AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,25

sur 73 notes
5
13 avis
4
7 avis
3
1 avis
2
0 avis
1
0 avis

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
COMME UN POLAR...

Chez Jean-Pierre Minaudier, la crise de la quarantaine a revêtu une forme particulière. Historien de formation, gros lecteur de romans et de BD, il n’a plus réussi, pendant cinq ans, à ouvrir autre chose que des livres de linguistique.

Il s’est mis à collectionner les grammaires de langues rares. Il en possède aujourd’hui 1 163, concernant 864 langues. Et convient aisément qu’il y a « un plaisir pervers à posséder la bibliothèque la plus snob de Paris ». Mais pas seulement :

« Une grammaire est une espèce de grand sudoku : par déductions successives, il faut rassembler les pièces d’un puzzle logique [...] Mais il y a bien plus : ma conviction profonde est qu’une grammaire, c’est avant tout du rêve et de la poésie. »

Dans « Poésie du gérondif », il compare aussi la lecture d’une grammaire à celle d’un roman policier :

« A l’issue d’une haletante démonstration dont la conclusion est que “toutes les voyelles brèves du khakha sont en réalité des schwas épenthétiques” (les garces !), le lecteur convenablement excité éprouvera une volupté proche de celle du tchékiste démasquant un nid de saboteurs hitléro-trotskystes dans une usine biélorusse en 1937. »

Avec Minaudier, on oublie la torture scolaire. On sourit de bout en bout. Pour tout vous dire, il y avait longtemps qu’un livre ne nous avait pas réjoui à ce point !

On apprend notamment que :

- le !xoon (langue parlée en Namibie et au Botswana) aligne au moins 117 consonnes ;
- les mots les plus longs se trouvent dans les langues esquimaudes (« en voici un, de taille raisonnable pour la langue concernée : “Tuktusiuqatiqarumalauqpuq”, qui veut dire en inuit : “Il désira avoir un compagnon de chasse au caribou.” ») ;
- à l’inverse, on trouve majoritairement des mots d’une seule syllabe dans de nombreuses langues d’Asie du Sud-Est et en goemai (langue du Nigéria) ;
- Géronimo s’appelait Go Khla Yeh en apache, Sitting Bull se dit Thathanka Iyothanka en Iakota et le vrai nom de Chief Joseph, en nez-percé, était tout simplement Hinmahtooyahlatkekht.

A peine remis de ces découvertes, contaminé par l’enthousiasme communicatif de l’auteur pour « l’odorante fleur du langage », on découvre encore que :

- certaines langues ne distinguent pas le genre, « comme le mandarin, le japonais, le turc, le basque, l’estonien » ;
- en bilua (langue des îles Salomon), en kurde et en cèmuhi (langue de Nouvelle-Calédonie), c’est le féminin qui l’emporte ;
« dans la plupart des langues afroasiatiques [...], faire passer un nom au féminin sert à indiquer que la chose dont on parle est de petite taille, alors qu’en nama, une langue khoïsane de Namibie, c’est exactement le contraire » ;
- certaines langues d’Amazonie « possèdent la catégorie du passé non seulement pour les verbes, mais aussi pour les noms » : un élément permet d’indiquer que « l’être ou l’objet désigné est mort, abîmé ou inutilisable ».

Etonnant, non ? La diversité des grammaires reflète celle des systèmes de pensée et des visions du monde. De ce livre, on sort donc vacciné contre tout penchant universaliste et uniformisateur. Avec un petit défi pour la route :

« Voici comment on dit “J’ai vu un animal de ce type”, en kalam, une langue papoue de Nouvelle-Guinée orientale : Knm nb nnnk. Toute personne capable de prononcer cette phrase gagnera une chaussette d’archiduchesse séchée sur une souche sèche. » (En réalité, l'auteur donne la "solution" à cette lecture pour nous autres impossible un peu plus avant dans ce bref mais généreux et jovial petit bouquin.

Et que vive encore pour longtemps cette incroyable diversité pour laquelle l'auteur nous rappelle qu'elle est autant de manière de voir, de comprendre et d'appréhender le monde qui nous entoure.

Sans jamais tomber dans le catastrophisme de bon aloi - Jean-Pierre Minaudier rappelle que, de tout temps, des langues sont nées, ont vécu, on finit par mourir ; qu'à certaines époques, sous certains régimes, dans certains empires, ces morts se sont accélérées, que ce sont là des mouvements assez naturels et que l'énorme différence avec les temps jadis c'est que depuis un peu plus d'un siècle, tout cela est répertorié, étudié, enregistré, et ce qui passait inaperçu hier est bien visible aujourd'hui -, l'auteur nous en rappelle les richesses, les surprises, pour tout dire le passionnant intérêt.

Sans être aussi pointu, précis, historique ni scientifique que les ouvrages même vulgarisateurs d'une Henriette Walter ou d'un Claude Hagège, pour n'en citer que deux, c'est peu de dire qu'avec ce petit opus d'un amateur linguiste parfaitement assumé et revendiqué, on se laisse complètement embarquer vers des ailleurs aussi imprévus que parfaitement poétiques. Et on en redemande !
Commenter  J’apprécie          380
Un exemplaire indispensable pour les linguistes amateurs ou non, en herbe ou non. le gérondif n'est il pas cette forme qui permet de définir les circonstances en action lors d'une autre action. Il s'agit bien de cela ici. C'est de poésie des langues qu'il s'agit tandis que des locuteurs par millions ou parfois hélas par petite poignées communiquent. La grammaire serait donc cette poésie qui émane de notre façon de voir le monde, de l'appréhender, le structure, le partager.
Je l'ai dit ailleurs, j'ai toujours été un amateur de grammaire, hélas pour seulement deux trois langues que je pratique bien humblement, Minaudier m'en offre en quelques dizaines de pages des centaines d'autres, des centaines d'occasions de ressentir comment la communication prend forme dans des centaines de civilisations dont nous ne doutons que très peu de leur existence, et notamment de ces langues parlées dans mon Québec d'adoption.
C'est enfin à un immense exercice de tolérance que nous invite Jean-Pierre Minaudier: des langues sans article, sans droite/gauche, sans notre richesse numérique ou au contraire avec de nombreuses formes de pluriel, de désinences, d'accords qui nous semblent contre nature etc. ne sont pas signes de pauvreté mais de richesse et de complexe personnalité à partager.
Commenter  J’apprécie          200
Il est rare qu'un livre me fasse éclater de rire mais j'ai pouffé plusieurs fois. J'espère que comme moi, vous serez sensible aux charmes et au dangers de la langue Najavo :

En navajo qui n'a jamais chipé un seul verbe à aucune langue étrangère, le refus de principe de l'emprunt aboutit à des résultats certes décoratifs, mais discutables du point de vue de l'efficacité communicationnelle : ainsi « tank » se dit chidinaa'na'ibee'eldoohtsohbikàà'dahnaazniligii, littéralement « voiture qui glisse sur le sol avec de gros fusils dessus. Il est probable que dans la pratique, les Navajos recourent à l'anglais pour le genre de conversations où l'on a à mentionner un tank – c'est une bête question de sélection naturelle: le temps de s'écrier « gare le tank arrive » , l'obstiné navajophone est déjà réduit à l'état de crêpe Suzette, dans l'indifférence de ses compagnons d'armes plongés dans leur dictionnaire.

J'ai retrouvé en le lisant l'ambiance iconoclaste des séminaires de linguistique générale de mon université. Enfin, quelqu'un qui explique le plaisir de la langue, bien loin des stériles discussions sur ce qu'il faut dire ou ne pas dire, qui font tellement plaisir au tout petit monde des gens « comme il faut », qui pensent qu'être bon en grammaire française c'est savoir dire « déjeuner » ou « dîner » et non pas le si vulgaire « manger ». Tout à coup le monde entier est là dans toutes sa diversité, on ne peut plus se hausser du col avec notre si belle langue française, si difficile à apprendre que le monde entier nous envie. D'ailleurs, allez-y, essayez donc de gagner la chaussette mise en jeu au concours de la langue la plus difficile à prononcer:

Voici comment on dit « J'ai vu un animal de ce type » en kalam, une langue papoue de Nouvelle-Guinée orientale : Knm nb ngnk. Toute personne capable de prononcer cette phrase gagnera une chaussette d'archiduchesse séchée sur une souche sèche.

Il existe donc, des langues tellement plus redoutables à apprendre que le français, à commencer par le basque si proche et si loin de nous, l'esprit humain est également réparti dans le monde entier, divers et si riche que j'en suis restée baba.

De l'esprit, Jean-Pierre Minaudier n'en manque pas mais je ne crois pas que cela me conduise à lire toutes les belles grammaires dont il nous a parlé. Et il est vrai que pour ceux qui ne se posent aucune question sur la langue, ce livre aura quelques passages difficiles, au milieu de moments vraiment joyeux accessibles pour tout le monde grammairien ou non.
Lien : http://luocine.fr/?p=1274
Commenter  J’apprécie          170
Heureuse découverte? Inusitée surtout puisqu'il s'agit d'un livre dont le sujet est la grammaire! Quoi? « la grammaire » ? Oui, oui, je vous assure. Pas uniquement celle du français, remarquez mais celles de toutes langues existantes ou ayant existé (y compris le sumérien). le sujet vous paraît aride et sans intérêt? Attendez un peu et donnez la chance au coureur. Il s'agit ici d'un livre d'exception écrit par un collectionneur de grammaires, un fou de linguistique doublé d'un vulgarisateur hors pair et qui, au surplus, a le sens de l'humour et de l'anecdote, ce qui n'est pas pour nuire dans les circonstances, convenons-en. Tenez, laissons toutefois ce drôle de zigoto se raconter un peu, ça vous donnera une meilleure idée:

Historien de formation, gros consommateur de littérature et de bandes dessinées depuis mon adolescence j'ai, sur la quarantaine, traversé une drôle de crise: durant près de cinq ans, je ne suis arrivé pratiquement à lire que des livres de linguistique. Aujourd'hui, le gros de l'orage est passé mais je persiste à consommer nettement plus de grammaires de langues rares et lointaines que de romans. Je n'apprends pas ces langues: à part l'espagnol, l'anglais et deux mots d'allemand, je ne sais passablement que l'estonien, et je me suis récemment mis au basque car c'est de loin la langue la plus exotique d'Europe. Mais je collectionne les ouvrages de linguistiques — J'en possède à ce jour très exactement 1186, concernant 878 langues (…). Je les dévore comme d'autres dévorent des romans policiers (…). (p. 8)

J'en entends déjà soupirer: « Mais qu'est-ce qu'un grammairien fanatisé peut avoir d'intéressant à nous dire sur les langues? » Plein de choses croyez-moi. À commencer par des anecdotes sur les ethnologues et les linguistes eux-mêmes. Comme le précise l'auteur:

Une grammaire ne comporte pas que des renseignements sur une langue et les locuteurs, mais également sur le linguiste: en sciences humaines, la personnalité de l'auteur, sa subjectivité ne s'effacent jamais totalement derrière son travail, et c'est heureux — on tombe même à l'occasion sur de gros bavards qui ont bien du mal à réfréner leur envie de se mettre en scène. (p. 27)

On apprend ainsi plein de détails savoureux sur un grand nombre de langues exotiques dont les noms mêmes nous sont pour la plupart inconnus. Et pour cause: elles sont habituellement le fait d'une poignée de locuteurs dont le nombre va généralement diminuant, soumises le plus souvent à une sorte d'attraction universelle qui, dans un avenir plus ou moins lointain, concentrera inévitablement les échanges entre humains autour de trois ou quatre langues majeures, au rang desquelles, sans surprise, on devrait logiquement retrouver l'anglais, l'espagnol et le mandarin. D'où la frénésie avec laquelle certains linguistes de choc s'efforcent, non sans risque parfois, à récupérer le témoignage de langues en déclin ou dont le destin est, pour ainsi dire, scellé. Parfois, l'entreprise relève l'opération kamikaze. Minaudier mentionne ainsi cette tribu de l'île de North Sentinel dans l'archipel des Andaman (vous irez voir sur Google map).

(lire la suite...)
Lien : http://plaisirsdemodes.com/l..
Commenter  J’apprécie          100
La linguistique, cette science molle presque aussi austère qu'un cours de maths, peut être fun. Si, si. Et si mes douces paroles ne suffisent pas à convaincre les sceptiques, ce livre le fera. Dès la première phrase le ton, l'humour, l'érudition aussi, te happent. Ce livre est un hybride, si agréable qu'il se lit comme un roman de lecture-loisir tout en éveillant l'intérêt par son contenu scientifique. D'ailleurs, l'auteur lui-même est une sorte d'extra-terrestre : homme vouant un culte aux grammaires des langues (les ouvrages descriptifs d'une langue, pas une révision des règles d'accords du participe passé) au point d'en avoir collecté plus de 1000 (mesurons notre chance : si le monsieur avait été tyrosémiophile son livre aurait sûrement eu moins de saveur), sa plume délicieuse non dénuée d'humour rend le propos totalement accessible aux non spécialistes (lui-même est historien et ne cherche jamais à être linguiste à la place du linguiste). Tellement buvable que l'on en vient à le siroter. Les exemples savoureux pullulent, exotiques pour ne pas dire inconcevables à nos cervelles conditionnées (ainsi le !xoon comporte 117 consonnes, le français 18 et le piraha 7, qu'il compense en employant une langue chantée ou murmurée selon ce qu'il cherche à exprimer. le basque a un pluriel affectif unique au monde, en itelmen il est nécessaire de redoubler le mot pour indiquer qu'il est employé… au singulier et le kabarde est en lice pour être nommé « langue sans voyelle »). Ce texte est une ode (‘ttention, je pars dans le lyrique, tu sens l'enthousiasme?) aux langues, à la variété de leurs manières de dire chacune le monde à sa façon et à la science qui en rend compte avec passion. « En un mot, ce livre chante la poésie de la grammaire. Car il est des êtres dans la vie desquels cet art occupe la place de la lune pour Hugo, de la mer pour Valéry, de Lou pour Guillaume et de Verlaine pour Rimbaud. »
Lien : https://tsllangues.wordpress..
Commenter  J’apprécie          60
« Les plus belles langues sont celles qui ne servent pas à communiquer. »
Le magnifique traducteur du conte lituanien l'homme qui savait la langue des serpents de Andrus Kivirak nous revient pour nous partager une passion peu commune: la passion de la grammaire.
Ces vagabondages linguistiques d'un passionné des peuples et des mots ne vous laisseront pas indifférent en vous invitant à flâner sur d'autres chemins. étonnés de l'infinie diversité du monde à dire, penser, rêver.
Ce livre chante la poésie de la grammaire.

Lien : http://www.quidhodieagisti.c..
Commenter  J’apprécie          60
Etonnant petit opus. J.-P. Minaudier réussit pendant 130 pages l'exploit de distiller avec humour sa passion pour les grammaires du monde entier sans décourager le lecteur. Il se présente comme un autodidacte, mais il faut quand même au lecteur un peu de connaissances en linguistique et à tout le moins un grand appétit pour les langues, proches et lointaines, pour ne pas décrocher. Il ne s'agit pas d'un simple survol des particularités des quelques 800 langues dont M. Minaudier a déniché les grammaires. Avec grand talent, sous une fausse légèreté et avec beaucoup d'humour, il tire des parallèles et fait ressortir des spécificités, similarités et "bizarreries" chez des groupes linguistiques souvent séparés par des continents. J'ai aimé les grandes claques mises à notre euro- ou occidentalo-centrisme : les systèmes les plus complexes se trouvent souvent dans des langues de peuples autrefois décrits comme "primitifs". Les 131 citations reproduites verticalement dans les marges (et fort heureusement traduites en fin d'ouvrage) donnent le tournis et illustrent délicieusement la diversité de l'expérience humaine telle que transmise dans les exemples d'usage donnés dans les grammaires... et nous font réfléchir à nos propres grammaires. Ardu... mais fort rafraichissant. Et le petit format de l'éditeur est très agréable.
Commenter  J’apprécie          50
Si on m'avait dit qu'un jour j'adorerai lire un livre sur les grammaires des langues du monde entier, j'aurais été surprise... L'auteur est vraiment très fort pour arriver à me captiver sur ce sujet. Il est surtout très drôle. Il faut lire toutes les notes en bas de page, ça vaut le coup ! (note n°11 : "ce livre se veut une défense et illustration de la note en bas de page, un genre littéraire trop décrié")
Commenter  J’apprécie          31
A lire absolument. Fascinant car ouvre des horizons insoupçonnés. C'est comme ouvrir un livre de biologie moléculaire ou d'astronomie. Partons à la découverte des mots et de la grammaire. Découvrons que la grammaire façonne le monde, et qu'elle est façonnée par lui. Lu deux fois, et sera certainement relu ! Se déguste par petits chapitres. Lire en étant concentré car c'est ardu par moments, c'est comme lire un livre de mathématiques. Mais l'auteur nous aide beaucoup avec son humour et ses exemples sont toujours intéressants et saugrenus. Merci mille fois à cet auteur pour sa patience et sa générosité.
Commenter  J’apprécie          30
Celui qui m’aurait dit que je me passionnerais pour un bouquin sur les grammaires comparées m’aurait je pense bien surpris mais celui qui aurait ajouté que j’éclaterai de rire en le lisant deux fois par page au moins se serait vu accuser d’avoir fumé la légendaire moquette ! Et pourtant ce fut le cas,une nuit d’insomnie, grâces en soient rendues à Jean-Pierre Minaudier ! Outre une verve comique qui le place sous le saint et double patronage de Vialatte et de Desproges (que brûlent les grasses offrandes sur les autels qui sont consacrées à ces bienfaiteurs de l’humanité !), il y a dans ce bouquin un formidable antidote à l’étroitesse d’esprit des « imbéciles heureux qui sont nés quelque part » et un hymne au génie de l’espèce humaine dans sa diversité …Qu’il en soit remercié et que son nom soit psalmodié en limilngan pour l’éternité devant le trône du Seigneur par un cœur de jaguars ,de dindes et de nonnes !
Commenter  J’apprécie          20




Lecteurs (204) Voir plus



Quiz Voir plus

Retrouvez le bon adjectif dans le titre - (5 - essais )

Roland Barthes : "Fragments d'un discours **** "

amoureux
positiviste
philosophique

20 questions
853 lecteurs ont répondu
Thèmes : essai , essai de société , essai philosophique , essai documentCréer un quiz sur ce livre

{* *}