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Critique de karmax211


J'ai beau dire et j'ai beau faire, plus je lis et plus je ne peux que me rendre à cette frustrante évidence : j'accumule toujours plus de retard dans mes lectures.
Pour certaines ce retard se compte en mois mais pour d'autres il peut avoisiner les sept, huit, parfois dix ans !

J'ajoute que le drame syrien initié par les protestations criminellement réprimées de quelques jeunes à Daraa au mois de mars 2011m'a fait d'emblée adhérer au Collectif pour une Syrie Libre et Démocratique, collectif créé par Bernard Schalscha, au sein duquel se sont retrouvés des personnalités et des anonymes, et chacun pendant des années a oeuvré avec ses moyens pour maintenir le cordon ombilical entre la barbarie d'Assad, de Daesch, de l'EI, des Russes, de la Turquie et de l'Iran et le monde dit civilisé auquel la France est censée appartenir.
Car outre l'aide humanitaire ; nous avons fait notre possible et de notre mieux. Rien n'est pire que l'oubli et l'indifférence. Là, ni l'UE, ni Hollande, ni Obama ( surtout pas Obama... la Syrie restera une tache couleur de sang à l'odeur de sarin sur sa présidence ) ne nous ont été d'un grand secours.
Quant à Poutine, il a fait ce qu'il sait faire de mieux, il a massacré, bombardé, torturé, rasé en toute impunité ; la lâcheté occidentale a fermé les yeux sur les atrocités commises par le mass killer du Kremlin...

J'ai lu, il n'y a pas très longtemps, - Va où l'humanité te porte - un bouquin touchant de Raphaël Pitti, grand médecin français rompu à la médecine de guerre, qui s'est rendu clandestinement plusieurs fois en Syrie pour soigner, pour former des médecins et des secouristes à cette médecine de "catastrophe"... ( À présent, à 72 ans... il fait la même chose pour l'Ukraine...) ; ce livre, je vous en ai parlé et vous l'ai recommandé.
J'ai lu - le fil de nos vies brisées - de Cécile Hennion ( je vous en ai parlé et vous l'ai recommandé )... un livre e témoignages déchirant.
J'ai lu - L'apiculteur d'Alep - ( je vous en ai parlé et vous l'ai recommandé )... un roman très touchant de Christy Lefteri...
Et puis, il y a de cela plus longtemps, j'ai lu - La coquille - Prisonnier politique en Syrie -, un livre témoignage extrêmement fort de Mustafa Khalifé, livre référence, livre dont il est beaucoup question dans celui de Delphine Minoui.

Pourquoi ai-je attendu si longtemps avant de lire ce livre indispensable de cette grande journaliste reconnue, primée ( Prix Albert Londres 2006 ) sur ces jeunes gens encerclés dans la ville martyre de Daraya qui, malgré les barils d'explosifs ( pas loin de 10 000 avant la capitulation ), les attaques chimiques au gaz sarin, la famine, l'insalubrité, la maladie et la mort, ont exhumé des décombres tous les livres qu'ils pouvaient sauver, ont créé une bibliothèque souterraine, répertoriant, classant, identifiant, numérotant ces " armes d'instruction massive ", les faisant circuler comme le pied de nez suprême de la rébellion, de la liberté et de la civilisation face à l'obscurantisme sanguinaire de leurs bourreaux ?
Je l'ignore et quelque part m'en veux...

Delphine Minoui, devenue avec sa fillette de quatre ans Stambouliote, découvre sur les RS l'existence de la page " Human Rights " sur laquelle de jeunes Syriens témoignent à travers surtout des photographies, de ce qu'ils vivent au quotidien dans leur pays.
Sur cette page, elle apprend l'existence d'une bibliothèque clandestine à Daraya.
Intriguée, elle cherche à en savoir plus et grâce à ses recherches sur Skype va finir par entrer en contact avec quelques-uns de ces " passeurs de livres " tels Ahmad, Shadi, Hussam, Omar ...
Intéressée par cette " expérience " unique, elle va solliciter leur accord afin d'en écrire un livre, obtenir cet accord et nouer des liens de proximité, en dépit de la distance, avec ces jeunes résistants... une résistance comme une " allégorie : celle du refus absolu de toute forme de domination politique, culturelle ou religieuse."
À la bibliothèque secrète s'ajoute une agora où cette jeunesse se réunit et débat de tout... Un exemple d'un de ces débats : " L'islam politique est-il soluble dans la démocratie ?"
On échange sur ses lectures, on lit à voix haute certains passages...
Des cours sont dispensés à ceux que le régime et la guerre ont privé d'école et d'instruction ; des cours de langue ( l'anglais essentiellement ), des cours de philo etc
Entre 2015 et 2016 ( année de la reddition, de la chute de Daraya ), Delphine Minoui va garder, via Skype et Whatsapp, le contact avec ces passeurs dont les trois grandes figures sont Ahmad ( son principal interlocuteur ), Ustez, le professeur et mentor des plus jeunes ( il a trente-cinq ans ) et Shadi le vidéaste si précieux...
" Ahmad est l'un des cofondateurs de cette agora souterraine. À travers les mailles d'une mauvaise connexion internet, unique lucarne sur le monde extérieur, il me raconte sa ville dévastée, les maisons en ruine, le feu et la poussière, et dans tout ce fracas les milliers d'ouvrages sauvés des décombres et rassemblés dans ce refuge de papier auquel tous les habitants ont accès. Des heures durant, il évoque en détail ce projet de sauvetage du patrimoine culturel, né sur les cendres d'une cité insoumise. Puis il me parle des bombardements incessants. Des ventres qui se vident. Des soupes de feuilles pour conjurer la faim. Et de toutes ces lectures effrénées pour se nourrir l'esprit. Face aux bombes, la bibliothèque est leur forteresse dérobée. Les livres, leurs armes d'instruction massive."

2015 et 2016, années lourdes de souffrances, de morts et de deuil.
Pour la France avec Charlie, le Bataclan et la Promenade des Anglais à Nice.
En turquie, le 12 janvier 2016 un attentat fait 13 morts et de nombreux blessés, le 28 janvier, l'attentat-suicide à l'aéroport Atatürk tue 45 personnes, le 13 novembre n autre attentat fait 6 morts et 81 blessés... Delphine Minoui était sur les lieux avec sa fille au moment de l'attaque...
Les jeunes de Daraya s'inquiètent pour Delphine et font preuve de solidarité à l'égard des victimes des " fous de Dieu " comme en témoignent les mots touchants de l'auteure :
" Ahmad vit sous une pluie de bombes. Il a perdu tant d'amis, n'a pas vu sa famille depuis quatre ans. À Daraya, son quotidien est une montagne d'urgences. Il a pourtant pris le temps de rédiger ce message, de partager sa compassion.
Un terroriste ne s'excuse pas.
Un terroriste ne pleure pas les morts.
Un terroriste ne cite pas - Amélie Poulain- et Victor Hugo ."
Daraya était bien un bastion Syrien de la liberté et de la tolérance.

Les passeurs de livres de Daraya - est un livre et un témoignage précieux pour L Histoire. Il montre et démontre que cette révolution pacifique, qui aurait voulu le rester, a été contrainte de prendre les armes pour survivre aux forces du Néant. Il prouve que cette jeunesse n'était animée que par l'envie légitime de tout être humain de pouvoir vivre libre, heureuse et en paix, choisir sa vie et le système censé la représenter.
Nous savions.
Delphine Minoui nous met le nez sur l'évidence : nous savions que nous savions et nous n'avons rien fait.

Un livre surprenant, fort, attachant, touchant, culpabilisant, indispensable.


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