Je me suis replongée avec plaisir dans le singulier imaginaire murakamien. Dans ce recueil qui contient huit nouvelles, le narrateur est un « je » qui ressemble étrangement à
Haruki Murakami : il est écrivain, il aime la bière brune, le base-ball, la poésie, le jazz, les Beatles et la musique classique. Mais est-ce vraiment Murakami ? Dans la plupart des histoires ce « je » nous embarque avec un talent de conteur sans pareil dans un souvenir de jeunesse qui lui paraît alors anecdotique. le souvenir semble s'évaporer et puis, quelques années plus tard, à l'âge de la maturité, il ressurgit à l'occasion d'un autre événement. Et c'est la reconnaissance de ce souvenir qui enclenche une réflexion sur la mémoire et l'identité qu'il nous fait partager.
1) Sur un oreiller de pierre
Le narrateur se souvient qu'à dix-neuf ans, il a passé la nuit avec une femme étrange dont il ne se rappelle ni le visage ni le nom. Elle écrivait des tankas. Elle l'avait prévenu qu'elle crierait le nom d'un autre homme durant l'amour…
La nouvelle est très belle, une méditation sur la passion, la poésie et la mort.
2) La crème de la crème
Le narrateur alors jeune lycéen se rend à un récital de piano à l'invitation d'une ancienne camarade de l'école de musique. Quand il arrive sur les lieux, personne, pas un chat. Il s'assoit sur un banc et rencontre un vieil homme qui lui parle de cercles sans centres…
La nouvelle la plus ésotérique du recueil mais il faut accepter le mystère, accepter l'inexplicable pour pouvoir comprendre d'autres points de vue et goûter la crème de la crème de la vie.
3)
Charlie Parker plays bossa-nova
En 1962, le narrateur monte un canular : il écrit une critique d'un disque de
Charlie Parker jouant de la bossa nova avec Antonio Carlos Jobim. Or
Charlie Parker est mort en 53 et la bossa nova date des années 60…
La nouvelle est formidable, très originale. Elle célèbre l'imagination créative qui nous lie à un artiste disparu. Bird joue « Corcovado » pour lui rien que pour lui et ce mensonge est un bonheur plus vrai que nature.
4) With the Beatles
Le narrateur se souvient de la jolie fille à la jupe virevoltante qui serrait sur son coeur « With the Beatles ». Cela a duré dix ou quinze secondes pas plus mais il n'a cessé ensuite de rechercher le tintement spécial au fond de son oreille qui l'avait tant bouleversé. Et puis il se souvient de sa petite amie Sayoko et de son frère qui avait des trous de mémoire…
Une très belle nouvelle, complexe, avec des moments d'émotion pure. Elle parle de jeunesse, de suicide, de mémoire. Elle m'a rappelé
La ballade de l'Impossible ( Norvegian Wood) dans sa tonalité, un éclair ensoleillé, insouciant et joyeux au milieu de la mélancolie automnale.
5) Recueil de poèmes des Yakult Swallows
le narrateur qui s'appelle
Haruki Murakami s'interroge en détails sur sa passion pour les Yakult Swallows, une équipe de base-ball qui perd davantage qu'elle ne gagne.
La nouvelle ne m'a pas passionnée. Elle brouille les pistes entre fiction et autobiographie (le recueil de poèmes est une invention). J'ai surtout aimé l'anecdote avec le père. J'ai compris que l'important n'est pas de perdre ou de gagner mais d'assister au match avec une personne qu'on aime. Et que parfois, il arrive un heureux événement qui tombe du ciel.
6) Carnaval
Parmi toutes les femmes qu'il a rencontrées, F* était la plus moche. Mais diablement séduisante. Non seulement elle sait faire craquer chacun de ses dix doigts mais elle est comme lui passionnée du Carnaval de
Robert Schumann.
La nouvelle parle de masques, de beauté et de laideur. Elle contient aussi pas mal d'humour.
7) La confession du singe de Shinagawa
Peut-être avez- vous déjà lu
Saules aveugles, femme endormie. Dans la dernière nouvelle, il était question de ce singe de Shinagawa, animal doué de parole et kleptomane d'un genre particulier. Vous vous demandiez ce qui lui était arrivé après qu'on l'eut relâché dans la montagne ? Eh bien voilà que le narrateur tombe sur lui dans une station thermale toute délabrée…
La nouvelle est très drôle car elle abolit les frontières entre la réalité et les rêves, l'humain et l'animal. le singe boit de la bière brune et adore les symphonies de Brukner il a maille à partir avec les femelles et connaît des problèmes d'identité. Je trouve qu'Il ressemble fortement à un certain auteur.
8)
Première personne du singulier.
Le narrateur endosse un costume élégant qu'il n'a pas l'habitude de porter, sort dans un bar, commande une vodka gimlet et essaye de se plonger dans la lecture d'un thriller. Une femme inconnue plutôt menue interrompt sa lecture et lui demande : « ça vous plaît ce que vous faites là ? »
Cette nouvelle finale n'est pas la plus gaie du recueil. le narrateur se sent coupable pour des raisons obscures que l'importune va révéler.
Un grand merci aux Editions Belfond et à l'équipe de Babelio pour ce présent.