Il s'agit du sixième tome consacré aux aventures de Sláine (accompagné d'Ukko) ; il fait suite à Demon killer. Il comprend une histoire principale "Lord of misrule" initialement parue dans le magazine "2000 AD" dans les progs (numéros) 950 à 956, 958 à 963, et 995 à 998, ainsi qu'une histoire courte (6 pages) intitulée "The bowels of Hell" parue dans le prog 1000, et la reproduction de 7 couvertures consacrées à Sláine. le tome suivant est Treasures of Britain.
Lord of misrule - Cette fois-ci, la rivière de sang a emmené Sláine et Ukko en 1140 après Jésus Christ. L'histoire commence avec le dispositif maintenant régulier d'Ukko couchant par écrit les aventures de Sláine, en étant surveillé par la prêtresse Nest. Après une page de rappel sur les relations entre Niamh et Sláine, Ukko explique que Niamh s'est réincarnée en Marian, une bonne soeur vivant dans un couvent avec sa congrégation. Ce même couvent abrite également quelques moines qui invoquent un dieu noir, grâce à un sacrifice humain, et qui se délectent du récit des massacres perpétrés par Guillaume le conquérant. C'est dans ce contexte que Sláine et Ukko arrivent à cette époque. Dans les bois, ils découvrent un vieillard leur expliquant que les chrétiens ont persécuté les païens (ici, comprendre les celtes) et que Sláine doit trouver l'épée du Dieu du Sang, et découvrir son nom secret ce qui lui donnera un ascendant sur lui. Sláine et Ukko sont accueillis par une bande de rebelles qui voient en Sláine le dénommé Robin Goodfellow (Robin bon compère, ou Puck), l'élu de la déesse, le Seigneur du Désordre (Lord of Misrule).
Dans la suite logique du tome précédent,
Pat Mills continue de faire voyager dans le temps ses 2 personnages, toujours en tant qu'incarnation de la culture celte et représentants de la déesse mère. le lecteur retrouve donc le thème de la liberté de la culture celte et de son harmonie avec la nature (c'est-à-dire la faune et la flore, mais aussi la nature humaine), opposée au carcan rigide et borné de la religion chrétienne, tant du point de vue du dogme que de son appareil d'église. Mills se fait un malin plaisir à décrire Niamh respectant une discipline rigide, totalement aliénée par son obédience à un dieu invisible, exigeant et déconnecté des principes de la nature. Comme dans la courte histoire du tome précédent, il traite cet aspect de manière superficielle, restant au niveau du divertissement et de la caricature de la religion chrétienne (tout en évoquant des chasses aux sorcières bien réelles).
Sláine est toujours ce héros viril, musculeux, aimant la vie, les femmes et une bonne bière, ainsi que les combats brutaux et physiques (à la hache de préférence). Ukko est toujours aussi fourbe et cupide, Mills maniant un humour oscillant entre la grosse farce qui tache et la situation caustique et pénétrante. L'intrigue en elle-même se révèle assez linéaire et basique : Sláine doit retrouver l'épée magique et se battre contre le Dieu du Sang, tout en essayant de réveiller la mémoire des vies passées de Marian.
Les 43 premières pages du récit retiennent l'attention du lecteur qui découvre la nouvelle situation en 1140, l'enjeu de l'aventure, et qui suit les premiers contacts entre Sláine et les autochtones. Ces 43 pages sont peintes par
Greg Staples qui se conforme au style établi par
Simon Bisley dans The horned God, sans en avoir la fougue ni la bravacherie, mais avec un sens des couleurs original. Il se concentre plus sur les personnages que sur les décors ou les arrières plans, ces derniers étant souvent empreints d'une forme de simplisme un peu naïf. Il réussit de beaux portraits de Niamh et d'Ukko, et une séquence pleine de tension quand Sláine prouve son adresse en tant qu'archer, dans une variation piquante de l'exploit de Guillaume Tell.
Les 60 pages suivantes sont dessinées et encrées par
Clint Langley et mises en couleurs par Dondie Cox. Il s'agit de la première période de Langley, avant qu'il n'ait recours de matière systématique à l'infographie pour construire des planches complexes, bourrées d'effets spéciaux, répartis sur plusieurs couches. le passage de planches peintes, à des dessins encrés traditionnels induit un ressenti immédiat et irrépressible de baisse de niveau de qualité. Toutefois en se focalisant sur ce qui est représenté, le lecteur s'aperçoit que Langley s'implique dans un niveau de définition des éléments équivalent, si ce n'est déjà supérieur à celui de Staples. Dès le début, il prête une attention particulière à rendre compte des particularités des vêtements en représentant par exemple les coutures de la coiffe d'Ukko. Il s'attache à rendre avec minutie les textures, en particulier des éléments naturels tels que les écorces des arbres. Avec un peu d'attention, le lecteur constate que Langley s'améliore d'épisode en épisode, insérant plus de détails, et se montrant plus inventif dans ses représentations. La deuxième moitié de ces progs bénéficie d'un niveau d'investissement impressionnant de la part de Langley qui crée des visuels mémorables, fouillés, habités, originaux et personnels, tout en conservant une dimension celtique par l'intégration de détails spécifiques. Avec le recul (en particulier en ayant déjà lu les tomes suivants illustrés par Langley (Books of Invasions), le lecteur peut voir l'augmentation du degré d'implication de Langley d'un chapitre à l'autre. C'est ce dévouement total à la vision de Mills qui lui permet d'éviter les clichés et de rendre certains éléments convaincants, malgré leur nature outré (un spasme de déformation faisant pousser des ailes de chauve-souris à Sláine par exemple).
Dans ces 2 derniers tiers,
Pat Mills reste fidèle à lui-même avec une ou deux ellipses brutales, et un ou deux rebondissements téléphonés. Mais il reste également fidèle à son niveau d'exigence en intégrant 2 composantes supplémentaires et différentes. La première réside dans le comportement de Marian qui doit réussir à dépasser les stratégies mentales répétitives de Niamh pour briser le cercle des réincarnations. Mills illustre comment chaque individu doit apprendre à se connaître s'il veut pouvoir dépasser sa propension à réitérer les mêmes comportements. La deuxième nouveauté est tout aussi enrichissante : Mills se sert du personnage de Nest (la femme surveillant le travail d'écriture d'Ukko) pour insérer un métacommentaire sur le pouvoir des récits et leur capacité à changer aussi bien l'auteur que le lecteur. Cela reste une composante très secondaire dans ces 100 pages, mais cela introduit un second degré intelligent dans ce qui n'était jusqu'alors qu'un dispositif narratif destiné à encadrer le récit principal pour lui conférer une forme d'intemporalité.
"Lord of Misrule" n'atteint pas les sommets graphiques et narratifs de "Horned god", mais il constitue un récit conséquent réservant plusieurs surprises, au milieu du style parfois un peu heurté (en tout cas sans concession aux astuces pour fluidifier) de
Pat Mills. L'aspect visuel n'égale pas celui de
Simon Bisley, mais
Greg Staples réalise un succédané satisfaisant et
Clint Langley apporte un style différent, avec un degré d'implication croissant de prog en prog. À l'aune de "Horned God" (et en ayant lu les tomes précédents), ce tome ne mérite que 4 étoiles. Par comparaison avec la production industrielle de comics, il en mérite 5.
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- The bowels of Hell (illustré par
Jim Murray) - Alors que Sláine et Ukko voyagent dans les mondes du chaudron, ils sont témoins d'une arnaque visant à abuser de la confiance de riches individus souhaitant entrer en contact avec des défunts proches.
Pat Mills s'amuse avec une histoire courte et classique, pour insister sur l'importance des sentiments dans la vie humaine.
Jim Murray réalise des illustrations peintes (avec une préférence marquée pour les personnages, et des arrières plans fades et délaissés), en ajoutant une touche comique bienvenue dans les expressions. Une histoire agréable tout en restant anecdotique.