Tout ce que l’on aime devient une fiction. La première des miennes fut le Japon.
Je sais que j’ai besoin d’être sauvée. De quoi? D’un ensemble de choses dont beaucoup me sont inconnues. Si je savais précisément ce qui me menace, je serais sans doute déjà sauvée.
Il en va de la caméra comme d'une tante du troisième âge : on la supporte jusqu'à l'instant où, brusquement, on ne la supporte plus. C'est aussi simple que cela.
"Apocalypse" signifie révélation : il nous est révélé le désastre.
- La mémoire est une aventure bizarre. Nishio-san se rappelle les moindres détails de moi enfant, mais elle ne se rappelle pas Fukushima.
- Il me semble normal de ne retenir que les catastrophes les plus graves.
J'éclate de rire.
L’équipe me rattrape. La voix étranglée par l’émotion, je balbutie :
– Les caniveaux et les égouts n’ont pas changé.
Cette déclaration grandiose ne provoque aucune réaction. L’atonie polie de mes accompagnateurs signifie que j’ai dit une chose dénuée d’intérêt. Et je comprends que le sentiment le plus violent, le plus profond, le plus vrai, éprouvé en cette matinée de pèlerinage, est tout simplement vide de sens.
C’est une loi immuable de l’univers : s’il nous est donné de ressentir une émotion forte et noble, un incident grotesque vient aussitôt la gâcher.
Sur la banquette arrière, il transporte une Occidentale aux yeux écarquillés qui ressemble à un volatile hypertendu et cela ne l'affecte pas le moins du monde.
J'ai connu tant d'adieux que j'en ai le coeur démoli.
Arrive une femme avec un album rempli de photos de classes datant du néolithique. Nous examinons celles datant de 1970-1971. J’ai l’impression de chercher un caillou dans un jardin Zen quand soudain je reconnais une petite fille boudeuse dans un rang d’enfants sages. Je m’écrie :
―Watashi desu !
« C’est moi ! Jamais de ma vie je n’ai prononcé ces mots avec tant d’intensité. Le terme de reconnaissance coïncide avec son autre signification, la gratitude. Voir cette photo me sauve. Je ne savais pas que j’avais tant besoin de cette preuve. Au fil du temps, je m’étais laissé envahir par un sentiment d’irréalité que j’en étais arrivée à croire avoir inventé mon passé nippon.