Citations sur Sale temps pour le pays (55)
- Michaël Mention du Monde, Paris : est-il toujours membre du R.I.O. ? demande celui-ci dans un anglais catastrophique.
- Non.
- Dans ce cas, pourquoi...
- J'ai dit “une question par personne”.
Réputée être le plus vieux métier du monde, la prostitution a toujours été synonyme de peurs. Un pluriel subi au quotidien : la peur d'être agressée, volée, violée, arrêtée et tuée. Permanente, cette angoisse est devenue obsessionnelle depuis que sévit « L'Éventreur ». De Leeds à Bradford, en passant par Manchester, “les filles” du Nord se sont donc organisées : certaines ne consacrent qu'un temps imparti à chaque client, d'autres opèrent en duo ou notent les plaques d'immatriculation.
Penchée au-dessus de la cuvette, Kathryn régurgite sous les yeux de George, désemparé. Elle crache et recommence, si violemment qu'elle perd le foulard qui dissimulait son crâne chauve. George le ramasse et, de l'autre main, lui caresse le dos. Essoufflée, Kathryn lui fait signe de quitter la salle de bains. Il sort, s'assoit sur le lit et attend. Là-bas, continuent les sons insoutenables. Il frémit à chacun d'eux, connecté viscéralement au supplice de celle qu'il aime. Chimio de merde.
George récupère le dossier et, sous l'article, découvre la fiche d'Emily Oldson : trente-deux ans, mariée, trois enfants, domiciliée à Churwell, sans profession, prostituée occasionnelle, découverte dans le quartier de Chapeltown, près du pub où elle a passé sa dernière soirée. Au rapport d'autopsie, sont agrafées trois photos de la scène de crime, où gît la victime.
Réputée être le plus vieux métier du monde, la prostitution a toujours été synonyme de peurs. Un pluriel subi au quotidien : la peur d'être agressée, volée, violée, arrêtée et tuée. Permanente, cette angoisse est devenue obsessionnelle depuis que sévit "L’Éventreur".
Mardi dernier ,Anthony ,laitier depuis quatorze ans ,a été matraqué par deux hommes cagoulés qui ont ensuite pillé son milk float.Sa troisième agression de puis le début de l'année et la plus grave ,puisqu'il a fallu le transporter au Swan Hospital.
Des l'annonce de son décès , une vingtaine de chômeurs se sont précipités à la mairie pour réclamer le poste d'Anthony.
Au fil des pas, l’animation de Chapeltown s’estompe au profit du silence de la ville industrielle. Elle s’engage dans une rue brumeuse où, au loin, deux hommes se partagent l’anus d’une femme inconsciente. Emily n’en sait rien et longe un parking, quand un klaxon attire son attention sur une Ford Corsair rouge. Elle s’arrête et regarde la voiture, qui klaxonne à nouveau. Elle jette sa cigarette, traverse en direction de la Ford et monte à bord.
Le lendemain matin, un ouvrier découvre son corps dans un terrain vague, à quelques centaines de mètres du Gaiety Hotel.
À ces mots, il comprend que son épouse a envie de finir la nuit « à sa manière ». Alors, il lui prend le visage entre ses mains, pour l’embrasser tendrement. Emily lui caresse la joue, quitte sa chaise et ajuste ses cuissardes. Elle enfile ensuite son long manteau beige, puis désigne les verres sur la table.
– C’est pour moi, sourit Sydney, amuse-toi bien.
– Merci. À plus tard, chéri.
Il hausse les épaules, quand le juke-box diffuse le dernier Bowie, Station to station. Intro futuriste, suivie d’un piano cinglant qui déroute les trois stripteaseuses. Elles cessent de danser et ramassent leur soutien-gorge sur la scène, à la déception des soûlards. Devant leur insistance, elles renouent avec les barres verticales. Leurs corps nus s’adaptent à la mélodie, dont l’évolution disco leur convient davantage. Leurs jambes se lèvent, les billets et les bites aussi. Emily et Sydney se retournent pour les regarder dans une excitation réciproque. Alors qu’il bat du pied, elle finit sa Guinness :
– Chéri, je vais y aller.
– Attends, je finis mon verre.
– Non, je te retrouverai à la maison.
Plus encore que son mari, Emily aime l’ambiance conviviale du Gaiety : ici, tout le monde boit, danse, drague et discute. De musique, de cinéma, de cette année qui débute mal avec la désindustrialisation de la région et le décès d’Agatha Christie, survenu il y a huit jours. Sydney sirote sa Guinness :
– J’ai jamais vraiment aimé ses bouquins.
– Hein ? demande Emily en accusant le volume de la musique.
Sydney repose sa pinte et se penche pour lui répéter sa phrase. Emily se rapproche à son tour :
– T’as peut-être pas lu les meilleurs.
– Ben… j’ai lu Dix petits nègres, par exemple.
– Et ça t’a pas plu ?
– C’est sympa, mais c’est daté, quand même.
– C’est sûr, mais ce qui fait la force de ses bouquins, c’est pas le contexte, mais la psychologie de ses personnages.