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3,35

sur 284 notes
J'étais très excitée en allant acheter le dernier Cormac McCarthy, grand auteur américain dont j'ai adoré Méridien du sang, La Route ou encore Non ce pays n'est pas pour le vieil homme. Mais là, grosse déception ... je n'ai rien compris au Passager, même pas la portée du titre.

1980. Golfe du Mexique. Bobby, le personnage principal, laconique et usé, est missionné comme plongeur de récupération pour inspecter l'épave d'un petit avion de ligne écrasé en eau peu profonde. Il y repère des signes de falsification, l'épave a été visitée et il semble manquer le cadavre d'un des passagers. Peu de temps après, des personnages type FBI aux mobiles mystérieux le harcèlent.

Ce démarrage pouvait laisser penser que l'auteur allait déployer une trame type polar. Mais pas du tout. Bobby passe le reste du moment à fuir sans qu'il ne se passe grand chose si ce n'est de très très longs dialogues existentialistes, à la limite de l'absurde, dans des bars ou des restos. C'est très bavard, ça blablate beaucoup, y compris de physique quantique. On a l'impression de vivre les mêmes scènes, dans les mêmes types de lieu, en boucle.

Bobby aurait pu pourtant un très beau personnage littéraire, un personnage de tragédie grecque qui a réduit sa vie à pleurer sa soeur décédée pour laquelle il éprouve pour un amour inconditionnel de chaste inceste, vivant dans le supplice perpétuel de l'avoir perdue. Frère et soeur semblent vouer à la malédiction des péchés prométhéens du père qui a contribué à créer la bombe atomique aux côtés d'Oppenheimer durant la Deuxième guerre mondiale.

Le personnage de la soeur, dont le suicide est présenté dès l'ouverture, est l'ombre portée du roman. Absente physiquement mais très présente dans l'esprit du frère tout comme dans le récit lui-même avec des séquences en italiques illustrant ses conversations schizophréniques avec le Thalidomide Kid, Maître Loyal inquiétant qui dirige une tripotée de personnages délirants issus des hallucinations de la soeur.

J'ai vécu une sensation de lecture très étrange, flottante. Je ne me suis pas vraiment ennuyée ( un peu quand même ) même si j'ai très souvent eu envie de lire un diagonale ( je l'ai un peu fait hum ). Rien ne m'a atteinte dans ces personnages affrontant les énigmes de la vie et leurs propres démons. L'écriture très singulière n'aide pas la fluidité de la narration, renonçant aux guillemets comme à la plupart des virgules et des apostrophes, le reste de la ponctuation poussant par intermittence.

Pourtant, j'ai continué à lire en me disant que cela finirait bien par décoller, que je finirais par me raccrocher à quelque chose. Je referme le livre très dubitative. Quelques superbes passages m'ont fait tenir, comme celui-ci :

« Il descendit la rue et franchit la voie ferrée. La rougeur du soir dans le verre des immeubles. Très haut dans le ciel un minuscule et tremblant vol d'oies sauvages. Qui traversaient à gué l'ultime vestige du jour dans l'air raréfié. En suivant le tracé du fleuve en contrebas. Il s'attarda au-dessus de l'enrochement. Pierraille et pavés brisés. La lente spire de l'eau qui passe. Dans la nuit à venir il songea que des hommes s'assembleraient dans les collines. Alimentant leurs maigres feux des actes et des pactes et des poèmes de leurs pères. Autant de documents qu'ils ne sauraient plus lire dans ce froid à en dépouiller les hommes de leur âme. »

Le Passager fonctionne en duo avec Stella Maris ( centrée sur la soeur ). Peut-être que ce second volet m'apporterait un éclairage qui me ferait réévaluer cette lecture poussive. Mais pas sûre d'en avoir envie.
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Il n'y a encore aucune critique de ce roman, et j'avoue avoir les chocottes de me lancer.
Je laisserai aux lecteur.rices ayant le bagage littéraire et analytique adaptés parler des qualités/défauts de ce nouveau roman de Cormac McCarthy.
Moi je vais tout simplement vous dire ce que cette lecture a été pour moi.

16 années ont passé depuis la publication du dernier roman de Cormac McCarthy. Même si vous ne connaissez pas beaucoup l'auteur, vous avez dû en entendre parler : La Route. Un roman qui a valu à l'écrivain le prestigieux Prix Pulitzer, et qui a eu droit à une chouette (bien que plus légère) adaptation portée à l'écran par John Hillcoat avec le génial Viggo Mortensen. Avant cela, il y avait également eu No Country For Old Man, avec un Javier Bardem fou-furieux. Et avant... Avant il y a eu bien d'autres livres. le Gardien du verger, son tout premier roman, démontrait déjà cette appétence pour une langue syncopée et sauvage, pouvant paraître indomptable, mais à la force évocatrice rare et au ton rugueux mais juste. D'autres romans donc, d'autres oeuvres majeures, parmi lesquels la Trilogie des Confins, une histoire américaine incommensurable et éternelle, ou encore le furieux Méridien de sang, dont les cicatrices sont encore visibles. Ce rapide aperçu pour vous dire que Cormac McCarthy a eu une belle carrière d'écrivain : malgré un démarrage en France raté pour cause de traductions bâclées, il a eu par la suite quelques succès commerciaux ainsi qu'une reconnaissance des libraires, de la presse et des lecteur.rices. Homme discret évitant de parler de son travail, préférant laisser ses romans parler d'eux-mêmes aux lecteur.rices, il est resté fidèle à lui-même, à sa vision de l'Amérique, de son Sud qu'il chérit si tendrement, et à une écriture d'une singularité à la fois déconcertante et inimitable.

Et pourtant, malgré cette carrière bien remplie (qu'on pouvait légitimement penser terminée), les fidèles éditions de L'Olivier publieront demain le premier tome du diptyque des Western (appelons-le comme ça), à savoir le Passager - en mai suivra Stella Maris. Pas loin de 800 pages au total, par un des plus grands auteurs contemporains actuels. Mais après 16 ans d'absence, de discrétion, et surtout, alors que l'auteur vient de fêter ses 90 ans, il est légitime d'être tendu à l'annonce de ce double roman. Et je ne dis pas cela par scepticisme, car je suis un grand admirateur de l'oeuvre de Cormac McCarthy. J'éprouve simplement une petite crainte, celle qu'on éprouve à voir un artiste sortir l'album, le film, ou ici le livre "de trop". Celui qui fait tâche. Celui que l'on craint. Celui qui abime un héritage possible.

Oui, mais.
On parle de Cormac McCarthy.

Deux jours.
J'ai tout suspendu. Même le temps, il me semble, s'est montré enclin à m'accorder cette suspension totale du monde extérieur en voyant que quelque chose de vraiment spécial était en train de se créer entre ce livre et moi.
Deux jours d'une lecture d'abord déconcertante, (tout juste quelques pages...) et rapidement hypnotique, magnétique, effrénée... Transcendante. Et alors que j'ai refermé le livre il y a 5 jours, je n'arrive pas à aller de l'avant. Moi qui d'habitude lis presque livre sur livre, là, je bloque. Je n'arrive pas à enchaîner. Tout me paraît... fade. J'ai seulement envie de reprendre le Passager, admirer encore ce crépuscule sur la couverture, me demander à quoi peut bien penser ce type au t-shirt blanc adossé à ce chêne des sables, et de refaire un tour. Là le titre du livre prend un tout autre sens, personnel, étrangement. Je veux être un passager à bord de cette histoire. L'être encore, encore...

L'histoire, d'ailleurs, pour vous en dire quelques mots, est assez simple. Les grands livres savent faire l'économie d'une trame compliquée ou tarabiscotée. Ici, il est question de Bobby Western, un jeune gars comme vous, comme moi, la trentaine bien tassée, confronté à un deuil impossible. Et puis un jour, alors qu'il fait son boulot, les fédéraux commencent à lui tourner autour. Vous n'avez pas besoin d'en savoir plus. Ensuite, ce n'est que magie et envoutement.

Ce qui me rend dingue à la lecture de ce roman, c'est l'écriture... Mais comment est-ce seulement possible d'écrire comme ça... A CET ÂGE?! Cormac McCarthy a aujourd'hui 90 ans. Quatre-vingt-dix ans (merci à la langue française qui fait vraiment peser chaque année de cet âge). le type a 90 ans et pourtant il écrit avec la fougue d'un jeune homme de 20 ans! Il y a un élan, une tornade qui vous prend d'entrée de jeu et ne vous lâche plus. Ensuite vous êtes emporté.e dans le tourbillon McCarthy, et les heures défilent, et vous êtes là, émerveillé.e, plongé.e dans cette histoire si belle et si intense et si terrible! Et que dire des dialogues? Pas grand chose. Ils sont d'une vraisemblance sidérante, et donne à ce roman ce ton si frais, énergique et dépaysant. Et que dire de la culture personnelle de McCarthy? Dès qu'il aborde un sujet, il le fait comme s'il était calé en tout. Et j'ai l'impression que c'est effectivement le cas. Ça arrive, qu'on sente qu'un auteur a fait des recherches, s'est documenté auprès de spécialistes pour étoffer des réflexions sur un thème particulier, mais ici, tant de maitrise, tant de fluidité, tout paraît sortir de sa tête comme s'il nous racontait les choses les plus élémentaires et simples qui soient. Qu'il parle plongée sous-marine ou physique quantique, qu'il nous dépeigne l'Amérique des Kennedy ou l'apocalypse d'Hiroshima, McCarthy parle en connaissance de cause, avec un ton fascinant et un vocabulaire riche et évocateur, précis, juste. le gars sait de quoi il parle, point barre. Et nous, on ne peut que rester bouche bée et captivé.e par ses histoires.

Je pourrais continuer encore et encore, mais ça n'apporterait rien.
Je veux juste dire que ce roman m'a profondément marqué, et a fait bouger des choses en moi. Des plaques tectoniques se sont mises en mouvement en moi. Je vous parlais de transcendance, j'ai ressenti cela en lisant le Passager. Cormac McCarthy a toujours côtoyé les aspects métaphysiques qui parfois effleurent dans une vie, ici l'histoire de Bobby Western - qui est aussi celle d'Alicia Western, de Long John, de Debby, de Mamy Ellen, de Oiler et du Kid - en est la quintessence, l'aboutissement d'une vie d'écrivain, de fin observateur. Cormac McCarthy est allé au plus profond de l'âme humaine, et en a restitué sa vision, intime, universelle, profondément touchante et déroutante. Et a transformé ça en un joyau.

Le terme est galvaudé, et puis finalement chacun.e a ses propres classiques, et il ne sert à rien de vouloir s'attarder sur la valeur des arguments que chacun.e pourrait avancer pour justifier un choix qui au fond, n'en est pas un. le Passager est pour moi un chef-d'oeuvre car il s'est tout simplement imposé à moi et m'a transformé. Encore une fois, mais ici d'une façon plus forte et importante qu'avec ses textes précédents, Cormac McCarthy me prouve que la littérature est une affaire sérieuse, capable de changer une personne, capable de déplacer des montagnes et des systèmes solaires. Tomber sur des textes ayant cette puissance géologique est rare, et je suis heureux d'en avoir trouvé un nouveau à ajouter à ma collection secrète, je souhaitais seulement vous faire part de mon infini respect pour cet écrivain si singulier, et pour son dernier roman. Je vous souhaite d'être aussi touché que je l'ai été.

Voici le Passager, que l'on doit aux éditions de L'Olivier, dans un traduction impeccable de Serge Chauvin. Ça sort demain, et c'est bouleversant.

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Cormac McCarthy n'avait plus rien publié depuis l'immense succès de son post-apocalyptique La route, en 2008. Quelques mois avant sa mort, à quatre-vingt-dix ans, paraissent quasi simultanément ses deux ultimes romans, le passager et Stella Maris : un diptyque mélancolique et crépusculaire, mettant en scène un frère et une soeur hantés par leur filiation à l'un des inventeurs de la bombe atomique.


Nous sommes en 1980. Bobby Western a tout du pauvre cow-boy taiseux qui traîne sa solitude au long de vicissitudes parfois bien fâcheuses. Ancien doctorant en physique qui a tout plaqué pour devenir un temps coureur automobile en Europe, il approche la quarantaine et, désormais plongeur professionnel, loue ses services pour toutes sortes d'explorations et de travaux en eaux profondes. Cette fois, il plonge au large de la Nouvelle-Orléans, là où un avion s'est abîmé avec ses dix passagers. Sauf qu'un cadavre manque à l'appel et que la boîte noire a disparu. Que, dans la foulée, alors que la presse reste silencieuse sur le crash, son appartement est visité, son collègue meurt, et la police comme le fisc se mettent à lui chercher noise. Alors, Bobby prend la clé des champs, fuyant avec d'autant plus d'empressement ces mystères par trop menaçants qu'ils ne font que s'ajouter au poids d'un passé aux allures de malédiction.


En effet, à mesure que la narration progresse sans jamais éclaircir les événements qui s'accumulent, irrémédiablement opaques, l'on réalise bientôt qu'un trouble climat de culpabilité familiale flotte sur la narration comme un nuage radioactif. Un amour interdit liait Bobby à sa jeune soeur Alicia, précoce génie des mathématiques atteinte de schizophrénie paranoïde dont il apparaît que ce sont ses hallucinations qui ouvrent chaque chapitre en si étranges et déroutants passages en italique. Alicia s'est suicidée dix ans plus tôt et son fantôme n'en finit pas de hanter son frère. Tout comme les sinistres ombres laissées en héritage par leur père physicien, contributeur au développement de la bombe nucléaire.


« Western était pleinement conscient qu'il devait son existence à Adolf Hitler. Que les forces historiques qui avaient intégré à la grande tapisserie sa vie tourmentée étaient celles d'Auschwitz et d'Hiroshima, les deux catastrophes jumelles qui avaient scellé à jamais le destin de l'Occident. » Dans son errance, Bobby ne fuit pas seulement sa propre situation, il fuit l'absurdité et la folie du monde, désaxé et en totale pertes de repères ; un monde qui a su mettre la science au service de l'horreur et de la destruction, mais pas de sa propre compréhension : « Une fois qu'une hypothèse mathématique est formalisée en une théorie, (…) on ne peut plus nourrir l'illusion qu'elle offre un réel aperçu du coeur de la réalité ». « Toute réalité est perte et toute perte est éternelle ». Et notre protagoniste dépité de citer Kant qui ne voyait dans la mécanique quantique que « tout ce qui échappe à nos facultés de connaissance », tandis qu'un de ses interlocuteurs lui déclare un jour qu'il croit « qu'on arrive au bout » et « qu'il y a des chances qu'on soit encore de ce monde pour le voir se mouiller le bout des doigts et se pencher pour dévisser le soleil. »


C'est ainsi que, mêlant une noire histoire nourrie des traumatismes de l'Amérique, entre bombes atomiques, guerre du Vietnam et assassinat de JFK, à une sorte de débat scientifique dans un contexte globalement contaminé par l'étrangeté de la folie, le célèbre écrivain nous livre un testament éperdument sombre et nihiliste, pourtant non dénué d'une certaine sérénité et d'un humour pince-sans-rire dans son désabusement : une oeuvre complexe, dense, très informée, qui pourrait paraître ardue et déroutante si elle n'était si fascinante.


« Tout le bien du monde ne suffit pas à effacer une catastrophe. Seule une pire catastrophe parvient à l'effacer. »
« La vérité du monde constitue une vision si terrifiante qu'elle fait pâlir les prophéties du plus lugubre des augures que la Terre ait jamais portés. Une fois qu'on l'a admis, l'idée que tout cela sera un jour réduit en poussière et éparpillé dans le néant devient moins une prophétie qu'une promesse. »

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Alors, c'est comment ?
Ça pique un peu au début, mais une fois dedans, t'as plus envie d'en sortir.

Attaquer le Passager de Cormac McCarthy – traduit par Serge Chauvin – c'est un peu comme se baigner dans la mer en début de saison. Tu te demandes si tu vas continuer à avancer ou passer à autre chose, renoncer ou accepter de te perdre. Mais si tu acceptes, alors ta lecture devient expérience littéraire.

Dans le Passager, il y a un crash d'avion, un disparu, des agents de la CIA, Bobby Western un frère plongeur et Alicia une soeur défunte, des pièces d'or et des belles voitures, des maths et de la physique, et puis la bombe à Princeton, au Japon ou à Trinity…

Dans le Passager, il y a l'amour absolu qui se confronte constamment à la douleur de l'absence ; il y a la maladie dévastatrice emmenée par le Kid et son cirque ; il y a la fuite et la solitude. Enfin, une certaine forme de solitude : « Je ne suis pas toute seule. Je suis schizophrène. »

Dans le Passager, il y a un style lent et fascinant, quasi-hypnotique, avec cette impression de ne pas toujours tout comprendre, de ne jamais totalement entrer dans le livre, ni d'en capter tous les messages.

Et pourtant, la loi de l'attractivité littéraire t'y ramène inexorablement et te rend heureux de continuer à ne pas tout comprendre. Enfermé dans son oeuvre testamentaire, McCarthy suit son fil, donnant l'impression de se moquer que le lecteur le suive aussi ou pas.

Il pousse sa métaphore physique jusque dans l'écriture, nous offrant une plongée dans un accélérateur de particules littéraires où le lecteur est bombardé de fulgurances dont le niveau dépasse son faible seuil de compréhension, mais qui peut à peu forment une dynamique centrifuge dont il ne peut plus, ne veut plus, volontairement s'échapper.

À travers Messire Bobby, McCarthy nous délivre à voix haute ses derniers questionnements : « Je crois que c'est parce que les gens s'ennuient tellement qu'ils en perdent la boule (…) Il y a des matins où en me réveillant, je perçois une grisaille dans le monde qui n'était pas aussi flagrante auparavant. »

Mais ni moraliste ni désabusé, le regard reste autant inquiet que curieux : « Les horreurs du passé s'émoussent, et ce faisant nous rendent aveugles à un monde qui se précipite vers des ténèbres excédant les hypothèses les plus amères. Ça promet d'être intéressant. »

Alors on en revient forcément à Dieu : « Drôle de type ce Dieu. » Et plus loin : « Je ne sais pas qui est Dieu ni ce qu'il est. (…). Mais en recourant à la source, on doit finir par trouver une intention. »

Le Passager est une expérience de lecture magnétique, à tenter absolument, dont je ressors incertain d'avoir tout capté, mais étourdi par l'impression d'avoir lu un grand livre et ce qui, je crois, s'appelle de la littérature. Avec certaines phrases qui me font encore frissonner :

« Dans la nuit à venir, il pensa que des hommes s'assembleraient dans les collines. Alimentant leurs maigres feux des actes et de pactes et des poèmes de leurs pères. Autant de documents qu'ils ne sauraient plus lire dans ce froid à en dépouiller les hommes de leurs âmes. »

Et pour finir, posé au coeur du livre, ce clin d'oeil offert à quelques amis bookstagrammeurs : « Mais je vous rétorquerai, Messire, que le simple fait d'avoir eu plusieurs dizaines de lectures communes, constitue un ciment plus puissant que le sang. »
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Plusieurs romans se mêlent dans ce livre, métaux en fusion qui se fondent l'un dans l'autre. Des dialogues courent sur des pages entières, conversations de celluloïd dénuées de verbes de parole, bientôt remplacées par des descriptions lyriques rythmées d'énoncés laconiques aux "et" caractéristiques de l'auteur. Il évoque la solitude de l'homme moderne, l'amour qui ronge, la mort qui efface ou souligne la présence absente (plus de détails : https://pamolico.wordpress.com/2023/03/06/le-passager-cormac-mccarthy/)
Lien : https://pamolico.wordpress.c..
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Quinze ans qu'on l'attendait, Cormac, depuis la parution de la Route. Quinze ans qu'on piétinait de pied ferme, et puis le voilà, avec cette chose aux contours mystérieux et intemporels.
Qu'on ne s'y trompe pas. J'ai aimé. J'ai adoré.
Mais comme j'ai souri en imaginant le vieil homme concocter sa mixture démoniaque, se riant sûrement de la stupeur à venir de son éditeur.
La recette est machiavélique, et le chaudron plus calaminé que toute l'histoire du monde accumulée.
Un héros mélancolique et shakespearien, (nommé Bobby Western, ça ne s'invente pas!), plongeur de récupération, ex coureur automobile, et accessoirement expert en physique quantique.
Sa jeune soeur, prodige en mathématiques, belle au-delà des mots, qu'il aimait d'amour fou, mais qu'un soir d'hiver à cueilli à l'empan d'une corde.
Leur père à tous deux, autre prodige en physique, génie oublié, enseveli sous les radiations d'une bombe qu'il a contribué à créer, et qui a rayé de la carte deux villes nippones.
Des mystères jamais élucidés.
Un avion crashé sous l'eau, intact, mais dont un passager a disparu.
Des hommes en costume noir qui traquent notre héros pour une raison à jamais inconnue.
Des amis gangsters et philosophes aux répliques d'une inénarrable sagesse.
Des bébés hurlants, sans doute parce qu'ils savent ce qui les attend.
Des revenants hantant les nuits, menés par un nabot thalidomide désopilant, Monsieur Loyal d'une troupe de cirque aussi pathétique que spectrale.
Et l'on pourrait poursuivre longtemps l'énumération des multiples entrées de cette équation qui compose le Passager.
Au final, une réflexion insondable sur le sens de la vie; une mise en abyme du bien, du mal et de l'éternelle impuissance à les comprendre.
Comme le vieil homme a dû pleurer en nous livrant ces phrases venues des tréfonds de ses tripes...
"Le mal n'a pas de solution de repli. Il est tout bonnement incapable d'envisager l'échec. " "Et l'histoire tout entière, un simple filage de sa propre extinction."
Le rideau peut tomber sur la scène déserte. le noir n'est jamais complet dans un théâtre. En coulisses brille toujours une lampe qu'on appelle sentinelle.
Et Cormac peut s'apaiser, son oeuvre est parachevée. Finalement, La Route ne pouvait mener qu'à ces rivages où, peut-être, des hommes détiennent encore le Feu...
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Un roman déroutant où on a l'impression de suivre plusieurs pistes sans savoir vraiment où on s'en va.

On a un corps trouvé dans la neige.

On a Bobby, qui est engagé pour plonger dans une épave. Mais il s'agit d'un avion dont l'écrasement n'a été signalé nulle part. Et on découvre qu'il manque peut-être un passager… Il semble qu'il s'agisse d'un obscur complot où des hommes en noir menacent ensuite la vie des plongeurs.

On a des chapitres où une femme reçoit la visite de créatures de cirque dans sa chambre. On se demande si on est dans un roman fantastique, jusqu'à ce que l'on comprenne qu'elle a des visions, un problème de santé mentale.

On apprend que la femme qui a des visions, c'est Alicia, une jeune prodige des mathématiques. Elle est la soeur de Bobby, et leur père est un des scientifiques qui ont conçu la bombe atomique.

Et on trouve des pièces d'or dans la cave de la grand-mère.

Et Bobby est obsédé par sa soeur morte.

Et puis…

Et puis, il y a l'auteur, Cormac McCarthy, décédé le 23 juin 2023 à l'âge de 89 ans. Ce livre fait partie de ses dernières oeuvres, publiées l'année précédente.

Et puis une lectrice un peu déstabilisée, mais qui continue la lecture malgré tout, car dans ce foisonnement de pistes étranges, il y a aussi un foisonnement d'idées, d'humour et de réflexions qui en valent la peine.
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Nouvelle Orléans, Bobby est plongeur de récupération. Une mission l'envoie sur l'épave d'un avion échoué au fond de l'océan. Clairement, il manque un passager, du matériel.
A partir de là, la petite vie de Bobby est perturbée. « Ils », « eux » fouillent son appart, l'interrogent, le fisc lui tombe dessus.
Intercalés entre ces chapitres, d'autres en italique sont consacrés à sa soeur Alicia, suicidée 10 ans plus tôt et à ses conversations avec Kid, une espèce de personnage zoomorphe qui serait l'illustration de sa schizophrénie.
Dire que je n'ai rien compris serait un euphémisme.
Je n'ai pas compris le sens de ce récit. Par moment, il m'a semblé que j'accrochais, qu'un fil se dénouait… et puis, pfff… fil perdu à nouveau.
Je me suis perdue dans les conversations de Bobby et ses amis, d'Alicia et le Kid. Des conversations à n'en plus finir dans lesquelles je me suis empêtrée, des conversations dont le propos m'a échappé bien trop souvent et ou, bien souvent aussi, je ne savais même plus du tout qui disait quoi tellement McCarthy a épuré toute marque de dialogue.
Et pourtant, par moment, certaines remarques m'ont vraiment percutées.

Il faut que j'y aille.
D'accord. Ça va ?
Non. Et vous ?
Non. Mais nous on revoit nos espoirs à la baisse. Ça aide.
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CORMAC

J'ai été pris d'un vertige avant d'entamer ma lecture. Et si je n'aimais pas ? Si je dézinguais le dernier McCarthy ? le passager ? C'est chiant. Ivresse du buzz à clic.

Mais bon... J'essaie d'avoir mon propre avis. Sans influence. Enfin avec la plus petite part d'influence possible, la plus infime. Je n'ai pas d'esprit de contradiction. C'est con l'esprit de contradiction car c'est la majorité qui dicte ton choix, pour la contrer systématiquement. le systématisme c'est comme une chanson d'Indochine, j'évite.

J'ai taquiné l'idée de pourrir le passager pour conclure que tout le post était du flan et que ce livre était magistral. Mais déjà qu'on m'a souligné que mes post étaient top longs, que cela me coûte en audience, on pourrait rester sur cette première fausse impression.

Ce ne sera pas moi qui portera un coin dans l'unanimisme louangeur qui entoure le dernier livre de Cormac. J'ai aimé. Foutrecouille que j'ai aimé, ‘videmment, mais cela va même au-delà. Ils sont rares finalement les livres, une fois reposés, qui te font dire que tu viens de lire un jalon, l'une de pièces les plus ouvragées de l'échiquier.

Dans une oeuvre qui n'en manque pas, une bibliographie parmi les plus denses et les plus impressionnantes du siècle passé et en-cours. À tel point que La route est peut-être le livre de McCarthy le plus accessible alors que sa dureté et sa noirceur sont abyssales.

Que dire donc ? Déjà abandonner toute idée de cohérence dans ce post et balancer en vrac que le passager est tout à la fois énigmatique et clairvoyant, exigeant et fluide, d'une écriture à l'os et travaillée, soutenue et inventive. Et de rappeler que Cormac a 90 ans et que son livre est d'une affolante modernité et le sera toujours.

Au-delà de l'intrigue, cette maestria narrative de 537 pages est un grand livre sur la folie et le deuil. Bobby Western, héros noir et tragique, amoureux gothique qui ne déparerait pas dans les pages de Poe, portant le deuil de sa soeur aimée (au -delà des bornes communément admises de l'amour fraternel) et sa soeur Alicia morte suicidée dès les premières pages du roman, schizophrène et génie des mathématiques sont les deux faces d'une même pièce qui tournoie sans fin faute de pouvoir s'arrêter sur la tranche.

Cormac est également un dialoguiste hors pair. Dans un tout autre registre, Erri de Luca a le sens inné du dialogue mais là, on touche au sublime. Les répliques fusant entre Alicia et ses hallucinations schizoïdes qui avaient tout pour être d'une profonde et implacable chiantitude relèvent d'une commedia dell'arte alerte et malaisante.

C'est bien cette vista miraculeuse (d'un nonagénaire qui en remontre à nos quinquas flétris, compassés et confits dans une autofiction qui donne ses plus belles lettres à la chiantitude pour le coup) qui fait couler comme un torrent vif et frais les passages sur la mécanique quantiques auxquels je n'ai rien bité ou si peu. Et l'éventail des thèmes abordés par Cormac est étendu : l'assassinat de Kennedy, la plongée en eaux profondes, la nature célébrée sans être mythifiée... Sans tourner à l'effeuillage, au syndrome du catalogue, le « faut que je te bourre tout ça, j'ai fait des recherches merde ! »

Voilà...

Je l'ai fini.

Malgré l'aura imposante, écrasante presque de ce chef-d'oeuvre, on termine ce livre presque apaisé, d'une mélancolie sereine.

J'ai aimé Cormac.

J'aimerais peut-être plus d'autres livres mais il y en aura peu qui me hanteront comme celui-là.

Cormac et ses spectres. Un nécromancien le mec...

Lien : https://micmacbibliotheque.b..
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Après avoir exploré les confins de l'Amérique rurale, Cormac McCarthy plonge, avec le Passager, dans les confins de l'âme humaine et c'est un choc littéraire sans précédent.

Les personnages sont des marginaux qui ont pris des chemins parallèles et que la société a mis au banc des rebuts.

Bobby Western aurait pu décider d'être ingénieur comme son père le spécialiste en physique nucléaire ou chercheur en mathématiques, mais il est devenu pilote de course et plongeur en eau profonde.

Tout comme sa soeur Alicia qui, entrant à la fac à 12 ans, aurait pu devenir une scientifique et une musicologue de talent, mais atteinte de schizophrénie, elle a passé sa courte vie d'un internement à l'autre, entourée d'une kyrielle d'entités déjantées nées de sa psychose.

Animés par un amour passionnel et fusionnel ces deux-là n'ont jamais pu s'intégrer à une vie « normale » et Bobby ne se remettra pas du suicide d'Alicia.

Passant de chapitres d'une excentricité folle, au milieu des saltimbanques qui peuplent l'esprit d'Alicia, à l'âpre réalité de la vie d'asociaux de Bobby et de ses amis de Knoxville, l'auteur nous plonge dans une société où l'intelligence génère la marginalité et où la mort marche aux côtés de la vie, avec cette idée enracinée que «quel que puisse être l'endroit où on descend du train, il n'a jamais eu d'autre destination».

Au coeur de la nouvelle Orléans et de ses quartiers populaires, les personnages ont des liens forts et lumineux et c'est par des dialogues d'un extraordinaire naturel que McCarthy nous fait côtoyer ces géants aux ailes brisées.

Un roman comme un testament, presque un adieu à ce monde d'exclusion, qui réservera peut-être des surprises dans un deuxième volet que j'attends avec beaucoup d'impatience.

Mais pour le moment, j'ai encore le souffle coupé par ce phénomène littéraire rare et il me restera en tête la profondeur d'une infinité de phrases d'ordre philosophique qui n'ont pas fini de me questionner. Et si je le referme avec le sourire aux lèvres, c'est que malgré sa grande noirceur, il en émane une délicieuse pointe d'humour.

Allez « n'aie pas peur pour moi, la mort n'a jamais fait de mal à personne ».
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