Gardiens des cités perdues, tome 6 : Nocturna

- Soudain, tout semble si… réel. Et je ne parle pas que de ça ! Fitz a quand même déjà rempli son dossier auprès du Bureau des unions. Et sans doute ne vas-tu pas tarder à aller chercher le tien, si ce n’est déjà fait.
Keefe se mit à ricaner.
- C’est donc ça qui t’a maintenue éveillée toute la nuit ? Tu t’inquiétais de savoir si je m’étais inscrit ?
- Ce n’est pas du tout ce que je voulais dire.
- Ben voyons…

- Mais ça fait des années que je suis amoureux de toi !
Prenant soudain conscience de son aveu, il vira plus cramoisi que jamais.

- Tiens, dit Keefe en lui tendant sa cape avant de l’agrafer sous le menton de la jeune fille. Je ne vais quand même pas te laisser te transformer en glaçon !
Elle alla pour protester, mais il secoua la tête.
- Tu n’as pas refusé le cadeau du Fitzster, je te signale.
Sophie fut tentée de lui faire remarquer que le présent en question ne nécessitait pas de sacrifier la santé de son ami. Elle trouva néanmoins une meilleure solution.
Défaisant l’attache, elle s’approcha de Keefe pour lui passer un bras – et une partie du vêtement – autour des épaules afin d’en partager la chaleur avec lui.
- Un point pour Keephie, ricana Tam.
Grady poussa un soupir maussade.

- Dis, lança soudain Keefe, tu sais ce qui me frappe le plus quand je me remémore ce fameux vol avec Silveny ? Pour la première fois, j’ai senti que tu me faisais confiance. Pour de vrai.
C’était aussi la première fois qu’il avait tombé son masque de clown invétéré pour lui dévoiler une facette plus sérieuse et complexe de sa personnalité, qu’il se gardait bien de montrer à qui que ce soit.
- J’aime quand tu me fais confiance, ajouta-t-il à mi-voix.
- Moi aussi.
Il se rapprocha d’elle imperceptiblement.

Keefe se pencha vers elle.
- Mon père, j’en fais mon affaire. Ce que je ne peux plus supporter, c’est de croiser le Fantôme de Foster, qui nous fiche la frousse à tous depuis quelques semaines. J’ai besoin de retrouver mon amie, la vraie, celle qui me mène à la baguette et que je prends tant de plaisir à taquiner.
- Oh… Suis-je la seule ici à me retenir de scander : « un bisou ! un bisou ! un bisou ! » ? lança Ro à la cantonade.
- En effet, soupira Sandor.
Keefe recula d’un pas tout en jetant un regard mauvais aux deux gardes du corps avant de se tourner vers son père.

- Merci, bredouilla Keefe tandis qu’elle enveloppait de gaze le doigt de son ami.
- Un petit élixir antidouleur pour finir ? On doit en avoir quelque part…
Il lui saisit la main.
- Tout va bien maintenant, Foster. À moins, bien sûr, que tu meures d’envie de m’embrasser pour améliorer mon état.

- Je vous préviens, déclara Ro lorsqu’il se tourna vers elle, ne vous avisez pas de me laisser sur la touche. Je refuse de laisser Crevette y aller sans moi. D’autant que certains des ogres qui ont trahi mon père leur servent peut-être de gardes.
- C’est moi que tu traites de crustacé ? s’insurgea Keefe. Souviens-toi que je t’ai battue au bras de fer !
- Une fois ! protesta la princesse. Et seulement parce que tu m’as chatouillée !
- Les ogres sont chatouilleux ? s’étonna Tam.

- C’est bon, tu as gagné, maugréa Dex. Te voilà Champion des Présents. Tu es content ?
- Enfin, ça dépend du destinataire, fit remarquer Biana. Nous autres avons dû nous contenter de bonbons d’humeur, pour changer…
- D’ailleurs, tu en as savouré chaque bouchée, insista Keefe. Et puis, tu as vu à quel point la chambre de Foster reste terriblement impersonnelle. Alors comme Sophie me réclamait des dessins à cor et à cri, je n’ai eu d’autre choix que de…
L’intéressée se jeta sur lui, forçant le jeune homme à s’interrompre. Luttant pour garder l’équilibre, l’Empathe ajouta en riant :
- Ne t’inquiète pas, Foster, on n’a pas besoin de respirer : c’est pour les nazes.
- Tu as bien raison, rétorqua Sophie sans desserrer son étreinte. Keefe, ces tableaux… Je ne sais vraiment pas quoi dire.
- Tu pourrais commencer par leur décerner le titre de Meilleur Cadeau de l’Histoire de l’Univers… C’est bien ce qu’on avait convenu, non ? Tu as le droit d’y ajouter la mention « beaucoup mieux que celui du Fitzster ».
C’était la vérité – même s’il eût semblé indélicat de le confirmer, vu tout ce que le Télépathe avait fait pour elle dernièrement. Elle se contenta donc d’un simple « merci ».
- Je t’en prie, Foster, répondit Keefe en la serrant un peu plus fort.
Elle aurait sans doute dû le lâcher à ce moment-là mais… elle ne pouvait s’y résoudre.

- Non. Le temps que les poussins gagnent assez en force pour pouvoir être transférés à Nocturna, Keefe, lui, était devenu bien trop indocile pour m’assister autrement qu’à son insu. Mais je n’avais pas besoin de grand-chose, juste un peu de son sang. Ta plantation l’a tellement perturbé, Sophie… je n’ai pas eu beaucoup à insister pour qu’il prenne un sédatif.
Le cœur de l’intéressée manqua quelques battements.
- Vous l’avez drogué pour lui voler son sang après mes funérailles ?
- Non. Je l’ai consolé tant bien que mal en lui offrant une nuit de sommeil sans rêve. Ce qu’il a accepté. Avec gratitude, même. Avant d’en quémander plus le lendemain. Et le sur-lendemain. Pauvre garçon, il était effondré.

- Je t’en prie, ne lui donne pas de faux espoirs, laissa-t-elle échapper.
- Jamais de la vie ! Pourquoi est-ce que je ne flirte pas avec elle, à ton avis ? Je vais même jusqu’à badiner avec tout le monde sauf elle, histoire d’enfoncer le clou !
- C’est vrai, murmura la jeune fille, soudain assaillie par un étrange picotement.
Voilà qu’elle tenait enfin une explication plausible aux incessantes taquineries de Keefe ! Elle se doutait bien qu’il devait y avoir une raison à son comportement, n’empêche…
[...]
- Attends, souffla Keefe. Je…
Grady dévala l’escalier en le gratifiant d’un regard assassin. Le jeune homme s’écarta de son amie d’un bond.