Tout d'abord, je remercie chaleureusement Babelio et les Editions La Fremillerie qui m'ont fait confiance en m'envoyant ce livre contre une critique libre et non rémunérée.
Il faut d'abord commencer par parler de la composition du livre qui peut surprendre. Il y a tout d'abord une note du traducteur, que je trouve personnellement essentielle à la compréhension de l'oeuvre, certains éléments demandent à être appréhender avec le contexte de l'époque pour faire sens. Il y a ensuite une préface, et autant son contenu est lui aussi essentiel, autant il aurait été bien plus judicieux de la mettre en postface vu qu'elle déflore totalement le contenu de l'histoire donc si, comme moi, vous n'aimez pas qu'on vous spoile toute l'histoire lisez là à la fin de votre lecture.
Nous avons donc ensuite trois parties concernant le récit en lui-même :
I. Mise en scène
II. Confidence en contrée insalubre
III. Epilogue
Tordons le cou de suite à l'épilogue qui, comme nous l'apprend la note du traducteur, est une partie ajoutée sur commande pour faire la propagande de la révolution, aucun intérêt pour le récit, il renseigne néanmoins sur un contexte historique particulier. Je l'ai lu mais, effectivement, il nuit au récit qui lui mérite le détour.
Ce récit donc présente deux temporalités différentes. Dans la première partie intitulée « Mise en scène », le lecteur est plongé dans un camp de prisonnier avec deux protagonistes principaux que l'on voit se rapprocher pour lier une ébauche d'amitié. J'ai été frappée par le côté contemporain de cette première partie. Je m'attendais à ce que j'ai trouvé finalement dans la deuxième partie, à une écriture plus ampoulée mais le camp de prisonnier offre définitivement un cadre proche et connu qui, s'il se passe dans une contrée méconnue de beaucoup, permet néanmoins facilement de se dérouler le film sans être perdu ou dépaysé. Les conditions de vie et de travail, les liens avec les gardiens, les amitiés au sein du camp sont passionnantes. C'est un passage que j'ai beaucoup aimé et qui tranche énormément avec le second, nous sommes ici dans la banalité froide d'un camp où chacun cherche à sa façon un peu de réconfort et de chaleur humaine, le contraste entre les deux temporalités met superbement chacune des parties en valeur.
En effet, dans la vie quotidienne de ce camp de déportés, ce prisonnier-là était représentatif d'une classe d'intellectuels passionnés d'action et nourris d'illusions, pour qui la Révolution était devenue une religion et qui gardaient en toutes circonstances un moral inébranlable à l'instar des moines sur la voie de la perfection.
La seconde partie, le récit dans le récit intitulé Confidence en contrée insalubre, présente une histoire surnaturelle teintée d'une horreur poétique mais néanmoins fatale. Dans cette partie, nous avons un trio de protagonistes principaux, un quatuor si l'on personnifie le luth hanté. Linh, nommé ici Lanh Ut, que nous découvrons en deuil de sa défunte femme, Ba Nho, contremaître du domaine et ami du jeune maître en deuil, et enfin, Dame To, une chanteuse renommée qui s'est retirée suite au décès de son époux.
Dans cette partie, le héros est Ba Nho, il est celui qui invite le surnaturel dans l'intrigue et l'affronte dans une danse macabre poétique. J'ai adoré cette partie non seulement parce que ce personnage est touchant au possible mais également parce que tout y est emprunt d'une douceur et d'une mélancolie exotique. C'est un passage définitivement émotionnel qui met l'accent sur le deuil, la souffrance, la dévotion et le désir. le lecteur baigne dans la prose poétique très sensuelle qui met tous les sens en éveil et est bercé par les métaphores du vers à soi et de la musique. Deux champs lexicaux opposés qui se marient pourtant sublimement dans une danse où l'éphémère côtoie l'éternel.
Le côté horrifique de l'histoire est plutôt bien traité, il arrive par touches subtiles puis finit par prendre toute la place pour servir une morale à qui voudrait bien l'entendre. Celle que pleurer ce qu'on a perdu est important mais que ça ne doit pas nous faire oublier ce que l'on a encore. Et en extrapolant un peu, on peut pousser la réflexion plus loin, les morts sont morts et les vivants sont vivants, ces derniers ne doivent pas cesser de vivre pour les morts, la vie est aussi un devoir que l'on se doit et que l'on doit à nos chers disparus.
In fine, la première partie intitulée Mise en scène n'en est vraiment qu'une, une excuse pour plonger dans ce récit mis en abyme qui, lui, est un conte ou une fable fantastique, délicieusement exotique et parfaitement servi par une écriture délicate.
Pour conclure, nous avons ici, une oeuvre qui mérite d'être connue, un conte horrifique vietnamien où la mort danse en mesure sur un luth hanté et où l'auteur rappelle que qu'avoir perdu un trésor précieux ne doit pas nous faire oublier ceux que nous avons encore et que vivre est aussi un hommage aux morts. Une belle découverte que je recommande chaudement.
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