Et bien que l'on ne puisse pas voir grand-chose à travers la brume, l'on a poutant le radieux sentiment de regarder dans la bonne direction.
Il ne s'agit pas de savoir si le vieux Kouropatkine a ou non trouvé le moyen, sous son déguisement rustique, de se soustraire à l'emprisonnement soviétique. Ce qui me plaît, c'est l'évolution du thème de l'allumette, ces allumettes magiques qu'il me montrait, on a joué avec et on les a égarées, et ses armées aussi se sont évanouies, et tout est tombé à l'eau, comme ces petits trains que, durant l'hiver 1904-1905, à Wiesbaden, j'essayais de faire rouler sur de petites mares gelées dans le parc de l'hôtel Oranien. S'attacher à suivre des dessins thématiques de ce genre à travers sa propre existence, tel doit être, à mon avis, l'objet d'une autobiographie
"La sélection naturelle", au sens darwinien, ne pouvait expliquer la miraculeuse coïncidence d'un aspect imitatif et d'un comportement imitatif, et l'on ne pouvait non plus avoir recours à la théorie de la "lutte pour la vie" quand un stratagème de protection était porté à un point de raffinement, de richesse et de luxe mimétiques dépassant de beaucoup le pouvoir d'appréciation d'une bête de proie. Je découvris dans la nature les plaisirs non utilitaires que je cherchais dans l'art. L'une et l'autre étaient une forme de magie, l'une et l'autre étaient un jeu où s'enchevêtraient enchantement et supercherie. (p.158-159).
«Chaque fois que dans mes rêves je vois mes morts, ils paraissent toujours silencieux, gênés, étrangement abattus, tout à fait différents des êtres pleins d'animation qu'ils étaient et que j'aimais. Je prends conscience, sans aucun étonnement, de leur présence dans des endroits où ils ne sont jamais allés durant leur vie terrestre, dans la maison de quelque mien ami qu'ils n'ont pas connu. Ils sont là, assis à l'écart, regardant le parquet, les sourcils froncés, comme si la mort était une noire souillure, un secret de famille honteux.» (p. 52)
(...) tandis qu'un homme de science voit tout ce qui arrive en un point donné de l'espace, le poète sent tout ce qui arrive en un point donné du temps.
Je m'adresse aux parents : ne dites pas jamais : « Allons, dépêche-toi! » à un enfant.
«Ce n'est certainement pas alors - pas dans les rêves - mais quand l'on est bien réveillé, aux heures de joie robuste et d'accomplissement, sur la plus haute terrasse de la conscience, que l'on a une chance de plonger le regard au-delà des limites de la mortalité. Et bien que l'on ne puisse pas voir grand'chose à travers la brume, l'on a pourtant le radieux sentiment de regard dans la bonne direction.» (p. 52)
«Toute ma vie j'ai eu du mal à m'endormir. J'ai beau être très fatigué, la rupture violente avec la conscience me répugne indiciblement... (p. 108)
J’ai chassé les papillons sous différents climats et dans différentes tenues : comme petit garçon mignon tout plein en culotte de golf et bonnet de marin ; comme expatrié cosmopolite et dégingandé, en pantalon de flanelle et béret ; comme un vieil homme accusant son âge et ayant pris du poids, en short et sans chapeau.
La fin est proche. Je me débats dans une détresse aiguë, cherchant désespérément à enjôler le sommeil, ouvrant les yeux toutes les quelques secondes pour retenir la lueur affaiblie, et me représentant le paradis comme un lieu où un voisin n’ayant pas sommeil lirait un livre interminable à la lumière d’une bougie éternelle.