Citations sur Les combustibles (78)
La formulation habituelle en est : « Quel livre emmèneriez-vous sur une ile déserte ? » Interrogation que j’ai toujours trouvé un peu stupide, car absurde : si le métier de professeur d’université devait offrir en prime, un voyage sur une ile déserte, ça se saurait. Mais posée à l’envers, la question devient essentielle : quels livre auriez-vous le moins de scrupules à détruire ?
On lit pour découvrir une vision du monde.
Au fond de la pièce, une immense bibliothèque surchargée de livres couvre tout le mur. Le reste de la salle frappe par son dénuement : ni tables, ni bureau, ni fauteuil, seulement quelques chaises en bois, et à droite, un énorme poêle en fonte.
LE PROFESSEUR. Je n'aurais jamais cru que vous étiez comme ça.
MARINA. Moi non plus.
LE PROFESSEUR. Quelle satisfaction obscure trouvez-vous à ce petit jeu, Marina ?
MARINA. Je ne sais pas, mais je me comprends. Et vous, Professeur, à quelle fascination obscure allez-vous succomber, quand vos bras se refermeront sur moi ?
LE PROFESSEUR (la prenant dans ses bras, sans serrer fort). Je ne sais pas, et je ne comprends pas.
MARINA. C'est normal : vous n'avez pas encore l'habitude de l'enfer.
Elle le regarde dans les yeux avec un sourire angélique. Elle irradie. Il la serre de plus en plus fort, puis leurs bouches se mesurent. Ils ont l'air terriblement amoureux l'un de l'autre, ce qui rend la scène encore plus horrible.
LE PROFESSEUR. N'importe quoi, c'est moi.
MARINA. Ce peut être vous, pourvu que je vous méprise - et sur ce point, n'ayez aucune crainte. (Sourire angélique.) Mon visage sera celui du plaisir, mon corps s'abandonnera, et vous croirez que vous êtes un bon amant ; mais pour moi vous ne serez rien d'autre qu'une bouillotte. A supposer que vous soyez un bon amant, l'emprise de la chaleur l'emportera tellement sur les autres...sensations (rire frais) que je ne les remarquerai même pas. (Elle éclate d'un rire enfantin, comme si elle venait de trouver une merveilleuse plaisanterie.) Pourquoi reculez-vous, Professeur ? Vous n'avez plus envie de moi ? (Elle a pour lui un sourire tendre.)
LE PROFESSEUR. C'est ça. (Voix haut perchée.) "Monsieur, vous aurez mon corps, vous n'aurez pas mon âme", n'est-ce pas ?
MARINA. Je me fiche de ce que vous aurez. Moi, j'aurai chaud, et c'est ce qui compte. (Elle s'avance vers lui à petit pas.) Il me tarde d'être entre vos bras pour sentir la chaleur de votre corps. Ce n'est pas vous qui abuserez de moi, c'est moi qui abuserait de vous.
LE PROFESSEUR. C'est quoi, la nature humaine ?
MARINA. C'est ce que les hommes font.
[...]
LE PROFESSEUR. Et qu'est-ce que les hommes font, Marina ?
MARINA. Les hommes font la guerre. La guerre est dans la nature humaine.
Votre vie peut être médiocre, puisque la littérature compensera.
L’évêque Remi baptisait Clovis en disant : « Brûle ce que tu as adoré, adore ce que tu as brûlé. » Cette phrase m’a toujours fasciné. Elle est devenue mon emploi du temps.
Éduquer un lecteur ! Comme si on éduquait un lecteur ! Vous n’êtes plus assez jeune pour proférer de pareilles bêtises. Les gens sont les mêmes dans la lecture que dans la vie : égoïstes, avides de plaisir et inéducables. Il n’appartient pas à l’écrivain de se lamenter sur la médiocrité de ses lecteurs mais de les prendre tels qu’ils sont. S’il s’imagine qu’il va pouvoir les changer – s’il peut encore, malgré la guerre, s’imaginer une chose pareille –, eh bien, c’est lui qui est un romantique imbécile, et non celui qui aime lire Blatek.