Ce livre, paru en 1952, n'a pas eu tout de suite l'accueil espéré : les faits étaient encore trop récents, on était encore sous le coup de l'horreur et de la stupéfaction, et en même temps, on avait envie de passer à autre chose.
Robert Merle en était conscient quand il écrit, en 1972 : « … j'étais parfaitement conscient de ce que je faisais : j'écrivais un livre à contre-courant. Mieux même ; mon livre n'était pas encore écrit qu'il était déjà démodé ». Un peu plus loin il précise le contexte : « Pour peu qu'on y réfléchisse, cela dépasse l'imagination que des hommes du XXème siècle, vivant dans un pays civilisé d'Europe, aient été capables de mettre tant de méthode, d'ingéniosité et de dons créateurs à construire un immense ensemble industriel où ils se donnaient pour but d'assassiner en masse leurs semblables ».
C'est pour expliquer ce paradoxe, ou du moins pour l'illustrer (car comment expliquer l'inexplicable ?) que ce roman a été écrit.
«
La mort est mon métier » est la biographie reconstituée de Rudolph Hoess, (rebaptisé ici Rudolf Lang), commandant du camp d'Auschwitz de 1940 à 1943, ainsi que quelques mois en 1944. La première partie du récit a été recréée d'après les entretiens de Hoess avec le psychologue américain Gilbert, lors du procès de Nuremberg. Elle met en lumière les traumatismes d'enfance de l'intéressé qui l'ont peu à peu amené à bannir toute morale de son esprit. La deuxième partie s'attache à décrire son action dans l'oeuvre de mort dont il était chargé.
Le récit est raconté à la première personne. C'est
Rudolf Hoess qui parle. Comme Meursault dans « L'Etranger » de Camus. Tous deux parlent avec un détachement qui nous surprend. Mais le parallèle s'arrête là : le détachement de Meursault n'indique pas une absence d'émotion, mais une attitude pour illustrer l'absurde de l'existence, et la nécessité de s'y opposer. le détachement de Hoess n'est pas d'ordre philosophique mais psychologique, voire psychanalytique : Hoess n'a pas de sentiments. Il a refoulé en lui toute manifestation d'émotion. Et c'est le Parti qui a rempli toutes les cases manquantes.
« Il y a eu sous le Nazisme des centaines, des milliers, de Rudolf Lang, moraux à l'intérieur de l'immoralité, consciencieux sans conscience, petits cadres que leur sérieux et leurs émérites » portaient aux plus hauts emplois. Tout ce que Rudolf fit, il le fit, non par méchanceté, mais au nom de l'impératif catégorique, par fidélité au chef, par soumission à l'ordre, par respect pour l'Etat. Bref, en « homme de devoir » : et c'est en cela justement qu'il est monstrueux. »
C'est bien là en effet le plus effrayant : quand il n'y a plus de morale, quand la notion du mal n'existe plus, tout est possible. C'est terrible au niveau de l'individu. Mais quand c'est toute une communauté, toute une société est basée sur ce principe…
Ce livre très fort devrait être exemplaire, et donner à réfléchir.
Robert Merle, on le sait est un grand témoin de notre époque. Il en est aussi une conscience. C'est pour cette raison qu'il faut continuer à le lire.
Et en plus c'est un très grand écrivain.