... ils se trainent d'une pièce à l'autre du musée, braquant leur objectif vers tel ou tel fauteuil, tel ou tel carreau de faïence. Faisant l'expérience du monde par ce filtre, par les écrans de leurs téléphones, fabriquant des images pour le lendemain, de manière à ne pas prendre la peine de voir ni de sentir les choses dans l'instant.
La nature, estimait Edward, devait être appréciée pour elle-même et non pas pour les richesses qu'elle procurait à ceux qui ne visaient qu'à l'exploiter.
Tom était enterré dans un cimetière de France, près d'un village où il n'avait jamais mis les pieds vivant. Leonard avait vu la lettre reçue par ses parents et s'était émerveillé de la manière dont le supérieur de Tom avait décrit les choses ; tout cela était si courageux, si honorable - la mort en service commandé est un sacrifice affreux, bien sûr, mais d'une telle noblesse. Question de pratique, évidemment : ces officiers en écrivaient des tombereaux, de ces lettres bordées de noir ! Ils étaient passés maîtres dans l'art de ne jamais rien dire du chaos, des atrocités, et de ne jamais faire allusion à un quelconque gâchis.
Parents, enfants. La relation la plus simple du monde, et la plus compliquée.
La guerre est, par nature, surréaliste : elle brasse des incidents si choquants qu'ils ne devraient jamais être considérés comme ordinaires. C'est cependant ce qui se produit, et ce qui en bouleverse un peu plus les acteurs et les témoins.
Mon père m'appelait Birdie .
" C'est que tu es mon petit oiseau , ma fille ."
Ces gens sur le chemin ont entendu dire des choses sur mon compte ; ils se penchent les uns vers les autres comme le font les commères partout dans le monde .
" C'est là que ça s'est passé , disent -ils . C'est là qu'il a vécu . " Et aussi : " Tu crois qu'elle est coupable ? "
Mais quand le portail est fermé . Ils n'osent pas entrer .
Ils ont entendu dire que l'endroit était hanté .
Impossible de revenir en arrière. Le temps ne connaît qu'une direction. Le temps ne s'arrête jamais. Il coule, fleuve inlassable, et ne laisse à personne le temps de réfléchir. La seule manière de le remonter est de se souvenir.
Les stèles parlaient de vieillesse et d'années trop courtes, et de la justice aveugle de la mort. Un ange superbe et triste baissait la tête sur un livre ouvert, sa chevelure de pierre, noircie par le temps, dégringolant sur la si froide page. Il y avait dans ces endroits un silence qui ne pouvait qu'inspirer le respect.
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L'être humain est un conservateur. Chacun, chacune prend soin de ses souvenirs préférés et les assemble afin de créer un récit susceptible de plaire. Certains événements sont réparés et astiqués, pour qu'on puisse les mettre en vitrine ; d'autres, jugés sans valeur, sont laissés de côté et croupissent dans les profondeurs des entrepôts bondés de l'esprit...