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Critiques filtrées sur 3 étoiles  
J'avais quitté d'une déception immense cet Arthur Miller qui eut la bassesse de publier Les Misfits que je lus comme un récit et non comme le support scénaristique d'un film que la critique juge encore souvent culte, mais dont je n'ai pas vu une seule minute. Après Mort d'un commis voyageur qui resta longtemps pour moi un chef d'oeuvre de sensibilité (j'y vis trop tard, et à dire vrai tout récemment, le défaut essentiel qui consiste en cette morale convenue faisant injustement de Willy une sorte de traître indigne et saccageur d'une bonne famille américaine, pauvre être esseulé, au fond, à qui on attribue tous les torts par facilité et conformisme chrétien), et après Les Sorcières de Salem dont la dénonciation des superstitions imbéciles me plut assez sans toutefois me ravir, j'étais venu aux Misfits peut-être avec trop d'admiration et d'espoirs : je n'avais pas anticipé que cet ouvrage n'était à peu près qu'un prétexte à recycler une épouse envahissante et sans activité ou, du moins, à lui offrir un rôle cinématographique plus ample que ce qu'elle avait incarné jusqu'alors. Ce compromis conjugal, d'un point de vue strictement littéraire, donna lieu à un échec cuisant qui me paraît exactement le fruit d'une paresse et des facilités narratives les plus honteuses. Ce livre est un vide stylistique et émotionnel, à mon sens. Inutile même d'en reparler : je ne le mentionne que pour démontrer, puisqu'il m'a fallu plus de deux ans pour revenir à Arthur Miller, que je ne pardonne pas les insuffisances délibérées des écrivains, je veux parler de ces fautes qui les incitent, par penchant vers la simplicité et par goût de popularité, à commettre et à publier sans vergogne des excréments tout à fait nouveaux et manifestement hors de leur patte ordinaire, du moins en-deçà évidemment de leurs capacités.
Ils étaient tous mes fils, théâtre, raconte le retour au domicile parental de Chris Keller, qui nourrit le projet d'épouser Anne, l'ex-fiancée de son frère Tom porté disparu dans les combats aériens de la Seconde Guerre mondiale. Kate, la mère de Chris, qui ne parvient pas à se figurer l'aîné mort et à faire son deuil, attend désespérément son retour, et voit d'un mauvais oeil ce projet de Chris qu'elle considère une trahison. le père, Joe Keller, industriel prospère et pragmatique qui désire avant tout le bien de sa famille, tire avec lui une mauvaise réputation, celle d'avoir vendu à l'armée américaine des culasses défaillantes pour chasseurs, affaire pour laquelle il a été relaxé et un autre homme, le père d'Anne travaillant alors avec lui comme associé, reconnu coupable et mis en prison.
Cette pièce est convenable, en dépit d'une intrigue très simple et d'une composition un peu élémentaire voire académique. La plongée s'opère dans un quartier de banlieue, avec ses dialogues ordinaires et drôles, voisinage, amitiés. Une chape dès le début pèse sur les Keller, à cause notamment de la mère qui nourrit des espoirs insensés et s'obstine aveuglément contre l'évidence de la mort de Tom : on devine les luttes à venir de Chris pour faire accepter son bonheur, et l'arrivée prochaine de George, frère d'Anne devenu avocat, après s'être longtemps entretenu avec son père encore détenu, annonce une crise imminente où l'on suppose que Joe sera violemment mis en cause. Cette tension tacite, palpable et riche en délicatesses, est ce qui constitue le propre de la tragédie, dont la résolution épineuse suscite le suspense. le lecteur entre dans cette situation non sans passion, bien que son appétit littéraire, s'il me ressemble, puisse s'en trouver un peu insatisfait ou frustré.
Car c'est un travail un peu scolaire, à mon goût, que nous livre ici Miller, sans génie ni grandeur, sans audace ni inattendu. Il est vrai que cette histoire préfigure beaucoup les thèmes de Mort d'un commis voyageur, et qu'en comparaison elle apparaît pauvre, notamment parce que sa construction n'est pas aussi ingénieuse ni ses enjeux aussi profonds : il ne faudrait pas avoir lu celle-ci après l'autre, mais est-ce qu'on choisit toujours ? C'est un peu vainement, aussi, qu'on doit chercher des répliques pathétiques ou dont l'expression atteindrait à quelque sommet artistique, et l'on se sent quelquefois patauger dans ce quotidien américain parmi une situation figée dont on devine sans trop de mal les conséquences. Les ressorts dramatiques manquent de finesse selon moi, même les personnages, pourtant relativement attachants, sont des types un peu convenus entre le fils plein d'illusions et d'amour, la mère obstinément névrosée et le père empli de clichés de virilité sur la nécessité première de la réussite notamment financière. C'est, je crois, ce qui m'importune, en fin de compte, avec Arthur Miller : ses créatures qui évoluent dans des milieux sclérosés d'usages et de préjugés, mais le dramaturge lui-même ne parvient pas à cacher qu'il adhère en partie à ces valeurs controuvées : il croit, en particulier, à toutes ces vanités de propreté américaine, à tous ces scrupules judéo-chrétiens où un amour uniforme doit représenter le fondement des rapports entre individus et souder les familles ; ce Miller-là n'est pas un homme profond, en dépit même des poursuites qu'il dut subir de Mac Carthy à cause de ses affinités communistes. C'est un être d'épreuve sans aucun doute, mais ce n'est pas un être qui trouva à élire des moyens extraordinaires contre ces épreuves : il a fourbi ses armes, selon moi et pour ainsi dire, au râtelier des sentiments conventionnels. En vérité et quoi que les critiques diront, il faut que ses personnages évoluent sans jamais mettre fondamentalement en perspective leur système de valeur, ce ne sont que des nuances et des pratiques qui provoquent en eux des dilemmes, jamais des renversements et des actes initiateurs. Les dénouements, aussi terribles soient-ils, viennent toujours de ce que des individus ont fini par admettre la nécessité de leur abnégation, et c'est poisseux comme tout, à mon avis. le théâtre de Miller, à ce que j'en ai lu, manque de grandes figures braves, le « bon » n'y est incarné que par des gentils et des mièvres, des objecteurs de conscience, il ne s'agit que de sympathiques pour spectateurs en perpétuelle quête de confirmation et non de révolution ou d'édification : on n'apprend rien avec Miller, on n'est pas transfiguré, comme en ces films où l'on est ému pour la seule raison qu'on se croit représenté à l'écran. C'est un défaut de philosophie, et de pensée, et de détachement, et de grandeur, quand on croit disserter de valeurs, de n'avoir jamais fondamentalement réfléchi à ce dont on parle : on se contente alors sans trop s'en apercevoir de suivre une routine, et l'on ne distingue pas qu'une autre routine au fond, comme l'anticommunisme ou l'antisémisme, est justement la nature même ce que l'on combat.
À quelques intuitions près, comme dans l'extrait suivant, mais qui ne durent guère et où l'on envisage, mais en l'effleurant juste, une autre voie morale et d'épanouissement possible, Arthur Miller est probablement l'heureux dramaturge des bienheureux qui n'aspirent, sans le savoir, qu'à être rassurés avec émotions – ce qui n'est, je ne sais pas, peut-être déjà pas si mal.
Lien : http://henrywar.canalblog.com
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