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3,79

sur 411 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  

Ah, le pouvoir fécond du roman qui me fait vivre « d'autres vies que la mienne » , pour reprendre le titre de ce beau livre d'Emmanuel Carrère.
Ici, c'est un peu de la vie des noirs dans la première moitié du 20ème siècle, dans un État du centre des États-Unis, l'Ohio, et plus particulièrement des femmes noires, qui nous est donné. C'est-à-dire le double malheur d'être noire, et femme, dans un pays où même si l'esclavage a été aboli il y a quelques années, une ségrégation sévère est présente,
Et comme c'est la grande Toni Morrison (c'est le quatrième livre que je lis d'elle) qui nous conte cette histoire, c'est d'une exceptionnelle justesse et d'une beauté qui suscite l'admiration.

Le cadre, c'est un quartier de Medallion, une petite ville de l'Ohio, laissé aux noirs par la communauté blanche, et dénommé ironiquement le Fond, alors qu'il s'agit de collines difficiles à cultiver, et que la vallée fertile est réservée aux blancs.

L'histoire, c'est celle de deux jeunes filles de ce quartier, Nel et Sula, toutes deux enfants uniques, et toutes deux « avec le rêve d'une autre vie », qui se rencontrent à l'âge de 12 ans. .. «avec l'aisance et l'agrément d'amies de longue date ».
Et pourtant, Nel Wright, est élevée seule par une mère très rigoureuse alors que Sula Peace vit dans une maison débordante de gens, dirigée par Eva, une grand-mère fantasque et cruelle, avec une mère, Hannah, plus préoccupée d'aventures masculines que de sa fille.
Et pourtant l'une, Nel, a un caractère pondéré et réfléchi alors que Sula, dont le nom de Peace est à l'opposé de son caractère, est une fille inquiète, excessive et provocatrice.
Mais elles vont tout partager, le pire et le meilleur, puis tout cela se brisera sans retour.

L'auteure nous fait vivre l'évolution de la relation entre ces deux filles adolescentes, puis adultes, celle de leur famille et de leur quartier.
Nel qui deviendra une femme mariée, à la vie plutôt ranquille et Sula, avide de liberté qui quittera le Fond pour y revenir 10 ans après, et y semer le désordre, jusqu'à finir par être détestée de tous et surtout de toutes, y compris de Nel, dont le mari Jude, d'abord séduit par Sula puis rejeté par elle comme un Kleenex après usage, abandonnera Nel et ses enfants.

C'est un monde de pauvreté et de souffrance, mais aussi d'une entraide sans limites.
C'est plein d'amour et de haine, de folie et de drames terribles, d'une sexualité crue.
Mais aussi de religiosité mêlée à des croyances magiques, telle cette invasion de rouges-gorges qui annonce le retour de Sula.

J'ai eu le sentiment d'y vivre, de le sentir, de le comprendre, ce quartier du Fond, et de ressentir les espoirs et les échecs de Sula et de Nel.

Un très beau roman de cette écrivaine magnifique et engagée, et pas loin du niveau de Beloved, son chef-d'oeuvre.
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Fille de. Femme de personne. Filiation. Héritage, mémoire, transmission. Amitié, solidarité, communauté. Amérique : 1919. 1965. Ohio. Midwest des États-Unis. Racisme, ségrégation, ostracisme, traumatisme. Toni Morisson tisse. Tisse des liens. Tout s'enchaîne, se tient. Tout se déchaîne, se relie. Toni Morrison tisse, peint, sculpte. Matière brute. de l'humain. Elle donne vie, et donne parole. Aux femmes, à la communauté des femmes du Fond, cette communauté vivant sur les collines, au dessus du monde des blancs, au dessus de la communauté de ceux de la vallée. Aux femmes, aux enfants , aux hommes. A une communauté, mais surtout à des individualités. Des parties devant intégrer bon gré et le plus souvent malgré cette communauté. Amour, sexualité, éducation, famille, abandon. Communauté complexe, qui tente de garder l'équilibre entre les forces de son mal et la sauvegarde de son bien.
Mensonge, secret, courage, trahison, humiliation. Tenir, garder l'équilibre, et coûte que coûte survivre. Survivre aux traumatismes, à la violence, au chômage, aux maladies, à la famine, inventer ses propres superstitions, ses propres démons, quitte à désigner à son tour ses boucs émissaires pour tenter de se construire une utopique hiérarchie morale, sociale. Construire un ordre à travers le chaos d'une Amérique dichotomique et névrotique. Toni Morisson désosse, démonte la grande mécanique sociale américaine en remontant le temps subi. Elle s'approche au plus près de l'origine du mal en scrutant le Fond. le fond des coeurs, des âmes, des ventres, des têtes, des fantômes, des silences, et des cris.
Avec Beloved, Sula est encore un très grand roman de Toni Morrison.
« Pourquoi il y a eu tant d'esclaves emmenés de force en Amérique ? Simplement parce qu'il fallait remplacer ceux qui mouraient sous les coups, voilà pourquoi il en fallait toujours plus. Bien sûr ce n'est que par la violence et par la force qu'on peut mettre en place un tel système et je crois qu'il est inscrit dans l'ADN de ce pays et de ses habitants. » Toni Morrison, émission « à Voie Nue », 11/2006.

Astrid Shriqui Garain
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Lu en VO.
J'ai eu du mal à rentrer dedans au début mais en définitive j'ai beaucoup aimé. Sula est un personnage très fort, qui brave toutes les conventions sociales et s'impose ; et pourtant, elle est sensible et humaine. de manière générale, la personnalité et la psychologie des personnages sont très bien travaillées et approfondies, ce qui en fait toute la force de ce roman. Mais en plus de cela, Toni Morrison ne fait pas que simplement s'accaparer le thème de la ségrégation aux États-Unis, elle le rend vivant, terriblement réel, désolant. L'impuissance est tangible. Et elle ajoute cette dimension maternelle, féminine, féministe qui confère à l'ensemble un caractère dangereusement humain, à double tranchant. Dans ce livre, rien ne semble être mieux justifié que par les sentiments. Égoïsme. Traumatisme. Amour. Amitié.
Toni Morrison écrit pour se rappeler de la « cause noire ». Et cela se voit, cela se lit.
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Dans les années 1910, dans le Fond, le quartier noir de Medaillion, Ohio, Nel et Sula partagent une amitié solide et intense. « C'était des petites filles solitaires dont l'isolement était si profond qu'il les enivrait et les précipitait dans des visions en technicolor incluant toujours une présence, quelqu'un qui, à l'égal de celle qui rêvait, partageait les délices de ce rêve. » (p. 60) Hélas, la vie va éloigner les deux inséparables : Nel choisit le mariage et la vie de famille, Sula veut le plaisir et la liberté, jamais les attaches. « Sula apprenait que le sexe était quelque chose d'agréable et de fréquent, mais sans rien d'extraordinaire. » (p. 52) Quand elle revient à Medaillion, des années trop tard, tout a changé et personne ne veut d'une négresse indépendante et fière, même pas Nel. « Je ne veux avoir personne d'autre. Je veux m'avoir, moi. » (p. 102) C'est alors toute une ville qui fait front contre un individu, toute une ville qui se fond dans une haine aigre et hypocrite. Les revendications de Sula étaient vouées à l'échec, elles étaient trop belles pour ne pas être lancées à la face du monde.

L'Amérique profonde, le début du 20e siècle et son racisme : cet univers n'était déjà pas fait pas pour les femmes, encore moins pour les femmes noires. le passage de l'amitié d'enfance à l'affrontement de femmes est explosif : au détour d'une phrase, la rupture est consommée et les deux amies de jadis sont désormais rivales. Je suis sous le charme de la beauté des dialogues, riche d'une oralité musicale et rythmée comme un vieux gospel. Toni Morrison peint un superbe portrait de femme, mais elle crée également des personnages secondaires qui mériteraient qu'on leur consacre des romans. Je ne cite que Shadrack, inventeur de la journée internationale du suicide, et Eva Peace, unijambiste pour qui la fin justifie les moyens. Sula confirme mon admiration pour Toni Morrison et sa plume belle et exigeante.
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Pour nommer l'horreur, Toni Morrison use de l'immense pouvoir de son génie littéraire. C'est la beauté de la langue, l'originalité et l'irréductibilité des personnages, la force du récit et même l'humour qui nous permettent de regarder en face : soleil et violence.

Ainsi ce paragraphe, où Sula, l'héroïne, analyse la perception de l'homme noir dans la société américaine : "Je veux dire, je ne vois pas pourquoi faire tant d'histoire. Franchement, le monde entier vous adore. L'homme blanc vous adore. Ils passent tellement de temps à s'inquiéter de votre pénis qu'ils en oublient le leur. Tout ce dont ils rêvent, c'est couper les couilles d'un négro. Si c'est pas de l'amour et du respect, je voudrais savoir quoi." (p.114). Cette évocation ironique des fantasmes sexuels (innommables) et des meurtres d'hommes noirs résonne amèrement à l'heure de "Black lives matter".

Aujourd'hui où des conflits (armés ou économiques) continuent à martyriser une bonne partie de l'humanité, où le tonnerre gronde à nouveau en Europe, où écrire le mot #guerre sur une pancarte peut conduire en prison, il est bon de se rappeler que les mots des écrivains sont à nous : armes peut-être, voix ( voies) de résilience sûrement.
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On est toujours en grande difficulté pour poster une critique d'un roman de Toni Morrison.
En lisant un de ses livres, on ne peut que s'attendre à un chef d'oeuvre. Sula ne déroge pas à la règle. Dans un style fantastique, l'auteur continue à nous dépeindre l'Amérique noire du 20ème siècle. On ne sort jamais indemne d'une telle lecture. Nous sommes transportés dans une Amérique post esclavagisme mais qui garde toutes les inégalités héritées de cette sombre époque. Nulle autre que Toni Morrison ne peut aussi brillamment dépeindre cela.
À lire absolument.
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De 1920 à 1965, la vie d'une communauté noire au coeur de l'Amérique, un roman sociétal sur les conditions de vie, la misère, la précarité, les dégâts de la guerre. J'ai beaucoup aimé le style de ce roman, puissant. Au travers de l'amitié, de deux fillettes, leur complicité, leurs évolutions, c'est la condition des femmes afro-américaines en particulier, qui est décrite.
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Au travers d'une histoire d'amitié entre deux jeunes filles noires dans une ville paumée de l'Ohio entre 1919 et 1965, Toni Morrison brosse en réalité le portrait de 2 femmes qui ont vite compris qu'elles n'étaient "ni blanche, ni mâle" et qui cherchent ainsi à se protéger, à s'inventer une autre vie, plus belle et plus libre. 

De la même manière que Toni Morrison écrit pour apprendre, son lecteur apprend aussi. Il découvre toute la difficulté des afro-américains à trouver leur place dans une société où l'esclavage a laissé plus de traces que l'on ne peut le penser.
D'une part, les hommes cherchent leur chemin pour retrouver leur virilité, leur masculinité, mais non sans dommages collatéraux. Ils voient la femme en objet domestique sans pensée ni volonté propre, objet de leur pouvoir. Ils ont besoin de se positionner par rapport à leur histoire, aux blancs, à leur communauté, d'où leur absence car trop occupés à se construire eux-mêmes. D'autre part, les femmes, filles, mères, intégrées dans une société patriarcale malgré l'absence récurrente des hommes. Etat de fait qui entraîne une violence physique et psychologique entre mères et filles, violence d'ailleurs quasi omniprésente dans l'oeuvre de Morrison. Les mères n'ont pas le temps "d'aimer" leurs enfants car trop occupées à maintenir ceux-ci en vie : nourrir, soigner, survivre... 
La suite sur :

Lien : https://wordpress.com/post/l..
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Le roman de deux petites filles inséparables, devenues adultes et dont les destins diffèrent, l'une soumise, l'autre rebelle.
L'histoire d'une liberté chèrement payée, celui de la femme moderne, qu'on dit scandaleuse et qu'on juge sévèrement.
Le sentiment que quelle que soit la vie choisie ou subie, une femme ne peut être pleinement heureuse.
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Sula / Toni Morrison/ Prix Nobel 1993
« Nous étions amies »
Medallion, petite ville de l'Ohio état de l'Amérique profonde, est le théâtre de ce roman de Toni Morrison évoquant avec talent la vie d'une communauté Noire dans les années 20, puis 30…jusqu'en 1965. Bien sûr le racisme et la ségrégation sont les thèmes sous-jacents de ce drame social bien que l'esclavage ait été aboli. On fait d'abord connaissance de Shadrack cet homme de couleur fondateur et défenseur de la Journée nationale du Suicide. Il est là en sourdine tout au long du récit, et revient en apothéose à la fin du roman.
Les deux personnages principaux de cette histoire qui débute en 1920 sont deux fillettes, Nel et Sula, qui vont s'inventer une autre vie que celle de misère que la société leur inflige, une vie plus riche, plus drôle et plus libre, avec quelques inévitables débordements.
Nel est la fille unique d'Hélène elle même fille d'une péripatéticienne créole disparue dans la nature après sa naissance. Hélène a été élevée par sa grand mère Cécile. Elle est plutôt rêveuse :
« Elle contemplait les peupliers et glissait bien vite dans une image d'elle-même couchée sur un lit jonché de fleurs, drapée dans sa chevelure et attendant quelque prince audacieux… »
Sula est la fille de Hannah dont le mari Rekus est mort peu après la naissance de Sula. Après la mort d'Hannah, Sula se rapproche de sa grand mère Eva handicapée motrice, personnage aux facettes multiples et parfois inquiétant. Sula elle aussi est fille unique et « passe des heures dans le grenier derrière un rouleau de linoleum à parcourir son propre rêve au galop d'un coursier gris et blanc au goût de sucre et sentant la rose sous les yeux de quelqu'un qui en partageait la douceur et la vitesse. »
La rencontre des deux fillettes « fut une chance pour les deux car elle purent se servir l'une de l'autre pour grandir. Issues de mères lointaines et de pères incompréhensibles, chacune trouva dans les yeux de l'autre l'intimité qu'elle recherchait… Sula était marron foncé avec de grands yeux paisibles, dont l'un s'ornait d'une marque de naissance montant du milieu de la paupière vers le sourcil, et dont la forme évoquait une rose avec sa tige. »
Nel Wright et Sula Peace, minces comme des arêtes et la fesse légère, eurent douze ans en 1920.
« Leur amitié fut aussi intense que soudaine. Chacune se sentait soulagée par la personnalité de l'autre… Réunies dans leur mutuelle admiration, chaque jour était pour elles comme un film inventé pour les distraire. le nouveau thème qu'elles abordaient, c'était les hommes ! …Ce fut l'été, un été alangui sous le poids des choses épanouies… l'été des si beaux garçons noirs, qu'elles devinrent capricieuses, tout à la fois peureuses et audacieuses. »
Plus tard, Nel la plus sage des deux va vivre une vie de mère et d'épouse, En effet elle épouse Jude Greene, pour le meilleur et pour le pire. Sula, elle, va rester la rebelle et errer dans la grande ville. Jude ne tardera pas à jeter des regards concupiscents vers la belle Sula qui va vite devenir « une paria dans la ville, méprisée pour sa facilité à coucher avec tous les hommes, car c'est au lit seulement qu'elle trouvait ce qu'elle cherchait: la souffrance et la possibilité de ressentir une immense tristesse. »
Des décennies plus tard, elles se revoient dans des conditions particulières, s'adressant des reproches et réglant en quelque sorte leurs comptes, mettant en avant leur vision différente du statut de la femme noire face aux hommes.
Un roman psychologique très dur aux personnages charismatiques au tempérament bien trempé, dont la fin un peu apocalyptique traduit bien l'exaspération et le désespoir des Noirs sans travail et au chômage forcé, souffrant de la faim, du froid et du mépris de la caste blanche, désespoir qui va jusqu'à la révolte. le talent de Toni Morrison est d'avoir su ne pas sombrer dans le mélodramatique alors que les situations sont dramatiques. Cette distanciation ne laisse aucune place à un commentaire subjectif ou apitoyé.
Une oeuvre littéraire majeure et forte.

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