Citations sur Les passeurs de livres de Daraya (236)
Bachar al-Assad a voulu mettre Daraya entre parenthèses, l'enfermer entre crochets. J'aimerais lui ouvrir les guillemets. Faire défiler d'autres images que ce premier cliché. S'il faut se contenter de dessiner la silhouette d'une ville interdite, je suis prête à prendre le risque de tracer ces lignes imparfaites. Quand toutes les portes se ferment à double tour, ne reste-t-il pas, justement, les mots pour raconter ?
Puis il me parle des bombardements incessants. Des ventres qui se vident. Des soupes de feuilles pour conjurer la faim. Et de toutes ces lectures effrénées pour se nourrir l'esprit. Face aux bombes, la bibliothèque est leur forteresse dérobée. Les livres, leurs armes d'instruction massive.
"_Mais on raconte que les eaux avaient tellement bu d'encre qu'elles en changèrent de couleur, poursuit-il.
Même détruits, les livres avaient déteint sur le fleuve, pigmentant de leur encre indélébile l'eau de la ville. Une métaphore symbolique. Celle de la résistance des mots, même quand ils sont condamnés à l'oubli."
Pour Omar, la lecture est un instinct de survie, un besoin vital. A chaque permission, il se précipite à la bibliothèque pour emprunter de nouveaux imprimés. Les livres l'habitent, ils ne le lâchent pas. Seul face à la nuit, avec son arme comme seule compagne, il lit. Il croit aux livres, il croit en la magie des mots, il croit aux bienfaits de l'écrit, ce pansement de l'âme, cette mystérieuse alchimie qui fait qu'on s'évade dans un temps immobile, suspendu. Comme les cailloux du Petit Poucet, un livre mène à un autre livre. On trébuche, on avance, on s'arrête, on reprend. On apprend. Chaque livre, dit-il, renferme une histoire, une vie, un secret.
Le 28 août 2016 l'enclave s'est réveillée dans le silence.
P 137
Le 12 septembre Bachar Al-Assad parade dans les rues désertes de la ville fantôme.
P 142
La guerre est perverse, elle transforme les hommes, elle tue les émotions, les angoisses, les peurs. Quand on est en guerre, on voit le monde différemment. La lecture est divertissante, elle nous maintient en vie. Si nous lisons, c'est avant tout pour rester humain.
Les murs aussi chantent le renouveau. Au détour d'une rue, au bord d'un trottoir éventré, parfois au pied d'une façade dentelée, surgissent des pétales de poèmes, des constellations de pochoirs, des boucliers de mots... Avec ses tubes de peinture, Abou Malek al-Chami, le graffeur de la bande, arpente la ville pour y peindre l'espoir en couleurs. Sur une façade déchirée par le souffle d'une explosion, il a croqué une fille de 4 ou 5 ans en robe bleue et jaune. Perchée sur une colline de têtes de morts, elle inscrit de sa main potelée le mot "HOPE", en lettres capitales. Cette fresque est une leçon d'optimisme. Une empreinte contestataire sous forme de pied de nez à la guerre.
Le 7 décembre 2015, je reçois un nouveau message d'Ahmad. Cette fois-ci, c'était un éclat de phrase, tranchant comme un fragment de balle. Il tient sur une seule ligne :
- La bibliothèque a été attaquée.
Après une concertation générale, un projet de bibliothèque voit le jour. Sous Assad, Daraya n'en a jamais eu. Ce serait donc la première. "Le symbole d'une ville insoumise, où l'on bâtit quelque chose quand tout s'effondre autour de nous", précise Ahmad. Il s'interrompt, pensif, avant de prononcer cette phrase que je n'oublierai jamais : - Notre révolution s'est faite pour construire, pas pour détruire.
Les livres, ces armes d'instruction massive qui font trembler les tyrans.