Petit éloge de l'errance

Ce qui caractérise fondamentalement cette période de la « guerre de Quinze ans » (1931-1945), c'est d'une part, l'expansion coloniale de l'Empire et l'enlisement de la guerre d'invasion et, d'autre part, l'instauration du régime militaro-fasciste fondé sur l'élimination systématique des libertés publiques. Les deux phénomènes allaient de pair. D'une certaine manière, c'est le rétrécissement de la sphère des libertés individuelles qui entraînait dans un même mouvement le continent chinois. Deux dates, entre autres, méritent d'être retenues : 1937 et 1941. 1937, c'est le début d'une gigantesque opération de contrôle mental qu'on appelle le « Mouvement national de mobilisation spirituelle » dont l'objectif affiché consistait à imposer à tout un chacun le sacrifice de soi au profit du dévouement infini à l'Etat confondu avec la personne divine de l'Empereur. Quand à l'année 1941, c'est celle où sont entrées en vigueur les nouvelles disposions de la « Loi sur la préservation de l’ordre public », qui réduisait à néant la dissidence politique.

2365 - [Folio n° 5821, p. 50/51]

De la musique d’abord.

Faire acte d'intellectuel, c'est toujours rompre l'adhérence à son milieu. " Les sots ont ceci de commun avec les éponges, qu'ils adhèrent", disait Valéry, et spongieuses sont les communautés natives.
AKIRA MIZUBAYASHI Petite éloge de l'errance Gallimard Folio 2014 Page 86

Si éloge il y a, il doit être décerné à Akira Mizubayashi pour la qualité de l’écriture de la langue française.
Qui de mieux que ce japonais ayant étudié en France, grand admirateur de Rousseau pouvait expliquer la mentalité et la culture japonaise, si éloignées des nôtres. Par divers chemins y compris par ceux de son enfance et ses blessures, l’auteur nous amène à cette compréhension. Le Japonais est un homme seul, vivant dans une communauté nationale régie par le poids de la hiérarchie et la verticalité du penser unique.
Nous comprenons que pour lui, si imprégné de la culture européenne, combien il est difficile de revenir aux valeurs de sa culture d’origine lorsqu’il rentre au Japon. Le Japon qui ne reconnaît même pas la double nationalité. Le Japon qui laisse peu de place aussi à l’indépendance intellectuelle et où l’emprise de l’Etat est totale.
Un livre éclairant.

Le présentisme, sur le plan des conduites humaines, aboutit au conformisme. (..) En Europe occidentale, le conformisme est l'objet d'une critique acerbe quand il se confond avec la soumission à la tyrannie de la majorité. Au Japon, il est plutôt la voix (ou la voie) de la sagesse comme l'indique le proverbe déjà cité : "Laisse-toi enrouler par ce qui est long."

Bref, le japonais n'a ni passé ni futur ; ce qui prévaut c'est le présent de l'enonciation. La langue japonaise a une forte tendance à se désintéresser de l'inscription des événements dans le déroulement temporel ; elle privilégie la posture psychologique du sujet parlant par rapport à ces événements qui ont déjà eu lieu ou qui vont venir.

"Laisse-toi enrouler par ce qui est long", dit éloquemment un proverbe. Ici la non-remise en question de ce qui est long- le pouvoir- est une valeur; la soumission aveugle est une sagesse.

Être seul m'a toujours paru préférable, même au prix d'une sombre mélancolie qu'entraîne souvent l'isolement choisi et voulu.

On ne se préoccupe pas de savoir quelle est la part de responsabilité de chacun de ceux qui sont à l'origine du drame de Fukushima. On n'accuse personne. Personne n'assume sa responsabilité. Personne. Personne. Personne. Aucun individu n'émerge du lot. Ni les personnalités du secteur privé, ni les hauts fonctionnaires du ministère de l'Économie et de l'Industrie, ni les chercheurs universitaires partisans de l'atome, bref nul individu en tant que tel de ce qu'on appelle le village nucléaire ne se sent apparemment concerné ni interpellé par la destruction de tout un environnement.

1937, c'est le début d'une gigantesque opération de contrôle mental qu'on appelle le《Mouvement national de mobilisation spirituelle》dont l'objectif affiché consistait à imposer à tout un chacun le sacrifice de soi au profit du dévouement infini à l'État confondu avec la personne divine de l'Empereur.