Yann Moix n'y va pas par quatre chemins. Pour évoquer l'amour, ses frasques, ses phases successives, sa grande labilité ; il tergiverse et adopte le procédé d'une « lettre de… » dans l'espoir peut-être(je ne suis pas convaincu qu'il soit homme à avoir des espoirs fondés) de rallumer une sorte de paix des sexes.
A défaut, c'est la hache de guerre qu'il déterre. La lettre d'amour se transforme en brûlot, le schéma en décorrélation méthodique de l'autre. Il ne perd pas un instant à démystifier le pot-aux-roses d'amour et le leurre constitutionnel inhérent semble-t-il à ce sentiment. Là où chacun, chacune réclamerait à corps et à cris une vérité du ou des sentiments, force est de constater pour le narrateur – auteur que la tendance de fond serait plutôt à une imposture généralisée : chacun, chacune tenant sa posture, son rôle, son personnage dans ces hyménées de la séduction. Attention aux déconvenues !
Cela ne semblait pas un souhait premier, objectivé par quelque résolution pré-maïeutique, à grand renfort de préjugés – non, ce schéma passa au fil du roman pour être apparu rapidement suite à des réflexions et ce, dès l'adolescence du narrateur. On aurait peine à ne pas chercher dans sa voix celle de
Yann Moix, dans ses prises de position radicales, que seule autorise une sortie de relation amoureuse, celle de l'écrivain à la ville. Misogyne, diriez-vous ? je ne pense pas que ce terme corresponde tout à fait au tempérament du besogneux locuteur du roman. Certes, il y va de diatribes contre la (les) femme(s), expose comment lui les consomme assidûment, comment il les délaisse tout aussi vite, mais… il tend à se justifier, à avancer des raisons. Comme tous les misogynes, diriez-vous ? non, il ne se contente pas d'argumenter, il prend et façonne, donne vie et matière à un système métaphilosophique : se trame ainsi sous nos yeux un sens critique, pas une passade insouciante et décousue d'elle-même. L'inconvenance le cède donc à la liberté de parole et à une opinion structurée ; un paradigme désenchanté.
Le locuteur a souffert, de trop, après avoir fait tant souffrir ses comparses féminines. Était-ce un juste retour de choses ? lui, le Don Juan, l'être dévolu au péché charnel dupliqué, reprisé, marcotté, dans le cirque d'évolution des particules humaines qu'est Paris, se voyait désormais fébrile et dépendant, exact au rendez-vous de sa vie mais déjà dans le savoir du poids que cette femme ferait peser sur lui.
Yann Moix, c'est l'exergue de la quatrième de couverture qui le dit, considère que chaque femme aimante fabrique un infidèle. le personnage est plus souvent amoureux dans l'attente, dans une projection, une idéalisation de l'autre en absence que dans sa fréquentation quotidienne et bassement matérielle. le locuteur ne supportait pas que ses conquêtes s'alanguissent dans ses bras. L'homme aime celle d'après, éternellement repoussée – la fidélité est un crime – la femme est une promesse d'enfermement, toujours déguisée. Il tomba amoureux de telle jeune femme dans le roman au bénéfice du doute et, surtout, machisme invétéré, en vertu de son beau minois. L'auteur du roman reconnaît là quelques forces de la Nature contre lesquelles les assauts de la civilisation et de la culture ne peuvent rien. L'attirance est affaire de pulsion, d'instinct. Mais, il est troublant et déceptif de constater que l'écrivain ne fasse pas l'économie de lieux communs et de figures imposées pour en dépeindre les contours du théâtre amoureux. Il y aurait la femme-proie, les hommes-meute, la bataille (dé-)rangée, et plus avant dans la relation, la trahison du temps qui promeut le regret dans les coeurs, qui isole de l'intimité au profit de l'inimitié…
Très curieusement, la lettre passe en revue l'évolution d'un amour sale et rabougri : au sortir d'une relation qui a déjà pas mal bourlinguée, le propos tient donc en la peinture d'un différend existentiel, irréconciliable, entre les amants. D'une part, il y aurait l'incertitude de trouver l'autre, d'autre part, il y aurait la difficile identification de ses propres états d'âme et leur invariance dans le Temps. Peut-on faire coïncider deux états d'esprit sur la durée ?
Lieu et occasion de tous les extrêmes, l'amour se voit associé sémantiquement à des couples d'antonymes. Et dans une forme de prolongement de ce constat posé dès les premières pages du récit, l'amour expose le narrateur à ses climats radicaux.
Somme de sentences sur l'amour brutal, sur l'amour génital, moins sur l'amour marital, le récit n'en laisse pas de dépeindre une situation générale. Amants singuliers, mais pas trop, nos protagonistes dont seul un à la parole, témoignent de la difficulté d'être ensemble et de vivre pour soi, pour l'autre et pour l'extérieur. La femme du roman n'a pas d'autre passion que son couple, ce qui pour l'auteur passe pour un non-sens.
Drôle de roman que celui-ci qui dans le format un peu vilipendaire et centré sur le couple, royaume de la désunion, fait penser au Lit défait, de
Sagan. le style de
Moix explose à chaque page, sans toutefois faire de moi un converti. Les énumérations – longues – sont fréquentes, les comparaisons téméraires voire saugrenues, la poésie tant réclamée peine à surnager (name dropping des auteurs classiques…). En effet, hormis quelques morceaux de bravoure littéraire, le sujet caustique et délibérément charnel inclut comme un inévitable des descriptions truculentes et un langage cru. La poésie peut en être, cela va sans dire, surtout dans une conception moderniste, mais ce n'est pas le souci premier de l'auteur. le principal reproche que je puis lui faire c'est l'exposé d'atermoiements avant et dans le couple aussi connus… qu'éculés. Je ne vois pas la nouveauté sur la formation d'un ensemble amoureux comme je ne vois point l'intérêt d'une ‘fin heureuse' morale où… mais n'en disons pas plus, pour préserver l'intérêt des futurs lecteurs. Toutefois, l'Amour (honneur) est sauf !