Le livre ne domine pas. Il donne. Il ne castre pas. Il épanouit.
(...) je finis par retrouver la trace d'Ahmad Moudjahed, son auteur. Ahmad est l'un des confondateurs de cette agora souterraine. A travers les mailles d'une mauvaise connexion internet, unique lucarne sur le monde extérieur, il me raconte sa ville dévastée, les maisons en ruine, le feu et la poussière, et dans tout ce fracas les milliers d'ouvrages sauvés des décombres et rassemblés dans ce refuge de papier auquel tous les habitants ont accès. Des heures durant, il évoque en détail ce projet de sauvetage du patrimoine culturel, né sur les cendres d'une cité insoumise. Puis il me parle des bombardements incessants. Des ventres qui se vident. Des soupes de feuilles pour conjurer la faim. Et de toutes ces lectures effrénées pour se nourrir l'esprit. Face aux bombes, la bibliothèque est leur forteresse dérobée. Les livres, leurs armes d'instruction massive. (p. 12)
"Les poèmes ont ce pouvoir fou de transcender les époques. Rimbaud avait 16 ans quand il composa ces quelques vers. C'était en 1870, pendant la guerre franco-prussienne. Une autre époque. Un autre conflit. D'autres tragédies. S'il les avait écrits au XXIe siècle, je me dis qu'ils n'auraient guère changé."
Dans ce sas de liberté qu'ils se sont créé, la lecture est leur nouveau socle. Ils lisent pour sonder le passé occulté. Ils lisent pour s'instruire. Pour éviter la démence. Pour s'évader. Les livres, un exutoire. Une mélodie de mots contre le diktat des bombes. La lecture, ce modeste geste d'humanité qui les rattache à l'espoir fou d'un retour à la paix.
Quand tu n'as pas un plan précis dans ta tête, tes idées sont confuses. Si tu définis tes priorités, tu as moins de chance de te perdre.
Cette sensation troublante d'ouvrir la porte du savoir, de se faufiler à travers les pages comme on fuit vers l'inconnu.
L'écriture,
chiot qui mord le néant
et blesse sans effusion de sang.
P 118
Comme les cailloux du Petit Poucet, un livre mène à un autre livre. On trébuche, on avance, on s'arrête, on reprend. On apprend. Chaque livre dit il, renferme une histoire, une vie, un secret.
L'espoir cultivé dans ce jardin potager improvisé sur le recoin d'une terrasse.
L'espoir dans ces tournesols qui s'échappent d'une terre sèche et polluée.
L'espoir dans cet arbuste planté au milieu d'un cratère creusé par un obus.