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EAN : 9782383110248
144 pages
Les Avrils (23/08/2023)
3.46/5   90 notes
Résumé :
Sylvain est orchidéiste. Chaque jour, il prend soin de ses fleurs pour une clientèle exigeante. Des orchidées, il sait tout : la symbolique, l’aventure de leur découverte et les ravages sur la nature de leur commercialisation massive. Aujourd’hui, il aimerait céder sa boutique. Mais dans sa famille, une dynastie d’industriels lorrains, on n’a pas su comment transmettre. Alors, pour mieux habiter l’avenir, Sylvain répare les racines abîmées du passé.
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Critiques, Analyses et Avis (39) Voir plus Ajouter une critique
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Sylvain et la fleur aux trente mille espèces
Vidya Narine réussit son entrée en littérature avec ce roman étonnant, retraçant le parcours d'un orchidéiste. Sylvain va nous raconter l'histoire étonnante de ces fleurs et passer ainsi de ses secrets intimes à la mondialisation.

Racine, sève et pollen. Ce sont les trois parties qui divisent ce premier roman et qui donnent au lecteur le programme qui les attend. Dans la première partie, on découvre Sylvain, l'orchidéiste du titre, et son histoire, ses racines. Il est le petit-fils d'une famille lorraine qui a fait fortune dans le charbon et l'acier. Puis, elle continué à prospérer, ayant su se diversifier avant que les gueules noires ne raccrochent définitivement leur équipement dans la salle des pendus. Mais il n'a pas envie du costume-cravate et des conseils d'administration. En rendant visite à son frère, installé à Paris, il découvre une petite boutique spécialisée dans les orchidées.
Découverte providentielle pour le jeune homme qui, après des études en botanique, cherchait sa voie. Désormais sa vie se déroule aux côtés de Yannick, le propriétaire. Il va lui raconter comment il a créé cette boutique, formé par Vacherot & Lecoufle, les pionniers de l'orchidée française. Même si cette entreprise est déjà sur le déclin, ne pouvant rivaliser avec les nouvelles serres hollandaises, allemandes ou asiatiques. Yannick a pu profiter de leur savoir et de leur savoir-faire pour apprendre «tout ce qu'il sait de la fleur aux trente mille espèces. Il est passé maître dans l'art de l'hybridation en calquant ses gestes sur ceux du discret Philippe Lecoufle, cachemires gris et lunettes rondes, qui repiquait déjà des plants à l'âge de six ans sous l'oeil sévère de Maurice Vacherot. Longtemps, Yannick a admiré l'étendue encyclopédique de ses connaissances, l'honnêteté avec laquelle il séduisait les organisateurs de salons, son style de management direct et doux.» Désormais, il peut à son tour transmettre ses connaissances à Sylvain, qui va prendre sa succession. le nouveau patron efface la particule de son nom pour inscrire «Sylvain Dubois» au fronton de son magasin, car il a compris qu'« il ne faut jamais avoir l'air aussi riche que les riches quand on veut leur vendre quelque chose ». Sylvain travaille d'arrache-pied, ne compte pas ses heures et parvient à conserver, voire à élargir sa clientèle. «Pendant quinze ans, j'ai marché entre les orchidées, mon jardin. En suivant ce chemin pavé de mille nuances, ce tapis de velours, je suis entré dans les plus belles maisons de Paris, mon intérieur. J'y ai pris mes quartiers d'hiver et mes quartiers d'été, j'y ai admiré les nymphéas de Monet, les oliveraies de van Gogh et les calanques de Signac dans des salons privés. L'orchidée est l'accessoire des privilégiés. Ma boutique, installée à l'exact croisement des arrondissements les plus aisés de la capitale, est leur P.M.U., leur bureau de tabac.»
Racines familiales donc, mais aussi racines végétales, celles de cette plante dont on va découvrir l'incroyable histoire, de sa découverte à son expansion mondiale, car cette fleur s'établit vite comme un signe extérieur de richesse. «Les firmes créent des emplois, leurs succursales débordent de dizaines de milliers de plantes, parfois toutes d'une même espèce, tel le plumage entier d'un oiseau qu'on aurait arraché à son nid, traîné au bout d'un sentier entre des arbres abattus. Les écorces craquent, les xylophages s'agitent, l'herbe est une flaque de sève, d'hémolymphe et de nectar. Avant de lever l'ancre, les chasseurs brûlent les plants qu'ils n'ont pas la place de rapporter, ça flambe aussi fort que du kérosène. Derrière eux, en Amérique du Sud, en Asie, gisent des sols auxquels on a fait la guerre. Cap sur l'Europe.»
La sève, la seconde partie du roman, sera consacrée à la chronique des années passées dans la boutique, des rencontres marquantes et souvent décevantes avec des clients aussi fortunés qu'incultes, mais aussi avec quelques passionnés et avec l'amour.
Puis viendra le temps du mal de dos récurrent, de l'usure, de ce bilan difficile: «Ce jardin est parfaitement entretenu, il sent bon, mais je m'y suis perdu, je ne saurais dire quand exactement.»
Alors il faudra songer à passer la main. À semer à son tour. C'est le pollen. Mais il reste cette malédiction familiale, cette blessure intime, l'impossibilité de dire, de transmettre, surtout depuis qu'il vit avec blessure, son père s'étant donné la mort. Un deuil impossible à faire. Vidya Narine réussit admirablement ce grand écart entre l'intime et la mondialisation, entre belles surprises et terribles désillusions.
NB. Tout d'abord, un grand merci pour m'avoir lu jusqu'ici! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre. Vous découvrirez aussi mon «Grand Guide de la rentrée littéraire 2024». Enfin, en vous y abonnant, vous serez informé de la parution de toutes mes chroniques.



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« Une belle écriture fleurie et touchante »

La belle plume subtile de l'autrice m'a embarqué, malgré des petits moments de lecture un peu long, j'ai apprécié ce roman, le fil conducteur est accrocheur. Mettre comme personnage principal un homme dans le monde des fleurs est pertinent comme choix, cela n'est pas courant, je n'ai pas lu tous les livres sur cette Terre mais c'est la première fois que j'en ai entendu parler et c'est un des motifs qui m'a emmené à le lire.

Ce livre aborde la transmission, le mentorat, les relations humaines dont familiales notamment père et fils, l'amour, l'amitié et bien sûr le monde de l'orchidée, c'est le rapport au vivant qui bouleverse positivement. « Mon père. Sur sa dépouille, je dépose mes plus belles orchidées, couleurs vives et pétales ciselés, et je la laisse dériver sur le fleuve de mon souvenir. Avec ces mêmes fleurs, je compose un bouquet somptueux pour remercier ma mère : c'est elle qui a fait office de soleil. » (p.128).

Les titres des trois chapitres sont tous en lien avec les fleurs et quasiment tous les sous-chapitres également. J'ai appris beaucoup d'éléments sur cette belle fleur que l'autrice et son personnage principal nous partagent avec passion. le héros de ce roman pourrait être un ami, une personne que nous côtoyons… Les allers-retours entre le présent et le passé sont fluides, ces passages dynamisent l'histoire et la rendent touchante.

J'ai découvert ce roman grâce à la communauté Babelio que je remercie. Lorsque j'ai lu les retours de certaines je me suis dis que cela sera une bonne idée de cadeau pour une de mes meilleures amies. Prise de curiosité, j'ai été l'emprunter à la bibliothèque et ce fut une bonne découverte que je vous conseille.

Bravo à l'écrivaine pour son premier roman et bonne continuation pour les prochains !
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Je remercie #NetGalleyFrance et les Éditions Les Avrils pour la découverte d'#Orchidéiste.

Sylvain Dubois est orchidéiste, un peu par hasard au départ, puis par vocation et amour de la plante... Il a laissé tomber sa particule et a repris la boutique de Yannick, qui l'a formé il y a déjà longtemps. A présent, il forme à son tour pour transmettre son savoir à Hugo.
Dans ce très court roman, nous suivons le quotidien d'un patron orchidéiste en parallèle de l'histoire des découvertes autour des orchidées. Vidya Narine nous propose aussi une galerie de portraits, dans l'intimité des commandes et livraisons des client.e.s atypiques, souvent riches et parfois célèbres.

Mon avis sur Orchidéiste est très mitigé. J'avoue que je n'ai pas vraiment réussi à m'attacher aux personnages, malgré mon intérêt pour le sujet (j'adore les orchidées), ni à voir où l'autrice voulait en venir. Je ne pensais pas qu'un ouvrage si court prendrait autant de directions différentes. Il est question d'orchidées, bien sûr, de leur histoire et des découvertes à leur sujet, mais aussi de deuil et surtout, de transmission : transmission d'héritages, de savoir-faire, d'idées, de fond de commerce... Vidya Narine aborde aussi des sujets actuels (les réseaux sociaux et les média, la Russie et la guerre en Ukraine).

Le roman est très bien écrit, dans un langage parfaitement maîtrisé - peut-être un peu trop ? En effet, le vocabulaire spécifique a compliqué mon expérience de lecture car plusieurs mots relatifs à l'entretien des plantes ne sont pas explicités (et inconnus aussi du dictionnaire de ma liseuse Kobo). Beaucoup de termes auraient largement mérité une petite note de bas de page pour faciliter la compréhension du texte. le rythme est plutôt tranquille, même si les histoires s'enchaînent rapidement.

J'ai donc aimé les sujets abordés et apprécié le style très littéraire, pour autant, j'ai l'impression d'être "passée à côté" de l'essentiel. Je lirai avec plaisir un autre ouvrage de l'autrice pour parfaire mon opinion.

#Orchidéiste #NetGalleyFrance
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Voilà un roman qui sort de l'ordinaire. L'autrice est diplômée de l'Ecole du Louvre et a travaillé 15ans dans les métiers de la mode et du luxe , ce qui explique peut-être cette attirance pour la fleur d'exception qu'est l'orchidée et pour ceux qui les collectionnent ou les désirent pour orner des maissons cosssues. (une fleur de pissenlit n'aurait certes pas fait l'affaire ).
J'ai un peu cherché où allait l'auteur, mais j'ai surtout été captivée pas seulement par l'histoire de Sylvain qui est l'ossature du livre, mais par la connaissance de Vydia Narine sur ces fleurs mystérieuses, le berceau, le terreau de leur naissance, et par leur rareté dévoyée par un capitalisme effréné qui fait qu'en Europe d'immenses nurseries en « fabriquent ».
Au moment de transmettre sa boutique, Sylvain, aristocrate déchu du fait du refus de son père de perpétrer une lignée de grands industriels , ne sait pas trop comment s'y prendre, faute de transmission personnelle. Il raconte le bonheur qu'il a eu dans ce métier fatigant d'orchidéiste et dans son art de l'hybridation.
J'ai appris qu'il existait 30000 espèces au moins d'orchidées de par le monde, que celles que je préfère , les phalaenopsis blanches , ne sont que de la roupie de sansonnet et que chez Guerlain on abuserait peut-être un peu des vertus de la fleur pour vendre la crème « orchidée impériale »à un prix stratosphérique (un compte à régler peut-être dans l'univers du faire- valoir). Déception donc, mais heureuse de cette lecture enrichissante.
Merci aux Edts Avrils et à Netgalley pour cet envoi.
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Ce que j'avais apprécié dans « le parfum », c'est que Patrick Süskind nous faisait découvrir un monde (olfactif) sans chercher à le circonvenir, sans reléguer l'histoire et les personnages au second plan.
Vidya Narine n'a pas eu la même réussite avec « Orchidéiste ». Son livre est une succession d'impressions, d'anecdotes, de digressions intimistes et de portraits dont le fil rouge est l'orchidée, cette plante merveilleuse et mystérieuse qui a survécu aux dinosaures.
Apothicaires et Botanistes apprécieront la précision des descriptions, la poésie de ces fleurs aux corolles obscènes ou féériques. N'ayant pas leurs connaissances, j'ai préféré ce que la rareté de l'orchidée peut déclencher : la folie des mercenaires enfiévrés par la promesse du gain (p38), l'angoisse du braconnier à la frontière (p88) ou l'attendrissement de ces brutes que l'amour éperdu d'une femme oblige à fréquenter la moiteur des serres (p99). En bref, plus que la fleur, ce sont les passions qu'elle déchaîne qui m'ont saisie.
Faire le portrait de l'orchidée au seul prisme de ses acheteurs eut été une bonne idée – répétitive sans doute. À ce propos, pertinente réflexion sur l'influenceuse d'Instagram qui est : « (…) une chaîne et une régie publicitaire par personne. Derrière l'écran, c'est une chambre en désordre, mais sur l'écran, c'est bien lisse, joliment peint, et la vie défile toujours dans le même sens ».
« Orchidéiste » n'est pas un grand roman mais il se lit bien. À offrir à celles et ceux qui vouent un culte à l'ophrys apifera.
Bilan : 🌹
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critiques presse (3)
SudOuestPresse
25 septembre 2023
Les orchidées sont belles mais tristes : on a lu et aimé « Orchidéiste », le premier roman de la poétesse Vidya Narine.
Lire la critique sur le site : SudOuestPresse
Actualitte
23 août 2023
Un conte d’écologie et de renaissance, Orchidéiste est un livre qui se referme avec tendresse.
Lire la critique sur le site : Actualitte
Culturebox
23 août 2023
Avec "L'orchidéiste", un premier roman poétique et engagé, Vidya Narine propose au lecteur une réflexion sur notre mode de vie effréné, bercé par la surconsommation et éloigné du vivant.
Lire la critique sur le site : Culturebox
Citations et extraits (28) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
PARTICULE
Du côté de mon père, tous les hommes sont ingénieurs, médecins, hauts gradés, hommes d’affaires, politiciens. Sauf lui. Un jour, quand j’étais enfant, les grilles du domaine familial se sont fermées devant nous. De l’autre côté du portail, j’ai vu s’éloigner mes grands-parents, mes oncles et mes tantes, le jardin à la française et les montagnes de cadeaux de Noël ; notre petite nation en forme d’arbre, dans laquelle chaque citoyen habitait une branche.
Sur notre blason figurent trois abeilles. C’est Napoléon qui a choisi cet insecte comme symbole de la noblesse, parce qu’il surmonte les obstacles et produit des ressources avec les fleurs d’autrui, et puis il voulait concurrencer le lys. J’adorais sentir le relief des abeilles sur la chevalière de mon père, j’appuyais jusqu’à ce que les pattes et les ailes d’or s’impriment en creux sur la pulpe de mon pouce. Je ne sais pas où est passée cette chevalière. Sur le blason, il y a aussi un croissant, pointes vers le haut, il représente l’accroissement des richesses. Moi, je suis passé du côté des fleurs.
Mon père a été déménageur, camionneur, cariste, chômeur. Il avançait sans autre plan que de ne pas mener celui qu’on attendait qu’il mène. Parfois, il attrapait mon bras d’enfant et me soufflait à l’oreille, avec dans l’œil un feu mal éteint : « Vivre, c’est savoir être un caméléon ! » Mais j’avais beau chercher, je ne voyais, chez le petit reptile, que le strabisme comique et la langue rose engluée sur une mouche. Doucement, je me dégageais pour faire reprendre à ma voiture rouge son trajet sur les motifs du tapis, lui retournait s’enfoncer dans les profondeurs du canapé.
Applaudissements de jeu télévisé, bruits de vaisselle dans la cuisine. Par la fenêtre, la pluie fine sur les coteaux de Lorraine et, perçant les cimes des chênes sur la colline, les tourelles Renaissance du château de mon grand-père.

Les écailles recouvrent le corps du caméléon jusque sur ses paupières et ses globes oculaires, sortis de leurs orbites afin d’amplifier son champ de vision. Au sommet des globes, les lentilles des yeux se déplacent indépendamment l’une de l’autre pour capter deux fois plus d’images qui n’auront pas besoin de fusionner dans son esprit. Pour mes treize ans, mon père est mort.

Au collège, je ne voulais rien, à part faire couler du ciment à l’intérieur de moi ; de colère devenir pierre. Je me suis fait renvoyer. J’ai posé ma tête sur les genoux de ma mère, je me suis enroulé autour d’elle, prêt à remonter le temps jusqu’au noir de l’univers et à vivre dans l’odeur de ses mains, les yeux fermés. Assise sur le bord de mon lit, elle m’a caressé les cheveux et m’a demandé : « Qu’est-ce que tu voudrais faire maintenant ? », puis elle s’est précipitée vers la fenêtre pour planquer ses larmes dans les coteaux. Rien. Je ne voulais rien puisque mon père ne voulait plus.

De temps en temps, entre mes cils mouillés comme des toiles d’araignées de sous-bois, j’apercevais des aurores possibles. On m’a dit : « Choisis un métier », on m’a indiqué deux écoles d’horticulture à proximité, « Ça serait pratique ». Alors j’ai ouvert ma bouche desséchée : « Paysagiste. » Je voulais bien ça, voir se lever des soleils orange sur la terre humide, et les falaises glacées se coiffer de brume. Mais les meilleurs dossiers occupaient déjà le terrain, restait CAP pépiniériste.

Au centre de formation, les élèves se moquaient de la particule à mon nom. Ils me vouvoyaient, levaient le petit doigt en me tendant l’ébrancheur, riaient entre eux. Ils étaient fils de paysans, d’horticulteurs, ils avaient les mêmes références, le dos et les mains larges, ils allaient vite. Un jour, j’ai failli me faire un copain, Aurélien, l’aîné d’un maraîcher « fierté d’Occitanie » avec ses laitues et ses chicorées à perte de vue. Avec lui, j’ai recommencé à parler, mais souvent il m’interrompait, fronçant les sourcils comme pris d’un mal de crâne : « Attends, parle plus simplement, là. » Il trouvait mes phrases trop longues, alambiquées. J’ai essayé de raccourcir, de simplifier, peut-être que j’étais trop excité par cette nouvelle vie, par l’existence d’un possible nouvel ami, que je parlais trop, et trop vite. J’ai essayé. De fermer ma bouche, d’y mettre un mot sur deux, mais Aurélien s’est lassé, il est retourné rire avec les autres. Pour eux, j’étais un gosse de riche qui n’était pas à sa place et convoitait la leur.

On m’a enseigné à nourrir la terre, et au printemps j’y ai planté ma particule. Elle est devenue noisetier, rosier, agapanthe. La nuque brûlée, j’ai appris à la protéger des charançons en été, je l’ai bouturée en automne et vendue sous le soleil blanc de l’hiver, les lèvres gercées par l’autan.
Lors d’un stage à la Jardinerie Toulousaine, je me suis intéressé aux allées et venues de Vincent, le responsable des achats. Tapi derrière les lauriers en fleur, j’écoutais ses conversations, précises, j’étudiais son allure, rapide, nette entre les sacs d’engrais et les rangées de citronniers. Les mains dans la terre par moins dix degrés et les pieds dans des chaussures de ville, il devinait la santé d’un cèdre à la nuance du bleu de ses aiguilles. Ses achats de tulipes perroquets, groseilliers à maquereau et bougainvilliers donnaient leurs couleurs de saison aux rayons de la pépinière. Je regrettais ses départs, j’attendais ses retours. Devenir pousse-brouette, je ne le voulais pas, alors à condition que j’excelle, Vincent a accepté de m’apprendre son métier. Pour lui, j’ai obtenu mon CAP, intégré un BTS action commerciale. Mais de retour aux études, je dérivais encore comme un bois flotté. J’ai quitté l’école sans passer mon diplôme.
J’avais davantage de notions commerciales qu’un pépiniériste et connaissais mieux les arbres que n’importe quel commercial, je devais bien pouvoir trouver un travail. Pourtant, devant les dirigeants cravatés, ma vue se brouillait, mon savoir disparaissait. Dans mon esprit, le temps suspendait sa course tel un cerf dans les phares d’une voiture, on me parlait framboisier, je répondais cassis.
Entre deux entretiens ratés, mon frère m’hébergeait à Paris. Lui avait bien réussi déjà, il commençait à ressembler à ces hommes devant lesquels j’échouais, le costume bleu, perpendiculaire au bureau. Distraitement, j’écoutais ses conseils, puis repartais dans les rues admirer les cariatides haussmanniennes.

C’est ainsi que je l’ai découverte, dissimulée entre le jardin du Palais-Royal, la Comédie-Française et la place des Victoires : la petite boutique de l’orchidéiste. Un secret qui abrite quelques pépites, comme tombées d’une météorite dans un estuaire.
Je marchais depuis Les Halles, avec, à la main, des baskets soldées dans un sac Foot Locker, quand ils m’ont arrêté. Trois Brassias d’un mètre chacune dans une vitrine sombre, leurs fleurs blanches édifiées telles des architectures. Les arcs gothiques de la cathédrale de Metz en miniature. J’aurais pu saisir entre deux doigts ses voûtes du XIVe siècle, élancées pour toujours à quarante-deux mètres du sol, et quoi de plus solide, quoi de plus éternel qu’une voûte ? Avec un pistil en guise de clé pour envoyer ses forces aux extrémités des pétales, et grâce auquel tout l’édifice se tient. Des araignées d’ivoire au galop sur leurs hampes, douées de volonté, d’instinct ou de désir et dont je n’arrivais pas à détacher le regard.

Moi, je peux comprendre l’environnement d’un arbre, sa place entre la terre et les nuages. En touchant le tronc rugueux, j’entends le rythme de sa respiration, je visualise son biotope, la danse des diptères sous l’écorce. De l’orchidée je ne savais rien, rien de ses trente mille espèces suspendues à la canopée d’Amazonie, aux falaises des plages noires d’Islande et à toutes les caisses des Leroy Merlin.
Leur légion, déployée partout sur la planète sauf aux pôles, m’intéressait peu, je trouvais même l’orchidée obscène avec sa gueule de sexe béant maquillé comme un camion volé, plus racoleuse qu’un masque de carnaval, l’air embaumée tant sa floraison paraît immuable. Pourtant j’ai poussé cette porte, et l’orchidéiste a planté ses yeux sauge dans les miens. Tout autour de moi, dans son parfum vert et moite, cette inconnue avec qui j’allais passer les prochaines années de ma vie affichait ses colifichets de séductrice, ailes de soie mouchetée, vulves orange comme des cris ou tendres comme le poitrail du colibri, feuilles en sucre d’orge et bulbes doux comme des malléoles.

Cinq ans plus tard, l’orchidéiste m’a tendu la clé du magasin, le regard confiant, et ce matin-là c’est moi qui ai ouvert la grille. J’en avais appris assez sur les orchidées et sur nos acheteurs pour la reprendre, j’étais maintenant chez moi.
C’était il y a dix ans, mais je me souviens encore du poids de la clé dans ma paume. Quand il a fallu faire peindre mon nom sur la devanture et recouvrir celui de l’ancien propriétaire, j’ai supprimé ma particule. Sylvain Dubois a remplacé Sylvain du Bois des Aulnays. Il ne faut jamais avoir l’air aussi riche que les riches quand on veut leur vendre quelque chose.

HÉRITAGE
Ces derniers temps, il y a, dans ma tête, comme de la neige à la télé. Mon programme déraille. Les clients rentrent de vacances d’été, de pays que je n’ai jamais visités et dont certaines de mes fleurs sont originaires. Ils me disent qu’il fait aussi chaud ici que là-bas. Hier, l’un d’eux m’a posé une question des plus banale et je n’ai pas su lui répondre. C’est épuisant de travailler avec le vivant. Bientôt, il faudra que j’arrête.

« Ne laissez pas le cache-pot quand vous arrosez, sinon l’eau stagne et les racines pourrissent. »
« Pour arroser ? Rien de plus simple, baignez votre orchidée dans l’eau. Comment ? C’est facile, vous remplissez le fond de la baignoire et hop ! Vous déposez l’orchidée dedans. »
« Surtout, rempotez-la quand ses racines commenceront à sortir du pot. Sphaigne, fibres de coco, écorces de pin : chaque orchidée a ses préférences. »
« Oui bien sûr,
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On ne sait pas pourquoi les pieds mères sont capables de générer d’autres orchidées, accrochées à leurs hampes comme des greffons après la floraison. Tantôt, c'est parce que l’orchidée a manqué d’eau, ou au contraire, qu'elle en a trop reçu: stress hydraulique, engrais inadapté, air trop sec. Les pieds mères valent de l'or, et certains connaisseurs les recherchent.
Il y a deux ans, j'en ai repéré un chez Hans, mon producteur hollandais de Bergschenhoek. Un vieux type solitaire qui possède une serre décatie de la taille de mon premier studio à Châtelet-Les Halles. À l’intérieur poussent les plus beaux Cymbidiums d'Europe, une orchidée qui fleurit à l’origine sur les pentes de l'Himalaya jusqu'en Australie. p. 82
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Emmanuelle fatigue. Elle est là, elle est bien là, je le sens, mais elle ne voit plus très bien comment m’aider. Un matin, alors que je traîne des pieds en m’habillant, elle soupire. Et comme je ne l’ai jamais entendue soupirer avant, comme je ne lui ai jamais vu cet air grave, je tremble un peu. Elle soupire encore et me dit doucement : « Trouve quelque chose à faire qui te rende heureux. »
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Pendant mes années de formation auprès de Yannick, j'avais accumulé quatre cents orchidées dans mon trente mètres carré. Chaque semaine, je découvrais une nouvelle variété et je rentrais avec. C'était comme une soif ou une faim, impossible de résister. J'apprenais, j'achetais, je lui demandais conseil, j'expérimentais. Souvent, j'échouais, mais les plantes spectaculaires étaient à moi.
Je pouvais parler de mes possessions, les montrer. Ma valeur était celle de toutes ces fleurs accumulées, chacun pouvait me reconnaître à travers elles, les convoquer en esprit comme une image de moi.
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Peut-être que la mort, quand on la rencontre, creuse un trou sous les pieds des vivants hébétés, et les accompagne ensuite comme une ombre. Une ombre qui, même si elle diminue avec la fréquence de nos rires ou s'élargit selon la taille de la lune, reste là pour toujours. Je m'en étais bien tiré alors, mais on ne sait pas quelle place elle peut reprendre, jusqu'où elle compte s'étendre.
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Dans le cadre du colloque international « Chloé Delaume : une oeuvre intermédiale », la porteuse du projet Eugénie Péron-Douté propose une carte blanche à l'autrice Chloé Delaume qui invite de nouvelles voix à lire des extraits de poésie et de roman. Dans l'esprit de la Petite veillée qu'elle a animée deux ans chez Mona, Chloé Delaume propose de vous faire découvrir de nouvelles voix, émergentes ou débutantes, pratiquant la littérature et la poésie. Se succèderont au micro Léna Ghar, Héloïse Brézillon, Vidya Narine, Théo J. Mayer et Solène Planchais. Chloé Delaume lira pour sa part un extrait de Géométrie du cri de Guillaume Richez, ainsi que quelques poèmes.
Cette soirée sera suivie le lendemain (19 janvier) à 20h de la lecture musicale « Médée avant Médée » par Chloé Delaume accompagnée de Benoist Esté Bouvot – Réservation
Dans le cadre du colloque international « Chloé Delaume : une oeuvre intermédiale » et de la résidence Lilith & Cie.
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