Citations sur Rimbaud le fils (19)
C'est notre poème, et les poèmes de Rimbaud restent cachés à l'intérieur du nôtre, bien au secret, réservés, comme postulés : notre poème a pris tant de place qu'il nous arrive, ouvrant le petit livre où reposent les écrits d'Arthur Rimbaud, de nous étonner qu'ils existent. Nous les avions oubliés. De nouveau nous les parcourons, hâtifs, aveugles, craintifs comme la petite fourmi qui sans souci des lignes passe en biais sur notre page, quand nous l'avons mise par terre près de nous, dans le jardin.
Les vers sont une vieille marieuse.
Il faut passionnément embrasser une seule manie, un art comme on dit, mais un seul, s’y tenir, férocement s’enfermer avec comme dans un sac au fond de quoi on a jeté la mère qu’on a, les enfants qu’on n’aura pas, tous les hommes, et sur ce grand piétinement broder le travail ténu qui vous changera en fils perpétuel.
Non, nous ne lisons pas, moi pas plus que les autres. C’est un poème que nous écrivons, chacun à notre manière, sous nos calottes de soie, comme jadis on le faisait autour de beaux canevas de Troie et de la Grèce. C’est notre poème et les poèmes de Rimbaud restent cachés à l’intérieur du nôtre, bien au secret, comme postulés : notre poème a pris tant de place qu’il nous arrive, ouvrant le petit livre où reposent les écrits d’Arthur Rimbaud, de nous étonner qu’ils existent. Nous les avions oubliés.
-puisque c’était la mode à l’époque d’aller imaginer que dans la voyance, nébuleuse ineffable, secrète, postulée, prenaient naissance les poèmes les plus nets, les beaux systèmes comme planétaires où en douze syllabes poussent des arbres, où l’univers s’incarne; une deuxième fois s’incarne ; et dans cette incarnation seconde chacun se disait que l’autre avait peut-être la clé.
et c’est avec les doigts noirs que j’ai dits mais cette fois trafiquant dans le fils, au fils accrochés, dans le fils cadenassés, que les plus beaux vers furent filés, deux à deux tenus : oui, on peut penser que l’alexandrin séculaire fut prodigieusement exalté puis détruit sans retour vers 1872 par une femme triste qui grattait, cognait et délirait dans un enfant.
On dit que Vitalie Rimbaud, née Cuif, fille de la campagne et femme mauvaise, souffrante et mauvaise, donna le jour à Arthur Rimbaud. On ne sait pas si d’abord elle maudit et souffrit ensuite, ou si elle maudit d’avoir à souffrir et dans cette malédiction persista ; ou si anathème et souffrance liés comme les doigts de sa main en son esprit se chevauchaient, s’échangeaient, se relançaient, de sorte qu’entre ses doigts noirs que leur contact irritait elle broyait sa vie, son fils, ses vivants et ses morts.
Ou bien, si l’on préfère des images plus vieillottes, empruntées au catéchisme de ce temps-là et non plus à ces histoires de famille qui sont notre maigre catéchisme, ce que lut Banville, la rime obscure qu’il entendit, ce fut celle qui frappe l’une contre l’autre la colère et la charité, la rancune infinie et la miséricorde, les garde dans chaque main toutes deux bien distinctes, intactes, inconciliables, ennemies jurées mais comme des coqs de combat les lâche l’une contre l’autre, les déchaîne, les reprend, et ponctue cet éclat d’un grand affrontement de drums. Et si votre dévotion personnelle vous porte à d’autres métaphores ( que vous prenez pour de la pensée et qui sont de la pensée), vous appelez autrement les deux termes de ce petit tam-tam : vous dites que c’est la révolte et le pur amour, ou le néant et le salut, ou la chute sans fin et au sein de la chute l’inlassable présence de ce qu’on n’appelle plus Dieu ; vous dites que c’est le deuil de Dieu et le bluff par quoi on restaure Dieu ; et si vous n’aimez pas Dieu vous dites que c’est la libre joie d’être vivant et la plus sombre joie d’être esclave de la mort, qu’importe : ce qui importe est d’avoir bien en main les grandes cymbales, de les savoir heurter et qu’elles fassent ce bruit qu’on entend dans Rimbaud.
Il la [saison en Enfer] finit ici, dans ce trou rural hautement civilisé, dans la clarté antique des moissons.