Si je voulais vous parler un langage un peu prétentieux, je vous dirais : la vie est mon épouse, et les livres que je tire d'elle sont mes enfants.
Je suis quelqu’un de mobile : j’aime les êtres, j’aime leur possession, je les ai dans le sang. Il est inévitable qu’à un moment je désire d’autres femmes que la mienne.
Sachez que cette affection reste prête à jouer dans votre vie le rôle que vous voudriez. Je ne suis pas quelqu'un qui vous abandonne ; je suis quelqu'un qui rompt et prend du champ pour respirer. Je suis prêt à vous donner tout ce que vous souhaiteriez de moi, et sous quelque forme que ce soit, hormis celle du mariage.
Il s’était demandé : « Pourquoi est-ce que je lui écris : ma chérie ? C’est quelque chose de voulu, rien d’autre. Au fond, il n’y a pas de raison. » La raison était qu’il l’aimait moins. C’était sans doute parce qu’il l’aimait moins qu’il l’avait appelée : ma chérie.
Dieu sait quel effort il me faut faire parfois pour imaginer les sentiments de l’humanité moyenne, que spontanément je n’éprouve guère.
Tantôt j'ai peur d'elle, de sa mère, de tous les siens, de cet engrenage horrible (*), et tantôt je me gonfle, comme une voile qu'on largue, en pensant que je peux la rendre heureuse.
(*le mariage)
Le troisième être était surtout le lapin en peluche, posé sur l’oreiller contre la tête de Solange ; fort pelé et poussiéreux, […] avec une de ses oreilles lui retombant sur le museau, et un de ses yeux remplacé par un bouton de bottine. Souvent Costals le baisait au lieu de Solange, à moins qu’ils n’unissent leurs trois bouches : Costals, qui connaissait son génie, savait bien pourquoi il l’avait priée de s’adjoindre de ce lapin. (D’autres fois, il lui arrivait de faire porter à ses amis, durant les caresses, des têtes de carnaval représentant des têtes d’animaux. Combien alors il les dépassait ! bondissait hors des limites étroites de ce sexe !) Il le mêla si fort à leurs jeux qu’un moment vint où le lapin envahit complètement son imagination, en chassant Solange. Sa volupté prit alors un caractère religieux […].
Le village de San Cassiano est un but d’excursions, c’est-à-dire un lieu sans aucun intérêt, puisque l’unique objectif des excursions est d’essayer de tuer le temps.
Je ne fais pas son procès à elle, qui est sans reproche. Je ne fais pas même le procès de la vie en commun, liaison ou mariage. Je fais le procès de la charité, qui vous force à vous conduire avec un être comme si on l’aimait, alors qu’on ne l’aime pas (du moins : alors qu’on ne l’aime pas à fond.
Elle rentre enfin dans cette grande loi, dont les hommes ne tiennent pas assez compte, à savoir que d'inestimables biens peuvent naître du seul fait qu'on a "changé de place" [en italiques dans le texte] - que ce qui n'était pas possible devient possible simplement parce qu'on a "changé de place".
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