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Critiques filtrées sur 1 étoiles  
Je ne comprends rien à la stratégie éditoriale des Éditions José Corti. Je me souviens, du temps où j'étais étudiant, d'avoir été contraint d'y acheter le Château d'Otrante de Walpole, un roman gothique assez ennuyeux, et le papier ivoire était granuleux comme celui des livres anciens, et il fallait couper comme autrefois à l'aide d'un couteau ou d'une règle une page sur deux qui étaient liées ensemble, vestige d'une tradition où l'on indiquait ainsi si un ouvrage était neuf ou s'il s'agissait d'une occasion (car impossible de lire le texte entre ces deux pages sans les séparer comme j'ai dit).
Pourquoi pas. Admettons. Mode précieuse, antique, intempestive : j'aime assez, même si c'est inutile et snob. Certes, il n'est pas très pratique de lire toujours avec un canif sur soi – remarquez : on peut aussi employer le doigt à cet usage, mais alors deux fois sur trois cela produit une déchirure au-delà du pli et c'est bien dommage pour un livre de poche qui coûte une vingtaine d'euros ! –, pourtant, on peut juger cette étrange lubie un signe distinctif, une marque de choix classiques, d'excellence même, et cette originalité obsolète peut accompagner une sélection d'ouvrages un peu guindés ou alors particulièrement soignés.
En somme, quelque chose comme « un éditeur d'exception ». Une sorte d'orfèvre de livres rares. Soit. Je veux tout bien, moi !
Mais difficile, en ce cas de pardonner le titre de la collection de chez Corti où le papier, au contraire, n'est pas ainsi attaché ; je cite : « Les massicotés » !
C'est atroce, comme de nommer un ensemble de tables : « Les rabotées » ou bien tout un style de vêtements : « Les pré-repassés pliés ». Il faut un esprit singulièrement inesthétique pour proposer des appellations aussi prosaïques et laides. Mais passons.
Les oeuvres publiées dans « Les massicotés », listées en tête de mon ouvrage de Muir, n'ont, que je sache, absolument rien en commun, ni en termes de genre, ni en matière d'époque, et peut-être moins encore s'agissant de leur qualité (c'est ce dernier point que je devrais vérifier cependant). C'est à douter même de l'existence chez cet éditeur de ce qu'on appelle une « ligne éditoriale ». Je sais bien que M. Corti, s'il lit cet obscur article, se vantera aussitôt de ne rien discriminer et de ne faire que selon ses goûts en capricieux passionné des variétés de tous horizons littéraires, il faut admettre, n'empêche, qu'on a affaire à un esprit particulièrement désorganisé et qui ne tient pas du tout à ce que ses lecteurs le suivent dans ses extravagances. C'est sans doute un détail pour la grande majorité de ceux qui parcourent en ce moment mes cruelles élucubrations et qui ne retiennent jamais l'éditeur des livres qu'ils mangent, mais qu'on songe rien qu'un instant au métier d'éditeur et aux critères de sélection qu'en principe pareille profession implique en tout premier lieu, et qu'on se représente la quantité de jeunes auteurs de bonne volonté qui se voient chaque année refuser d'emblée les portes de ces maisons au prétexte que leurs écrits « ne respectent pas la ligne éditoriale » qu'elle s'est fixée et comme si elle en avait une : voilà qui ne manquera pas de produire quelque sensation de scandale qui, quand on ne s'intéresse au livre qu'en paresseux dilettante, peut certes passer inaperçue.
Bref ! (encore !)
John Muir est un botaniste qui nous livre ici le récit d'un de ses voyages. Il semble que cet explorateur chrétien soit célébré en Amérique, raison pour laquelle, à force de lire son nom, j'ai songé à me procurer un de ses opus (opi ?). Il y raconte sa traversée de cinq ou six États des États-Unis, avec force descriptions de plantes qui, pour un novice comme moi et probablement pour la plupart des mortels, sont d'un ennui assez fort, et il faut alors toutes les ressources d'une grande patience littéraire pour s'attacher prioritairement au style à l'exclusion d'un latin que j'ignore et d'un lexique de spécialiste. Probablement, Muir se trouve, dans cette contemplation, un plaisir vaste de remémoration attachée à ses pérégrinations qu'il croit pleines d'audace, de vitalité et d'une certaine indépendance, de sorte que sa relation n'est pas pratiquement destinée à être lue par quelqu'un d'autre que lui, et, je pense, n'est même pas assez précise et détaillée pour intéresser scientifiquement un autre botaniste comme lui. C'est un être qui se complaît en quelque sorte, et qui, à peu près seul dans son voyage, tâche à se désennuyer ensuite, seul encore chez lui, en se les racontant et en les revivant par la pensée.
Cet aspect de soliloque est justement ce qui lasse en tout premier lieu : Muir n'a pas souci d'un lecteur autre que lui-même. L'essentiel consiste en un journal jour après jour, où l'auteur paraît souvent se vanter d'observer la nature, non sans insister régulièrement sur la conformité de son action avec les Écritures. Son naïf émerveillement est pour moi la source d'un agacement perpétuel, comme j'en éprouve à l'audition des défenseurs de l'écologie, du moins de ceux dans la voix de qui transparaît toujours quelque ferveur, quelque extase volontairement exacerbée pour l'épate ou l'autosatisfaction : un pépiement d'oiseau leur est un miracle, une fleur colorée un tableau transcendant, une averse un bain sacré de vie, et lorsqu'il faut qu'un décor pour notre « bonheur » soit empli de bruits de bêtes, de couleurs criardes et de sensations excessives, nous voici forcés de contempler à plein la majestueuse description des éléments superbes et divins.
Je vais écrire quelque chose de tout à fait désagréable aux consciences contemporaines et mièvrement naturopathes, et je les préviens et leur prie obligeamment de passer la lecture de ce long paragraphe. Si je n'ai toujours guère de sympathie pour le béton ou le ciment, je ne vois pas pourquoi un espace d'eau m'inspirerait davantage d'agrément si j'y respire aussi bien, et les tiges, les troncs et les feuilles ne me procurent pas – ô pauvre être dénaturé que je suis ! – une quelconque érection physique ou spirituelle. Tout bonheur de la nature provient, je crois, du repos d'être enfin seul, c'est-à-dire libre et tranquille au lieu d'être poursuivi par des obligations et par des hommes, et je gage que si ces animaux que Muir admire tant étaient des hommes, tout l'intérêt de la promenade serait gâché. En quoi je conclus ceci que le goût de la nature ne provient que d'une misanthropie, révélée ou non à la conscience. Nous aimons automatiquement ce vers quoi ce que nous haïssons nous oblige à détourner le regard, car quoi que nous examinions dans le spectacle de l'univers, les sociétés humaines nous en proposent maints spectacles équivalents : une créature et voilà l'individu, un paysage et voilà une ville, le contact d'une pelouse et voilà l'agrément par exemple du toucher d'une table ou d'une feuille de papier. Contrairement aux prétentions des romantiques arriérés, je dirais que rien n'est foncièrement inscrit en nous qui nous pousse au plaisir de la nature, et c'est seulement faute d'y avoir suffisamment réfléchi que nous oublions qu'un castor est une bête plutôt laide, qu'un arbre n'est qu'un grand champignon parasite, et qu'un étang est une étendue assez aimable pour nous empêcher de poursuivre notre marche dans telle direction. Au surplus, nous nous surprenons ordinairement de ce dont nous n'avons pas l'habitude, et comme nous avons surtout perdu l'habitude de notre intériorité et que dans la solitude nous n'en retrouvons plus la saveur qu'au prétexte de quelque balade en plein air, c'est à la nature que nous attribuons tout le mérite de cette « profondeur » subite, et nous supposons qu'il existe dans la verdure et dans le ciel quelque disposition favorable à nous rendre philosophe. Il vaudrait bien mieux que nous fussions capables de chercher le repos en nous-même quel que fût le décor où nous sommes, mais nous entretenons des préjugés niais et héréditaires, et nous voudrions toujours justifier nos plaisirs sur le fondement d'un « bien » supérieur et d'une soi-disant « pureté ». Et c'est ainsi qu'on construit le mythe que la nature est bonne, tandis que tout ce que nous nommons bon, en principe, il faudrait au préalable y avoir longtemps réfléchi plutôt que de ne se fier qu'à son sentiment immédiat de satisfaction.
Cette senteur de préjugé misanthrope, Muir l'exhale dans toutes les pages de son récit : il aime la nature hyperboliquement jusqu'aux plantes toxiques, jusqu'aux alligators mortels et même jusqu'au paludisme qu'il contracte dans le Sud, et cependant, chaque fois qu'il entrevoit un humain ou une ville, il s'en dispense autant qu'il lui est possible ! C'est un individu en cela qu'on pourrait juger d'une grande cohérence s'il n'était pas régulièrement obligé de réclamer un gîte et un couvert à tous ceux qu'il rencontre, et notamment aux docteurs et aux maires dont il éprouve une fierté sensible à nous rappeler toujours le statut qui le valorise. Quand il s'adresse à de tels gens, c'est souvent pour faire étalage de sa singularité scientifique et de la supériorité de ses savoirs bibliques, façon de se conforter dans la pensée que son voyage est nécessaire et qu'il est, lui, un homme assez instruit pour avoir adopté un meilleur style de vie que tout autre ; mais, par ailleurs, il lui importe peu de tirer enseignements et avantages de ceux aux crochets de qui il vit un jour ou deux et par-devers qui il administre des jugements expédiés sans les comprendre fort – il les entend même si mal que, la plupart du temps, il est incapable de retenir les indications de prudence ou de direction qu'on lui fait ! – On doit pourtant lui pardonner, eu égard aux moeurs contemporaines (la guerre de Sécession vient de s'achever), ses façons de mépris dirigés contre les paysans rustres ou contre les Noirs du Sud. Ce qui compte, c'est la manière dont, seul, il perçoit la nature, triomphe de la nuit et des intempéries, résout toutes les embûches, et toujours bravement – et cette bravoure, Muir a l'hypocrite vanité de la présenter à demi comme normale et simple, d'affirmer par exemple que c'est non sans confort qu'il a dormi la tête sur un rocher ou bien qu'il doit à une élémentaire adresse d'avoir résolu quelque difficulté mécanique grâce à quoi il a gagné un peu d'argent pour poursuivre sa route.
Non, vraiment, dans cet ouvrage tout se résume à la manière d'écrire, et quand même on aurait quelque curiosité anthropo-historique sur les moeurs et modes de vie de cette époque américaine juste après l'esclavage, on en serait quitte pour une grosse déception, n'ayant guère à apprendre que des anecdotes si fugaces que c'en serait presque plutôt des visions que des descriptions : vous avez ici et là quelques hommes dont l'auteur a absolument besoin, vous aimeriez en savoir assez ne serait-ce que pour vous les représenter, et vous ne recevez en tout que de gros portraits flous et ingrats, et vous devinez à travers ce défaut majeur du récit que le seul homme que Muir aspire à montrer à son lecteur, c'est lui, en majesté, un être apte et patient à nommer les plantes, et si bon chrétien qu'il admire tout de la Création et l'affiche avec une délectation toute narcissique, à mon avis.
Reste que, inévitablement à force d'essayer son style sur le même thème (la nature), l'auteur parvient, entre plusieurs démonstrations stéréotypées de lyrisme catholique, à produire des séquences originales et élégantes où l'ampoule ne surabonde pas trop et grâce auxquelles l'écrivain parvient à rendre à son sujet une couleur synesthésique et éloquente. Il fait ainsi oeuvre d'artiste, mais on doit patienter longtemps, et avec un esprit tout littéraire, pour les distinguer, ce qui fait de cet ouvrage secondaire une lecture plutôt fastidieuse et presque tout à fait inutile.
Lien : http://henrywar.canalblog.com
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