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sur 58 notes
À la périphérie du village irlandais de Louisburgh situé dans le comté de Mayo, une maison, une cuisine d'où l'on entend sonner les coups de midi qui ébranlent la cloche de l'église. Marcus est là, dans cette pièce, après avoir parcouru la maison vide. Quatre heures à tuer avant le retour de Mairead, sa femme. Des heures qu'il va falloir occuper. le journal est là, sûrement acheté par Mairead, il donne la date du 2 novembre.

Les pensées de Marcus arrivent, emplissent les pages sans se soucier d'une quelconque interruption, ni suivre une forme classique de ponctuation. Seules les virgules sont présentes ainsi que des sauts à la ligne pour marquer des semblants de pauses dans ce flot continu. L'absence de points est finalement loin d'être gênante et se calque à merveille sur ce processus ininterrompu que forme la pensée qui défile dans le cerveau de Marcus, comme dans tout esprit humain. le fil suit une idée, un souvenir, un fait marquant de l'actualité puis dévie, se perd parfois et revient ensuite sur sa première trace.
Un article du journal fait un retour sur l'effondrement économique qui a mis à mal tout le système bancaire du pays. Un autre article amène à penser aux particularités qui s'attachent au comté de Mayo comme cet ancien projet industriel polluant dont les bâtiments qui doivent être repris sont truffés d'amiante. Marcus pense alors à son père, emporté par le souvenir des dimanches soirs où il l'accompagnait au minibus qui emmenait le travailleur vers la construction de ces locaux.
Le métier d'ingénieur du génie civil de Marcus lui fait considérer l'instabilité et la précarité de certaines constructions, avec des parallèles sur l'effondrement inéluctable de l'homme. de nombreuses réflexions se télescopent avec force, sur notre monde construit par les politiciens, sur la religion, l'art, ou sur la place du citoyen dans une communauté. Et lorsqu'un problème sanitaire touche la santé de sa femme, accoutumé à se nourrir intensément d'infos, notre narrateur se voit alors comme un maillon pris dans un monde où les décisions des uns ont finalement des répercussions au sein même de son quotidien.
Ses pensées le ramènent bien souvent vers sa femme, leur rencontre, leur mariage et les bonheurs ou déconvenues du couple. Sa fille Agnès et son fils Darragh sont aussi sujets de préoccupations quant à son rôle de père.

Au fur et à mesure de notre navigation dans les méandres de la pensée de Marcus, une tension sous-jacente nous fait percevoir une forme d'urgence dans son quotidien. Par ses propos d'une extrême précision, son anxiété rejaillit sur la lecture, accentuée par la longueur de cette phrase de 275 pages qui n'aura pas de point final. Dans ce soliloque sans début ni fin, en cette journée grise de novembre, sur cette côte occidentale irlandaise, l'actualité du jour ainsi que celle d'hier, les souvenirs anciens et ceux du début d'année s'enchaînent et constituent tout ce qui fait la vie d'un homme.
Cette lecture peut être déstabilisante au niveau de la forme mais cette forme-là retranscrit parfaitement la ligne ininterrompue de la pensée humaine et j'ai donc trouvé l'exercice osé mais tout à fait approprié. Avec un vocabulaire des plus pointu, l'auteur signe ici un livre marquant mettant en lumière les petits détails qui font la beauté de la vie juxtaposés à des considérations plus métaphysiques de notre monde et de la vie en général.
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Bien entendu, l'écrivain irlandais Mike McCormack (° 1965) n'est pas le premier à écrire un monologue interne extrêmement long. Son illustre compatriote James Joyce ainsi que Virginia Woolf sont deux prédécesseurs bien connus. Mais McCormack a néanmoins réussi à donner sa propre tournure au processus : nous nous trouvons constamment dans la tête de Marcus Conway, qui - à sa table de cuisine - sur plus de 260 pages revient sur les phases récentes et moins récentes de sa vie et réfléchit sur les problèmes les plus divers. Conway est ingénieur dans un service municipal de l'ouest de l'Irlande et est un mari et un père inquiet. À première vue, cet homme sympathique semble un sujet improbable pour un roman intéressant.

Mais McCormack parvient à maintenir notre attention, même si son approche stylistique n'est pas facile : il n'y a pas un seul point dans ce livre, il s'agit donc techniquement d'une seule phrase de 260 pages. Mais, bien sûr, des marques invisibles peuvent être placées, car le monologue interne de Marcus fonctionne de manière associative, avec une chaîne de gros blocs de contenu sur les événements ou les sujets les plus divers.

Au début, il ne semble pas y avoir de thème récurrent, mais après un certain temps, il devient clair qu'il s'agit du thème d'ordre et de chaos, de construction et de décomposition. Notre protagoniste, l'ingénieur Conway a un oeil particulier pour les merveilles des bâtiments et des machines. A ses yeux, ce sont des réalisations humaines dans lesquelles se reflète la puissance divine ; il fait même référence à l'histoire selon laquelle, après la création, Dieu a consciemment transféré son pouvoir aux ingénieurs pour terminer le travail. Mais alors, bien sûr, d'innombrables signes de décadence et de déclin lui viennent à l'esprit : dans les objets matériels, dans les relations, dans les évolutions sociétales. La crise financière de 2008 en particulier est un point central important, car elle a conduit à l'effondrement de l'économie irlandaise, jadis connue sous le nom de «tigre». Mais aussi la corruption des politiciens, des entreprises de construction et même des collègues ingénieurs est évoquée. Et, enfin, il y a aussi la mystérieuse intoxication par l'eau qui se produit dans sa ville (fortes références ici à « La Peste » de Camus) et dont sa femme devient victime.

McCormack a fait un travail formidable pour nous transmettre toutes ces réflexions, à travers l'esprit de Marcus Conway. Certaines associations sont amenées de manière très poétique. Et bien que pas tous les pages ne soient aussi réussis, et que parfois la prose reste un peu dans l'air, l'ensemble du livre fait vraiment une forte impression. Et puis il y a surtout le passage final, d'une trentaine de pages, qui est vraiment sans précédent. Ce McCormack n'est certainement pas pour tout le monde (d'ailleurs, ni Woolf ni Joyce), mais avec ce livre, mon année de lecture 2020 a vraiment commencé avec un grand 'boum'.
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Plaisir à découvrir un texte si proche de la pensée, comme une narration de vive voix, qui attire formidablement toute l'attention (y) Finalement, je m'y perds et ne le termine pas :'(
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À deux reprises j'ai essayé... À deux reprises j'ai abandonné... La perspective de 275 pages sans point, sans respiration. Qui sait, plus tard j'accrocherai peut-être!
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Traduit par Nicolas Richard
Et voilà, j'ai terminé le dernier roman irlandais qu'il me restait à lire dans ma PAL des romans parus en 2019 !
Je termine en beauté avec le troisième roman de Mike McCormack, publié en Irlande en 2016 et lumineusement traduit en français l'an dernier. le seul publié de l'auteur à ce jour dans l'Hexagone, d'ailleurs (ben alors ?)... Ce livre a été primé deux fois en Irlande "Book of the year" dans le cadre de l'Irish Book Award et couronné en 2018 de l'International Dublin Literary Award.

Mike McCormack vit à Galway mais a grandi dans une ferme de Louisburgh, dans le Mayo. C'est un habitant de ce village, Marcus Conway, qu'il me en scène dans son roman. Marcus est père de deux grands enfants, Agnès, artiste gothique et Darragh exilé en Australie. Il est marié à Mairead. Marcus est assis à la table de sa cuisine, seul, et écoute l'angélus. Il habite Louisburgh depuis 25 ans, il y a élevé sa famille, s'y est marié. Il a quatre heure devant lui avant que Mairead revienne du travail. En temps normal, il aurait été content de cette situation, "mais là, l'idée [le] met mal à l'aise"
"il doit y avoir moyen  de remplir ce temps qui s'étale devant moi, couper court à ce malaise qui me ronge parce que
le journal,
oui
c'est ce que je vais faire
le journal du jour
prendre les clés de la voiture et me rendre au village pour acheter le journal, me garer sur la place devant la pharmacie et ensuite rester dans la rue et
c'est ce que je vais faire"

Marcus va vous raconter sa vie. Ne pas s'attendre à un poussif récit chronologique. Les frontières temporelles sont abolies, le lecteur suit le monologue intérieur du personnage, ses digressions mais pourtant cela n'a rien d'ennuyeux. Il est difficile de résumer ce roman sans l'escamoter. C'est l'histoire d'une vie qui vacille.

Marcus travaille au conseil du comté de Mayo (l'équivalent de notre conseil départemental) comme ingénieur civil. Tout va bien dans sa vie jusqu'au jour où Mairead est prise de ce que elle et lui pensent être une intoxication alimentaire. Mais peu à peu, c'est tout le village ou presque qui se met à vomir et à déféquer.

Il s'agit bien d'une épidémie, d'un virus qui commence à semer la panique. Imaginez ma surprise quand je vois cette thématique me sauter au visage en pleine crise sanitaire due à la pandémie COVID-19 !
Des pages savoureuses, mais effrayantes également sur l'inconscience dans les hautes sphères politique et financière, prêtes à tout, en dépit du bon sens, en dépit du respect de la nature et des hommes.

"la crise se répandait, le nombre de patients dépassait les quatre cents et commençait à sérieusement mettre sous pressions les services médicaux municipaux, un chiffre qui masquait ce que de nombreux observateurs estimaient être une gigantesque lame de fond de malades qui n'avaient pas été admis à l'hôpital mais dont la présence en creux se faisait sentir dans la vague croissante d'absentéisme au sein des secteurs public et privé (...)"

"les ingénieurs n'arrivaient toujours pas pour l'instant à identifier la source de la contamination (...)et en attendant la municipalité en faisait des tonnes à propose de la nouvelle station d'épuration des eaux de construction, une installation ultra-moderne qui serait implantée à côté de celle qui existait déjà (...)"

"(...) il avait été relayé sur les ondes nationales, chaque reportage teinté d'une pointe de joie malsaine en constatant  qu'une ville qui s'était fait une réputation fort lucrative de Mecque culturelle, avec ses douze mois par an de festivals et de célébrations, étaient à présent frappée par une peste biblique (...) qui sanctionnait une espèce d'incompétence semblant affliger un lieu qui s'était toujours si pleinement consacré au carnaval(...)"

"un sujet qui manifestement s'éternisait si bien que la ville elle-même semblait désormais confite dans sa propre crasse (...)
sa rapide expansion urbaine lors de la décennie écoulée avec de vastes ensembles immobiliers le long de la route côtière qui avaient radicalement accru la consommation d'eau puisée dans la nappe phréatique de la ville, faisant baisser son niveau, si bien que sa pureté était davantage compromise par les quantités accrues d'engrais chimiques qui avaient ruisselé dans le lac durant les semaines de printemps de pluies incessantes (...)"

Marcus est un personnage attachant qui se bat contre des murs, une hiérarchie sourde. C'est aussi un époux désespéré qui cherche à sauver sa femme des bras de la Grande Faucheuse.

Marcus raconte son histoire un 2 novembre. Ce n'est pas un simple hasard. A vous de découvrir pourquoi !

Un livre qui évoque la politique politicienne, la folie, l'amour, les liens familiaux famille, la maladie, la souffrance, la mort, l'écologie, la course au profit, d'une plume virtuose et d'un seul souffle. Epatant !

A découvrir absolument !


Lien : http://milleetunelecturesdem..
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Si l'on est désarçonné au début par ce roman, une seule longue phrase de trois-cents pages, de brusques retours à la ligne, des paroles reprises telles des refrains, on est vite séduit par ce récit fluide qui nous fait entrer dans la tête du personnage et en épouse le flot de pensées. Alors que la cloche de l'angélus de ce jour de novembre ouvre le roman, les souvenirs de Marcus s'écoulent : son enfance, le travail de son père, la mort de sa mère, son mariage, ses erreurs, ses relations avec ses enfants, dépeintes avec justesse, le père dont la raison vacille... Il repense à ses colères d'ingénieur confronté à la corruption et l'impatience des élus ou face à l'empoisonnement de sa femme par l'eau contaminée de la ville. Quand il livre ses réflexions sur la vie du comté et sur sa propre existence, l'intime est lié au chaos du monde, le présent fait écho au passé. Il fait le portrait de ce comté rural irlandais, à la lumière si particulière, terre de martyrs marquée par la misère et l'emprise de la religion et plus récemment par la crise financière. La qualité poétique et musicale du texte, le rythme proche de l'oralité et la technique du flux de conscience rendent ce roman profondément original et touchant.
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J'ai été enthousiasmée par ce texte. Un monologue où la respiration tient le haut de l'affiche. Pas un seul point, seulement des virgules.
Marcus Conway est ingénieur en Irlande. Sa femme tombe subitement malade, première victime d'un scandale sanitaire.
De digression en digression, Marcus nous livre ses pensées, ses jugements, ses émotions. L'auteur déroule la vie personnelle d'un homme, son intimité, ses valeurs. C'est aussi une immersion dans l'Irlande contemporaine, la politique et le monde des affaires intimement liés.
J'ai quitté ce livre exaltée.
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Merci à Netgalley et aux éditions Grasset de m'avoir permis la lecture de ce roman déroutant.

Déroutant par sa construction puisqu'il n'y a pas de ponctuation et par la chute inattendue.Marcus,ingénieur et sa femme Mairead,professeure vivent à Louisburgh en Irlande ,proches de leur fille ,jeune artiste peintre et éloignés de leur fils qui bourlingue en Australie.

Au fil de ce roman,Marcus revient sur son passé ,son travail ,la naissance des ses enfants,la mort de ses parents.Un livre atypique.
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Et si la beauté résidait là,
Entre les pages de ce roman ?
Coincée entre les os et la lumière,
Au creux de ses mots, au coeur de ses phrases,
Dans l'espace ténu qui se tient le dos droit, entre le bonheur et la douleur ?

Et si la beauté était là, dans cette image ?
Celle d'un homme, installé à la table de sa cuisine,
Se plongeant dans ses souvenirs.
Tous ses souvenirs.

Et s'il y avait bien plus que cela dans ce roman ?
Un monde tout entier coincé dans ses 350 pages ?
Si toute la complexité de l'âme humaine y avait trouvé refuge ?
Et si l'Homme dans ce qu'il avait de plus précieux s'y voyait sublimé ?

Il est midi et les cloches retentissent dans le petit village de Louisburgh, à l'ouest de l'Irlande. Assis devant la table de sa cuisine, Marcus Conway écoute la radio en lisant son journal. Pendant une heure et jusqu'au prochain bulletin d'information, il se plonge dans ses souvenirs depuis l'enfance jusqu'à l'âge adulte. Il désosse son passé comme il observe les ponts, avec autant de minutie que d'émerveillement. Il se rappelle ses premières années d'homme marié, la naissance de ses enfants, les combats quotidiens contre la corruption locale et les dernières folies de son père. Il se souvient de ce jour où, comme une large partie de la population du comté, sa femme est prise de violentes douleurs. Il évoque ce trajet en voiture vers la ville pour lui rapporter des médicaments, et sa vie qui s'est mise à vaciller.

Me voilà bien embêtée, bien empêtrée.
Eblouie.
Difficile de construire une chronique sensée. D'y trouver queue et tête.

Après tout, le dois-je vraiment ?
Cela ne saurait rendre hommage à ce roman, cette lumière.
Lumière dans la nuit. Expression galvaudée.
Mais sciemment utilisée.

Car il aura fallu 350 pages à Mike McCormack pour recouvrir le mot humain de son voile le plus somptueux,
et il me sera bien difficile de ne pas l'ôter en tentant toute analyse un temps soit peu « fouillée ».

Lorsque le regarde les critiques de D'os et de lumière qui peuplent la toile, aussi diverses soient-elles, je trouve le même désarroi que celui auquel je me trouve confrontée.
On se contente de faire un pâle résumé du roman, on aborde sa « forme » si particulière, on en dit tout le bien (ou le mal, mais c'est plus rare) que l'on en a pensé et hop, on passe à autre chose.
Mais il m'est difficile de procéder ainsi.
Je suis bien trop émerveillée pour cela.

Alors certes, la forme est loin d'être conventionnelle. 350 pages, une seule longue phrase, pas de ponctuation (ou si peu), pas de majuscule, pas de point (même pas final), juste des passages à la lignes comme on passe d'une idée à une autre sans être capable de comprendre le cheminement qui fut le nôtre.
Cela en fait bien entendu un roman tout à fait original, un OLNI (objet littéraire non identifié) comme on aime à le dire dans le monde des bloggeurs littéraires, un ouvrage livré en un souffle, suivant à la lettre les circonvolutions de la pensée humaine qui ne s'arrête devant aucune barrière et file avec le courant, tout naturellement.
Et certes, le résumé que l'on peut en faire est on ne peut plus sommaire et il semble difficile de convaincre un lecteur amateur de rebondissements.
mais…

...mais tout ce que je viens d'écrire précédemment est faux.
Partiellement tout du moins.
Infiniment aussi.
Parce que si l'on considère que ce roman est une lumière à l'état pur, une petite source d'énergie fragile et terriblement puissante à la fois,
Si l'on parvient à entrer dans cette danse de souvenirs interminable et passionnelle,
Si l'on accepte de se mouvoir avec Marcus, dans son âme et dans son coeur,
De le suivre sur le chemin de sa pensée complexe et vivante,
Au milieu de l'infinie beauté du quotidien,
On se retrouve au coeur d'une absolue merveille.
Un roman dont l'âme ne se révèle dans toute sa splendeur que dans les derniers paragraphes, un roman un peu magique dans lequel l'âme irlandaise semble résonner avec force.

Une fois refermé, on se dit immédiatement qu'il nous faut le relire. Avec un nouveau prisme. Celui d'une réalité que l'on ne découvre qu'à la fin et qui jette une lumière toute différente sur cette belle narration. On se dit qu'il existe des auteurs capables de te donner des frissons en parlant de choses on ne peut plus quotidiennes, en évoquant les petits bonheurs du jour, l'affaiblissement du manche d'un couteau ou le bord biseauté d'une poignée, en parlant des souffrances communément partagées, de la mort, de la honte, de la peur. On se dit que la magie est un peu partout, et que si l'on y fait un temps soit peu attention, on pourrait se réveiller dans un monde peuplé d'êtres et de choses capables de faire de notre vie un paradis d'émotions non-artificielles.

Et l'on se dit enfin que la Beauté, celle qui nous éblouie ou celle qui se cache au creux du moteur d'un tracteur, est décidément bien installée au coeur D'os et de lumière.
Lien : http://www.mespetiteschroniq..
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D'os et de lumière est un roman surprenant dans la forme. Mike Mc Cormack y raconte la vie d'un homme, Marcus Conway, ingénieur de son état. Nous sommes en Irlande, en 2008, précisément dans le village de Louisburgh appartenant au comté de Mayo, terre empreinte de martyrs, de fantômes et de vestiges religieux. Jusque là rien de bien original.
Sauf que le récit est une longue phrase de 350 pages, d'un seul tenant ou presque, qui nous plonge dans la tête du narrateur durant une heure. Un peu plus pour le lecteur, je tiens à vous rassurer !
C'est une phrase unique, sans un seul point, comme suspendue au-dessus du vide, une longue phrase mentale avec cependant des respirations. Ces respirations, ce sont de longs paragraphes qui rebondissent comme des ricochets, agissent comme des ruptures, des retours à la ligne. D'une tranche de vie à l'autre nous sautons presque à pieds joints dans le flux discordant de la pensée du narrateur. J'ai trouvé le procédé plutôt déconcertant au premier abord, il prête parfois à sourire, car les liaisons d'un segment à l'autre sont parfois hasardeuses, autant de chemins tortueux, tourmentés, qui peuvent traverser les fragments d'une vie. Cependant, au final il reste la sensation de quelque chose d'harmonieux, comme des vies agrégées, des morceaux de puzzle qui s'assemblent et qui tiennent, prennent corps par leurs coutures...
Nous somme dans le flux de conscience d'un homme assis dans sa cuisine, écoutant la radio. Il écoute les informations, le monde tel qu'il est, tel qu'il va, ou plutôt tel qu'il ne va plus. Il y a quelque chose de chaotique dans ce monde abimé par les dérèglements climatiques, les crashs boursiers, les injustices, les guerres, les corruptions locales et même l'intoxication alimentaire qui touche certains habitants du comté, dont son épouse...
C'est alors que tout vient comme une vague, un flot de pensées. Parfois cela passe du coq à l'âne, ce n'est pas gênant, une pensée s'accroche à une autre, on déroule le fil, cela prend forme peu à peu.
Des souvenirs d'enfance s'invitent tout d'abord, il se souvient de son père et brusquement c'est l'image d'un tracteur désossé par ce dernier dans un hangar à foin et c'est la réalité brutale avec le monde tel qu'il est, un choc qui fut presque métaphysique pour l'enfant. Je ne regarderai plus jamais un Masey Ferguson de la même manière !
Durant une heure, c'est-à-dire jusqu'au bulletin d'information de treize heures, jusqu'au dénouement final, nous voyageons de l'intime de ses proches à la société dans laquelle son métier le confronte chaque jour avec la vacuité du monde, le temps politique. Car le temps d'un ingénieur, préoccupé par la solidité des édifices dans la durée, et donc par la sécurité en quelque sorte, n'est pas le même que celui d'un homme politique, préoccupé quant à lui de la satisfaction immédiate de ses électeurs et de la capacité à se faire réélire...
C'est un roman qui parle de l'effondrement, celui de nos vies et celui du monde économique, celui du monde tout court, celui des lieux où s'élèvent des ponts, des écoles. Parfois les fondations sont fragiles parce qu'on n'y a pas prêté l'attention nécessaire, ou bien parce qu'on n'a pas voulu...
Durant toute son existence, cet homme a passé son temps à élever des digues pour empêcher les effondrements autour de soi. Il reconnaît parfois ses torts, ses erreurs ; ses introspections sont des moments touchants de tendresse, d'humilité, de poésie aussi. La beauté de l'Irlande, son âme celtique, ne sont jamais loin...
Pour autant, le roman n'est pas pessimiste. Il tend peut-être à nous dire autre chose, sans forcément délivrer de messages. Aimer les ingénieurs et toutes celles et ceux qui leur ressemblent, qui continuent de dresser des digues malgré la vacuité du monde...
Et peu à peu, si vous tenez bon sur la vague de cette phrase, vous comprendrez peut-être alors toute la richesse narrative déployée par le récit, cette manière mystique et quasiment magique de désosser le passé, d'agréger les souvenirs intimes d'une vie ordinaire pour les mettre en lumière avec la perspective du monde qui les porte et les emporte, laisser cette lumière faire le travail d'assemblage et de couture, dans une écriture qui se déplie au rythme d'un coeur qui bat, jusqu'à son retournement.
Il y a peut-être une forme de poésie qui sommeille dans nos vies ordinaires, façonnées de rêves fragiles, d'émerveillement et d'indignation, un peu comme les fondations d'un pont...
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