Une nouvelle plongée dans le prodigieux monde modianesque, fait de souvenirs à la fois précis et incertains.
Plus qu'un
livret de famille, c'est un album de famille que l'on feuillette ici.
L'agencement du roman en 15 petites histoires, parfois très courtes, est moins désordonné qu'il n'y paraît de prime abord.
La première et le dernière nous mènent dans le temps présent, celui de Patrick, sa femme, sa fille bébé: la différence est que la première fait encore ressurgir une ombre du passé en la personne du vieux Monsieur Koromidé, alors que la dernière ne fait plus référence au passé, mais au thème obsédant de la mémoire, envahissante chez le père, encore absente chez sa petite fille. "Elle n'avait pas encore de mémoire", c'est sur ce constat "d'état de grâce" que se termine le livre.
Et en quelque sorte en résonance avec les histoires du début et de la fin, la nouvelle du milieu, la VIII, nous évoque le retour de l'auteur au temps de son baptême.
Les autres histoires mettront en scène des moments de la vie de la "famille", la grand-mère, la mère quittant Anvers en guerre, le père emmenant son fils à une étrange partie de chasse, les retrouvailles avec l'appartement où se rencontrèrent et s'aimèrent ses parents, la balade avec l'oncle Alex.
D'autres récits évoquent des bribes du temps de la vie de Patrick, adolescent en Suisse troublé par la résurgence d'un être malfaisant, ou amant de la jeune et belle Denise Dressel pour laquelle il s'évertuera à écrire l'histoire de son père absent (et peut-être mort), jeune adulte scénariste d'un film improbable, ou en Tunisie avec sa future femme, ou enfin, simple témoin de la mort soudaine d'un homme dont il cherchera à retenir un peu du passé...
Même si cette petite fresque autobiographique n'est pas aussi puissante que l'autre,
Un Pedigree, ni au niveau des récits majeurs que sont par exemple
Dora Bruder,
Rue des Boutiques Obscures,
Dans le café de la jeunesse perdue,
La petite Bijou,...toute la magie de
Modiano est cependant là: l'écriture fluide, la construction si musicale des phrases, et surtout la mémoire, l'irruption du passé dans le présent, avec l'atmosphère des lieux, et si souvent une mélancolie, une angoisse latente et une incertitude, mais aussi, ce qui distingue notre Patrick de notre Marcel, cet autre explorateur de la mémoire, une empathie et une tendresse profonde pour les gens.
"Tout un monde lointain, absent, presque défunt vit dans les profondeurs" de ce
Livret de famille et nous procure, comme toujours chez
Modiano, le "charme profond, magique, dont nous grise, dans le présent, le passé restauré".