DANIEL : (…) Nous ne sommes pas en train de parler de la réalité. Que notre vie n’ait pas de valeur artistique, c’est très possible. Raison de plus pour que la littérature en ait une.
LE PROFESSEUR : Ça vous arrange bien, n’est-ce pas ? Votre vie peut être médiocre, puisque la littérature compensera.
(…)
Daniel : On lit pour découvrir une vision du monde.
Que notre vie n'ait pas de valeur artistique, c'est très possible. Raison de plus pour que la littérature en ait une.
LE PROFESSEUR. Éduquer un lecteur ! Comme si on éduquait un lecteur ! Vous n'êtes plus assez jeune pour proférer de pareille bêtises. Les gens sont les mêmes dans la lecture que dans la vie : égoïste, avides de plaisir et inéducables. Il n'appartient pas à l'écrivain de se lamenter sur la médiocrité de ses lecteurs mais de les prendre tels qu'ils sont. S'il s'imagine qu'il va pouvoir les changer - s'il peut encore, malgré la guerre, s'imaginer une chose pareil -, eh bien, c'est lui qui est un romantique imbécile, et non celui qui aime lire Blatek.
Daniel : J'ai l'impression de passer un examen.
Le Professeur : Un examen très spécial ! Un examen d'autodafé ! Je suis votre professeur d'autodafé, mon cher Daniel, j'occupe une chaire d'autodafé à l'université de...
Un livre c'est un Détonateur qui sert à faire réagir les gens
Le Professeur :
... L’évêque Rémi baptisait Clovis en disant : « Brûle ce que tu as adoré, adore ce que tu as brûlé. » Cette phrase m’a toujours fasciné. Elle est devenue mon emploi du temps.
Vous réagissez comme les pauvres, vous placez votre honneur de manière à en être la victime
DANIEL. Il a brûlé tous les livres ! ( Il semble anéanti.)
LE PROFESSEUR. Pas tous : il en reste un - je vous laisse deviner lequel.
MARINA ,( qui court vers le poêle et tombe à genoux devant le professeur) Le ban de l'observatoire !
LE PROFESSEUR. ( Bien vu, mon enfant. J'attendais votre avis pour savoir quel sort lui réserver.
MARINA. Oh, ne le brûlez pas, je vous en prie !
LE PROFESSEUR. Je ne sais pas. C'est un beau livre, mais que peut-il pour nous Marina ?
Marina (douce). ... Je donnerais tout, tout et plus encore, pour une douche fumante.
Le Professeur. "Tout et plus encore" : je me demande bien ce que vous auriez à donner, mon petit. A part les vêtements que vous portez, vous ne possédez rien. Et qui voudrait de vos vêtements ?
Marina (avec un frisson). Je ne me séparerais pas de mes vêtements pour un empire !
Le Professeur. Ca tombe bien. On ne vous en propose pas.
Marina. Pourquoi êtes-vous si dur avec mi, Professeur ?
Le Professeur (qui se lève, va vers elle, lui prend les mains et la fait se relever avec douceur, en gardant ses mains dans les siennes). Je ne suis pas dur avec vous. J'essaie seulement de vous mettre un peu de plomb dans la cervelle.
Marina (avec un sourire). Autour de la ville, je connais beaucoup de Barbares qui pourraient s'en charger.
« Il n’y a aucun argument qui tienne face au désir. »