Sylvain et la fleur aux trente mille espèces
Vidya Narine réussit son entrée en littérature avec ce roman étonnant, retraçant le parcours d'un
orchidéiste. Sylvain va nous raconter l'histoire étonnante de ces fleurs et passer ainsi de ses secrets intimes à la mondialisation.
Racine, sève et pollen. Ce sont les trois parties qui divisent ce premier roman et qui donnent au lecteur le programme qui les attend. Dans la première partie, on découvre Sylvain, l'
orchidéiste du titre, et son histoire, ses racines. Il est le petit-fils d'une famille lorraine qui a fait fortune dans le charbon et l'acier. Puis, elle continué à prospérer, ayant su se diversifier avant que les gueules noires ne raccrochent définitivement leur équipement dans la salle des pendus. Mais il n'a pas envie du costume-cravate et des conseils d'administration. En rendant visite à son frère, installé à Paris, il découvre une petite boutique spécialisée dans les orchidées.
Découverte providentielle pour le jeune homme qui, après des études en botanique, cherchait sa voie. Désormais sa vie se déroule aux côtés de Yannick, le propriétaire. Il va lui raconter comment il a créé cette boutique, formé par Vacherot & Lecoufle, les pionniers de l'orchidée française. Même si cette entreprise est déjà sur le déclin, ne pouvant rivaliser avec les nouvelles serres hollandaises, allemandes ou asiatiques. Yannick a pu profiter de leur savoir et de leur savoir-faire pour apprendre «tout ce qu'il sait de la fleur aux trente mille espèces. Il est passé maître dans l'art de l'hybridation en calquant ses gestes sur ceux du discret
Philippe Lecoufle, cachemires gris et lunettes rondes, qui repiquait déjà des plants à l'âge de six ans sous l'oeil sévère de
Maurice Vacherot. Longtemps, Yannick a admiré l'étendue encyclopédique de ses connaissances, l'honnêteté avec laquelle il séduisait les organisateurs de salons, son style de management direct et doux.» Désormais, il peut à son tour transmettre ses connaissances à Sylvain, qui va prendre sa succession. le nouveau patron efface la particule de son nom pour inscrire «
Sylvain Dubois» au fronton de son magasin, car il a compris qu'« il ne faut jamais avoir l'air aussi riche que les riches quand on veut leur vendre quelque chose ». Sylvain travaille d'arrache-pied, ne compte pas ses heures et parvient à conserver, voire à élargir sa clientèle. «Pendant quinze ans, j'ai marché entre les orchidées, mon jardin. En suivant ce chemin pavé de mille nuances, ce tapis de velours, je suis entré dans les plus belles maisons de Paris, mon intérieur. J'y ai pris mes quartiers d'hiver et mes quartiers d'été, j'y ai admiré les nymphéas de Monet, les oliveraies de van Gogh et les calanques de Signac dans des salons privés. L'orchidée est l'accessoire des privilégiés. Ma boutique, installée à l'exact croisement des arrondissements les plus aisés de la capitale, est leur P.M.U., leur bureau de tabac.»
Racines familiales donc, mais aussi racines végétales, celles de cette plante dont on va découvrir l'incroyable histoire, de sa découverte à son expansion mondiale, car cette fleur s'établit vite comme un signe extérieur de richesse. «Les firmes créent des emplois, leurs succursales débordent de dizaines de milliers de plantes, parfois toutes d'une même espèce, tel le plumage entier d'un oiseau qu'on aurait arraché à son nid, traîné au bout d'un sentier entre des arbres abattus. Les écorces craquent, les xylophages s'agitent, l'herbe est une flaque de sève, d'hémolymphe et de nectar. Avant de lever l'ancre, les chasseurs brûlent les plants qu'ils n'ont pas la place de rapporter, ça flambe aussi fort que du kérosène. Derrière eux, en Amérique du Sud, en Asie, gisent des sols auxquels on a fait la guerre. Cap sur l'Europe.»
La sève, la seconde partie du roman, sera consacrée à la chronique des années passées dans la boutique, des rencontres marquantes et souvent décevantes avec des clients aussi fortunés qu'incultes, mais aussi avec quelques passionnés et avec l'amour.
Puis viendra le temps du mal de dos récurrent, de l'usure, de ce bilan difficile: «Ce jardin est parfaitement entretenu, il sent bon, mais je m'y suis perdu, je ne saurais dire quand exactement.»
Alors il faudra songer à passer la main. À semer à son tour. C'est le pollen. Mais il reste cette malédiction familiale, cette blessure intime, l'impossibilité de dire, de transmettre, surtout depuis qu'il vit avec blessure, son père s'étant donné la mort. Un deuil impossible à faire.
Vidya Narine réussit admirablement ce grand écart entre l'intime et la mondialisation, entre belles surprises et terribles désillusions.
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