviguera à l’estime.
Il s’agenouille sur son siège pour jeter un coup d’oeil par dessus bord. Se tourne dans tous les sens, prend en compte l’horizon, le panorama et la position du soleil pour poursuivre ses calculs. Inscrit sur une feuille de son carnet : "Reste plus près de 120 que de 140". A peine l’a-t-il donnée à Alcock que celui-ci, dans leur petit cockpit, réduit les gaz, stabilise la vitesse, il ne veut pas trop pousser les Rolls Royce, les règle aux trois quarts de la puissance.
Manoeuvrer un cheval n’est pas si différent : pendant un long voyage, l’avion change de comportement, s’allège à mesure que les réservoirs se vident. Les moteurs trottent, galopent selon ce qu’indique les rênes.
Mais le Président l'appela de nouveau, Clinton avec son charme tranquille, l'ambition faite avec aisance.
Rends-moi service George. Deux semaines en Irlande du Nord.
Comme un congrès, une convention.
Recruté. Il irait les deux semaines, pas plus. Quinze jours qui, à son insu, devinrent une année, puis deux, puis trois.
Lorsqu'une vérité essentielle triomphe, il n'est aucun pouvoir capable de la retenir, de l'emprisonner, de la contester.