Lorsque
Patrick Modiano a eu son Nobel, j'ai dû reconnaître mon incurie. Je le connaissais de nom, je pouvais citer sans doute un titre et même préciser que dans "La femme au carnet rouge" d'
Antoine Laurain, il est question de lui mais à part ça, rien. Maigre constat, ignorance crasse. Bon, je ne suis peut être pas la seule. Mais c'est un de mes principes de lectrice, j'accorde de l'importance aux prix littéraires, surtout le Nobel de littérature car il consacre une oeuvre entière et non un livre en particulier.
Me voilà donc embarquée dans un parcours
Modiano et force est de constater, après la lecture de "
La Petite Bijou" qui suit celle de "
Dimanches d'août", que "j'aime lire du
Modiano". Je sais bien que je n'atteins pas un summum dans la pertinence de mon analyse en disant "j'aime lire du
Modiano". Certes, mais premier constat tout de même. Qu'est-ce qui me plait dans les histoires de
Modiano ? Bon d'accord, je n'en ai lu que deux et je n'aurai donc pas la prétention de convaincre les réfractaires mais je voudrais juste apporter mon modeste éclairage. Elles sont d'apparence simple, pourraient se résumer facilement sur le plan de l'intrigue et pourtant, elles contiennent beaucoup. D'apparence peu mais tout en fait : il faut s'être coltiné l'inverse dans certains
romans pour apprécier. Tout doucement, dans un style à la fois lent (que d'aucuns qualifieraient d'ennuyeux) et fluide,
Modiano aborde des questions fondamentales mais sans appuyer, sans insister. Je crois qu'il fait confiance à l'intelligence du lecteur pour s'en emparer. Merci Monsieur Modiano.
Dans
La Petite Bijou, une toute jeune femme, Thérèse Cardères croît reconnaître, dans le métro, sa mère dont on lui a annoncé qu'elle était décédée au Maroc douze ans plus tôt. Elle la suit et découvre que cette femme vit en banlieue, seule, et qu'elle n'est plus en mesure de payer son loyer. Mais qui était cette mère ? Est-elle Suzanne, selon son état civil ou la comtesse O'Dauyé ? Une danseuse aux chevilles brisées, une sorte d'ange déchu qui ne sait que faire de la petite fille qui vit à ses côtés et qui reporte par moment ses désirs de gloire sur celle qu'elle a surnommé "
La Petite Bijou". Livrée à elle-même dans un grand appartement parisien, soumise aux absences ou aux crises de sa mère, confiée le jeudi (nous sommes en 1967) aux bons soins d'un oncle supposé,
la Petite Bijou sent que son sort pourrait ressembler à celui du petit caniche noir, son seul compagnon, perdu ou plutôt abandonné au cours d'une promenade. Et, de fait, c'est ce que sa mère finira par faire, ne revenant jamais la chercher après un séjour de vacances à la pension de Fossombronne-la-forêt.
C'est toute cette enfance délaissée qui revient de manière obsédante à la mémoire de Thérèse, devenue adulte, d'autant plus que son travail de garde d'enfants, l'amène à côtoyer un couple énigmatique, presque évanescent, les
Valadier, bien "encombrés" de leur petite fille. Une petite fille jamais nommée, comme une négation de son importance, de son existence. Une situation qui entre en résonance avec le passé de Thérèse et en amplifie la souffrance.
Pourtant Thérèse trouve du réconfort auprès d'un certain Moreau-Badmaev, traducteur de langues rares ("le persan des prairies" !) et d'une pharmacienne parisienne (là, j'ai eu du mal à comprendre l'intérêt, le sens du personnage, si ce n'est par rapport aux médicaments...) mais rien n'y fait, Thérèse revient sans cesse à sa boîte à souvenirs, le passé n'est pas soldé.
Elle finit par errer dans les rues de Paris, cherchant ses repères d'enfance, évanouis, insaisissables mais la nostalgie l'étreint, la nostalgie au sens étymologique, comme l'explique si bien
Kundera dans "
L'ignorance", cette souffrance de l'impossible retour.
Errances et nostalgie, symptômes de l'impossible quête des origines et de soi, l'enfance comme du sable qui empêche tout ancrage, quelle belle part vous nous livrez là, Monsieur Modiano.