Whaou! Encore une fois en refermant un roman de Norek, mon visage s'est figé sur un sourire ambigu et un "Whaou.." est la seule chose que mon cerveau a visiblement trouvé pour representer tout le bien que j'ai trouvé dans
Territoires.
Sans avoir vu les critiques et notes, j'aurais probablement pensé que ce roman m'avait paru si extraordinaire pour des raisons personnelles, comme le fait que les rouages des institutions tout comme la sociologie participative m'intéressent énormément. Que les esprits les plus directs et en recherche de sensations fortes pourraient y trouver des longueurs ou bien que les amateurs de polar Cluedo ne s'y retrouvent pas.
En fait, et un peu comme dans
Code : 93,
Territoires est un "Roman de Police" avant d'être un "Roman policier". et c'est probablement cet angle d'attaque finalement assez peu banal, qui fonctionne si bien sur moi et visiblement pas que.
Dans
Territoires, comme d'habitude, tout parait très réel. Et humain. Loin de nous le méchant et pervers tueur coursé par les gentils policiers. Ici comme dans la vraie vie, les gens ont un passé, une histoire, des raisons, de faire ce qu'ils font. Des deux cotés de la barrière. Comme le dit plus ou moins un des personnages, rien n'est noir rien n'est blanc, tout est gris.
Et
Olivier Norek est à mes yeux le meilleur expert du Gris que j'ai pu lire.
Les thèmes cette fois ci sont ceux de la gestion policière et surtout politique d'une ville-cité du 93. Emeutes, club de boxe, mairie corrompue, dealers, habitants désabusés, complices ou esclaves, tous les éléments sont la, parfaitement imbriqués les uns dans les autres avec une dose de réalisme si forte que ce qui pourrait paraitre comme de l'exagération et du spectaculaire, tombe simplement sous une certaine logique "grise" qui ouvre les yeux et emmène le lecteur dans des réflexions qui quittent largement le cadre des fictions.
L'écriture d'
Olivier Norek, et en particulièr les dialogues, sont d'une efficacité redoutable à l'incarnation des personnages. Outre ceux que nous connaissions déja de
Code 93 qui ne font que se confirmer dans un intense plaisir de retrouvailles, les nouveaux sont tout aussi bien ficelés. 4 d'entre eux ont particulièrement attiré mon attention :
- La maire, femme de poigne, tendue, carriériste et cynique, est un personnage délicieux. Utilisant ses vices sous couvert d'une bonne volonté délicate à déchiffrer, l'ambiguité de ce personnage et de ses actions n'a d'égal que la précision de son caractère haut en couleur qui m'a paru unique.
- Bibz, le très jeune chef de gang aux contours de psychopathe.
Ce personnage est peut être celui qui m'a paru le moins crédible. Néanmoins, l'ambiguïté qui s'est emparée de moi à sa mort est remarquable. Je dois avouer que je me suis surpris à être comme heureux et soulagé que ce petit connard soit mort, tout en réalisant que c'était un simple enfant à qui la société n'avait fait aucun cadeau et - bien qu'il paraisse cela dit bel et bien avoir un problème mental qui dépasse le triste cadre de sa vie - la dualité qui s'est mise en place dans ma tête sur ce cas est à mon gout une veritable performance de l'auteur.
- Jacques : Un vieil homme devenu nourrice pour les dealers. Jacques est très interessant car il représente à la fois cette population devenue rare qui a vécu si longtemps dans les HLM pour les avoir vu changer et s'assombrir au fil du temps, et à la fois ce lien aussi surprenant qu'inévitable entre les malfrats et les "gens biens" dans certaines zones. La Camorra napolitaine et les ouvrages qui y sont consacrés (comme Gommora évidemment) avaient déja exposé cette étonnante décentralisation du banditisme, et nous voyons dans
Territoires cette dynamique se mettre en place dans sa version française. C'est fascinant.
- Emilie : Quasi insignifiant, ce personnage très secondaire m'a également impressionné tout simplement car j'ai eu l'impression de la connaitre malgré le nombre de lignes très limité auquel elle a droit. C'est tout bête mais ce personnage aussi secondaire que léché illustre pour moi exactement le talent de Norek en la matière.
Je referme donc
Territoires ébahi, me forçant a ne pas entamer instantanément
Surtensions, sa suite. J'avais beaucoup aimé
Code 93 pour les mêmes raisons, mais je trouve
Territoires encore plus abouti.
Je ne sais pas si j'ai un auteur préféré, mais en tout cas s'il fallait en avoir un,
Olivier Norek se rapprocherait du haut du classement à pas de géant à chaque fois qu'un de ses bouquins tombe dans mes mains.