Il n'existe pas de prison qui puisse enfermer le parole libre. Il n'existe pas de blocus assez solide pour empêcher l'information de circuler.
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En une semaine, ils sauvent six mille ouvrages. Un exploit ! Un mois plus tard, la récolte atteint les quinze mille exemplaires. Des petits, des grands, des cabossés, des écornés, des illisibles, des très rares, des très recherchés. Il faut désormais trouver un lieu pour les stocker. Les protéger. Préserver cette petite miette du patrimoine syrien avant qu’il ne parte en fumée. Après une concertation générale, un projet de bibliothèque publique voit le jour. Sous Assad, Daraya n’en a jamais eu. Ce serait donc la première. « Le symbole d’une ville insoumise, où l’on bâtit quelque chose quand tout s’effondre autour de nous », précise Ahmad. Il s’interrompt, pensif avant de prononcer cette phrase que je n’oublierai jamais :
- Notre révolution s’est faite pour construire, pas pour détruire.
Par crainte des représailles, ce musée de papier serait maintenu au plus grand secret. Il n’aurait ni nom, ni enseigne. Un espace souterrain, à l’abri des radars et des obus, où se retrouveraient petits et grands lecteurs. La lecture comme refuge. Une page ouverte sur le monde lorsque toutes les portes sont cadenassées.
Hors d'atteinte, cette université clandestine est un espace de transgression. Une transgression par l'apprentissage. Sur le tableau noir de leur nouvelle partition, les frondeurs de Daraya peuvent enfin tracer des lignes de fuite qui chantent un avenir en cours de construction.
Une mélodie fragile, celle d'une ville à l'agonie qui résiste au creux de l'obscurité.
Si tout le monde croit en quelque chose, est-ce vrai pour autant ?
Aujourd'hui, à cause des frappes aériennes, notre ville ne se lit plus à l'horizontale, mais à la verticale.
Inconsciemment, dans la pénombre de Daraya, Ahmad et ses amis portent en eux cet instinct de survie par la culture.
Une bibliothérapie universelle, en temps de paix comme de guerre.
- La guerre est perverse, elle transforme les hommes, elle tue les émotions, les angoisses, les peurs.Quand on est en guerre, on voit le monde différemment. La lecture est divertissante, elle nous maintient en vie. Si nous lisons, c'est avant tout pour rester humain.
Avec le temps, la peur s'est tassée. Je me suis mis à filmer de plus belle. A force de côtoyer la mort, j'en ai perdu le sens des émotions. (p. 66)
Quand les premières balles sifflent, les jeunes protestataires redoublent de créativité : ils offrent des roses et des bouteilles d'eau aux soldats avec ce petit mot accroché au goulot : "Nous sommes vos frères. Ne nous tuez pas. La nation est assez grande pour nous tous."
-La guerre est perverse, elle transforme les hommes, elle tue les émotions, les angoisses, les peurs. Quand on est en guerre, on voit le monde différemment. La lecture est divertissante, elle nous maintient en vie. Si nous lisons, c'est avant tout pour rester humain.