La passion de jeanne

Jeanne à six ans était une enfant secrète dont la timidité retenait la sensibilité. Aussi ses sentiments avaient des crues subites, qui débordaient de sa pudeur pour s’épancher excessivement et l’exposaient aux cruautés qui sont le pain
quotidien des écoles pour jeunes filles.

Elle avait vite appris à expédier le pénible devoir conjugal, en se soumettant sans broncher, car lorsque l’alcool le tenait, toute résistance de sa part ne faisait que l’exciter encore davantage. Mais ces atteintes à sa pudeur lui étaient une source d’anxiété constante dont, pour comble de malheur, elle n’avait personne à qui s’ouvrir.Tournant sans fin, comme une bête captive qui va et vient, en se heurtant sans fin aux barreaux de sa cage, elle cherchait une issue et pour finir avait cru trouver refuge dans le secret du confessionnal

Notre règle a un but, simple mais exigeant : celui de nous ouvrir à l'Amour divin. Nous croyons que le don de soi, sans réserve ni entrave, passe par le renoncement au monde, librement, joyeusement consenti : j’insiste là-dessus
car vous êtes jeune...

Comme une bête qui, à force de lécher une plaie, en retarde la guérison, Jeanne ne pouvait pas s’empêcher de regarder sa mère. Celle-ci écoutait la conversation, son regard impassible allant machinalement de son mari à sa belle-sœur, sans jamais effleurer sa fille. Je n'existe plus pour elle, se répéta Jeanne amèrement. Sa mère n’était plus cette énigme impénétrable contre laquelle son âme autrefois s’épuisait sans fin, mais une réalité crue, définitive.

Le Canada français a beau avoir refusé la conscription, la guerre est finie, et nous n’avons pas peu contribué à la gagner.Notre pays est encore dans sa petite enfance. Il va avoir besoin d’esprits brillants et passionnés pour le mener à maturité, mais suffisamment doués de vision et d’empathie pour nous sortir des ornières où nous restons pris, et dépasser les limites qui nous sont imposées par les accidents de l’histoire et de la géographie.