"qui trop embrasse, mal étreint" dit-on. C'est le cas de Musil avec ce livre dont l'ambition d'universalité en fait un pensum de quelque deux mille pages difficile à digérer. Plus proche de l'essai que du roman, ce n'est pas sans intérêt, loin de là, mais il faudrait y consacrer peut-être une année entière pour en venir à bout. Je n'ai pas eu ce courage, d'autant que quasiment chaque phrase interpelle le lecteur. Ce n'est pourtant pas un ouvrage philosophique (aucun système cohérent et complet n'y est présenté), mais plutôt un ensemble de réflexions et questionnements sur les sujets les plus divers. Pas le genre de lecture que je recherche.
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Un monument littéraire, à l'image de cet empire confus, indéfinissable, cause et victime du malheur...
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"Ils souffraient tous de la crainte de n'avoir pas de temps pour tout, ignorant qu'avoir du temps, c'est n'avoir pas de temps pour tout".
Un coup de coeur terrible ces deux tomes que je ne séparerai pas dans ma critique. N'ayant pas fait de chronique à l'issue du premier, je préfère rédiger une critique de l'ensemble puisque les deux parties sont intimement liées. Et contrairement à ce que l'on pourrait penser, pas de soulagement à la fin de la lecture de ce grand et gros livre de Musil. Mais une douce tristesse, le vide, après une si belle et si longue rencontre...
Je reste sur ma faim. Faim d'en connaître davantage, envie de continuer à suivre ces personnages ou plutôt, ces figures, explorer encore le monde des sentiments et de l'indétermination peint avec profondeur par Musil.
Plus j'avançais dans le livre, et plus le désir de lire augmentait pour une aventure déstabilisante et passionnante.
C'est en lisant le livre à venir de Maurice Blanchot dont une partie est consacrée à Musil dans le Chapitre "D'un Art sans avenir" que l'envie de lire L'homme sans particularités s'est imposée. Blanchot nous propose, comme titre de l'oeuvre, L'homme sans particularités car
"L'homme en question n'a rien qui lui soit propre : ni qualités, mais non plus nulle substance. (...) l'homme sans essence."
On pourrait dire qu'il est l'homme indéterminé, qui ne dit ni oui ni non à la vie mais "pas encore". Comme le dit justement Blanchot, l'homme est ici "l'homme du "pas encore""...
Et ce livre qui nous précipite dans le champs des possibles nous donne le vertige. Nous nous retrouvons aux bords de l'être où tout ce qui a lieu aurait pu avoir lieu autrement, et c'est cela qui est essentiel.
"Qu'importent en fin de compte les événements en tant que tels ! Ce qui compte, c'est le système de représentations à travers lequel on les observe, et le système personnel dans lequel on les insère." écrit Musil.
Difficile de présenter ce livre où les choses se dérobent tout en apparaissant... Un livre tendu et sous-tendu par le mystère et l'altérité toujours déjà ouverte et différente, radicalement autre.
Ulrich, Agathe, Clarisse, Walter, Diotime, Arnheim, Rachel, Tuzzi, Moosbrugger... Ces figures et ce qui leur arrive mettent en avant différents thèmes chers à Musil : l'exactitude et l'indétermination, l'amour et la détestation, le raisonnement et la folie, la tension vers l'absolu, la question du temps, la vie, le suicide, la mort... Tout y est.
Au coeur de ce livre, brille le paradoxe d'une alliance entre l'exactitude et l'indéterminé, le langage et le silence.
"Ce qui est mauvais aujourd'hui sera peut-être en partie bon demain, et le beau sera laid, des pensées restées inaperçues seront devenues de grandes idées, et des pensées vénérables tomberont dans l'indifférence. Tout ordre est tant soit peu absurde et comme un cabinet de figures de cire si on le prend trop au sérieux, toute chose est un cas particulier pétrifié des possibilités qu'elle représente. Mais ce ne sont pas des doutes, c'est une indétermination animée, élastique, qui se sent capable de tout."
Ouverture sur l'impersonnel, le "tout autre", L'homme sans particularités dessine un espace littéraire qui détruit le sens initialement attribué au roman. Pas de fin, pas d'histoire à proprement parler, mais l'expression des déambulations d'un esprit qui étouffe.
"Se suicider ou écrire" nous dit Musil.
L'écriture a gagné, pour notre plus grand bonheur de lecteur et de lectrice...
Avant de terminer, il faut dire que ce livre est étonnant quant à sa portée philosophique. Philosophie des sentiments : tous les recoins de l'âme sont ici évoqués, explorés. Nietzsche est convoqué à maintes reprises, il est même question dans le Tome 1 d'une "année Nietzsche".
Politique, philosophie, raison, sentiments.... Et Amour.
Car il n'est pas possible de terminer cette critique sans souligner la grandeur de ce que Blanchot (nous y revenons) nomme "la plus belle passion incestueuse de la littérature moderne". En effet, entre Ulrich (ou Anders) et Agathe qui apparaît dans le second tome, Ulrich et Agathe, frère et soeur jumeaux , apparaît une passion mystique. Une exaltation provoquée par le fait que l'un n'existe pas sans l'autre. Ulrich le dit explicitement à Agathe : c'est elle le lieu de son amour propre.
"De ce monde nouveau, ils ne comprenaient rien, tout était comme les éléments d'un poème."
"Ils notèrent que loin d'être devenus muets, ils parlaient, mais sans choisir les mots : c'étaient les mots qui les choisissaient. Nulle pensée ne bougeait en eux, mais le monde entier était plein de pensées merveilleuses.
Ils présumèrent qu'eux-mêmes, et les choses également, n'étaient plus des corps fermés en lutte les uns contre les autres, mais des formes ouvertes et liées."
L'extase amoureuse, délicieusement écrite par Musil...
L'homme sans particularité : une écriture magnifique où le langage est indissociable de l'amour, où aimer, c'est aussi et surtout parler, pour un grand livre inachevé et inachevable....
Un livre admirable.
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Une somme découverte en 1981 grâce à un prof.de l'Ecole Normale de Besançon !
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Livre incroyablement difficile à lire.
Je le lis en allemand en m'appuyant sur une version française. Mais même en français certaines phrases sont très compliquées. Est-ce qu'un livre est génial parce qu'il est incompréhensible? Je me souviens que j'avais essayé de lire la critique de la raison pure sans non plus y comprendre " a single word "
Si quelqu'un peut me donner les clés de lecture, je suis preneur.
27/09/2017
Reprends cette critique un peu simpliste, écrite sous l'effet de la déception de ne pas avoir compris grand chose à la première approche de ce livre.
Je n'en ai pas encore repris la lecture, mais cela me taraude. Pourquoi ? Je me suis entre-temps intéressé plus à la politique et aux mouvements littéraires de la deuxième moitié du 19ième siècle. Et certains points obscurs de ce livre s'éclairent petit à petit.
Par exemple le docteur Arnheim est l'alter ego du Doktor
Rathenau. Clarisse, l'épouse de Walter, semble être la doublure de Lou Andreas Salomé, qui a traversé les vies de Wagner, Nietzsche, Rilke et de bien d'autres intellectuels de cette époque. Ensuite l'homme sans qualité Ulrich n'est-il pas un nihiliste au sens russe, en quelque sorte l'Oblomov de Goncharov?
Voilà quelques découvertes qui me font penser que j'ai refermé, alors, ce livre un peu vite. Mais cela me donnera-t-il le courage de le réouvrir.
Une chose est certaine c'est que Musil est resté ancré quelque part au fond de mon esprit et que de temps en temps au gré de mes lectures certaines pages et certaines personnages resurgissent. En ce moment je suis en train de lire du Konsalik: Amour sur le Don. Je suis tenté de le refermer ce livre très vite car c'est un fatras littéraire impossible, et qui plus est embrassant plus de 600 pages.
Comme on dit au rugby il serait temps de faire un retour aux fondamentaux, de reprendre des livres plus sérieux. La vie est trop courte pour lire de la mauvaise littérature.
Alors à quand ma prochaine critique sur " der Mann ohne Eigenschaften"
Sollte ich Nietsche lesen, um dieses Buch besser verstehen zu können?
27.08.2018.
Ca y est, c'est reparti. Je reprends la lecture de Musil. Ca prendra le temps que ca prendra. Je ne vais pas me presser. Musil a mis plus de 20 ans à l'écrire! Double lecture: en francais en allemand. Mal sehen, sas daraus wird.
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Mon but étant de lire le chapitre 4 :
Chapitre 4. S'il y a un sens du réel, il doit y avoir aussi un sens du possible.
Je n'ai lu que les premières 199 pages.
Y retournerai sans doute.
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