Islam et révolutions médicales : Le labyrinthe du corps

L'instrument le plus important aux yeux des râqis est la psalmodie
coranique, moteur du rituel de la rouqiya. Certains râqis ont introduit
l'usage du poste cassette émetteur du Coran comme l'oranais Khaled, des micros pour amplifier leur voix comme le râqi Reda au village de Sid al-Bachir près d'Oran, ou enfin des enceintes acoustiques pour couvrir un espace plus étendu comme les râqis de la mosquée al-Nour au Caire.

Nombreux sont les râqis qui se munissent d'instruments complémen-
taires assumant différentes fonctions au moment du rituel. Un tuyau, un
bâton, une baguette en bois sont les instruments utilisés pour contraindre
les djinns possesseurs à s'identifier, à quitter le possédé, à répondre aux
questions du râqi et à respecter l'ordre dans le cadre d'un rituel collectif. Le
râqi Toufiq utilise le 'oud qmâri, bois d'agalloche brûlé, pour contraindre le
djinn à parler: à cet effet, il cautérise la malade au menton, au bout du nez, et aux mains.

Certains râqis proposent de fixer les djinns à leur propre domicile:
c'est le cas d'un râqi oranais fréquenté par la possédée Malika et du râqi égyptien Jaber. Celui-ci, convaincant les djinns d'embrasser l'islam avant de quitter les malades, prend l'initiative de les inviter à vivre dans le royaume musulman appartenant à ses propres djinns auxiliaires et se trouvant sous la chambre où se déroulent quotidiennement les rituels de la rouqiya.

Après avoir « extrait» avec les mains le djinn concentré dans le corps
de la souffrante, souvent un endroit douloureux, Jaber procède à la
fixation du djinn en le posant sur le sol de la chambre hantée, consacrée
au travail rituel. La main droite serrée de Jaber plaquée avec précaution
contre le sol indique le caractère dangereux de l'opération. En effet, le
djinn rusé et invisible peut se faufiler entre les doigts du râqi pour regagner
le corps de la souffrante.

L'intégrité physique est donc un principe reconnu, doté de ses éléments
constitutifs et de ses dérogations. Ce principe, éminemment centré sur
l'individu, n'emporte toutefois pas le droit plein et entier de celui-ci à
disposer de son propre corps. Le droit aurait en effet tendance à justifier le principe d'intégrité physique par son souci de protection de la société plus que de la personne, dans une logique où cette dernière n'est pas propriétaire, mais seulement dépositaire de son corps.

À ceci près que c'est au regard de la propriété de son corps que le patient est tenu de donner son consentement à toute intervention médicale et que c'est au regard de son intentionnalité propre et individuelle que le sujet de droit est tenu pour responsable et justiciable des usages de son corps. Le corps balance ainsi continuellement entre disponibilité individuelle et indisponibilité sociale.