La vie commence là où commence le regard.
Les abeilles savent, elles, que seul le miel donne aux larves le goût de la vie. Elles ne metteraient pas au monde d’aussi ardentes butineuses en les nourrissant de purée avec des petits carrés de viande.
Je compris que j'étais en train de me noyer. Quand mes yeux sortaient de la mer, je voyais la plage qui me paraissait si loin, mes parents qui siestaient et des gens qui m'observaient sans bouger, fidèles au vieux principe nippon de ne jamais sauver la vie de quiconque, car ce serait le contraindre à une gratitude trop grande pour lui.
Ceux qui, d'une manière ou d'une autre, ont connu la mort de trop près et en sont revenus contiennent leur propre Eurydice : ils savent qu'il y a en eux quelque chose qui se rappelle trop bien la mort et qu'il vaut mieux ne pas la regarder en face. C'est que la mort, comme un terrier, comme une chambre aux rideaux fermés, comme la solitude, est à la fois horrible et tentante : on sent qu'on pourrait y être bien. Il suffirait qu'on se laisse aller pour rejoindre cette hibernation intérieure. Eurydice est si séduisante qu'on a tendance à oublier pourquoi il faut lui résister.
Il le faut, pour cette unique raison que le trajet est le plus souvent un aller simple. Sinon, il ne le faudrait pas.
Si tu parviens à écrire les merveilles de ton paradis dans la matière de ton cerveau, tu transporteras dans ta tête sinon leur réalité miraculeuse, au moins leur puissance.
L'accident mental est une poussière entrée par hasard dans l'huître du cerveau, malgré la protection des coquilles closes de la boîte crânienne. Soudain, la matière tendre qui vit au cœur du crâne est perturbée, affolée, menacée par cette chose étrangère qui s'y est glissée ; l'huître qui végétait en paix déclenche l'alarme et cherche une parade. Elle invente une substance merveilleuse, la nacre, en enrobe l'intruse particule pour se l'incorporer et créer ainsi la perle.
Kashima-san me refusait. Elle me niait. De même qu'il y a l'Antéchrist, elle était l'Antémoi.
Je me pris pour elle d'une pitié profonde. Comme ce devait être sinistre de ne pas m'adorer ! Cela se voyait : Nishio-san et mes autres fidèles rayonnaient de bonheur, car il était bon pour eux de m'aimer.
Et des gens qui m'observaient sans bouger, fidèles au vieux nippon de ne jamais sauver la vie de quiconque, car ce serait la contraindre à une gratitude trop grande pour lui.
On rencontre aussi de superbe idiots qui se glorifient de ne jamais écouter de musique, de ne jamais ouvrir un livre ou de ne jamais aller au cinéma. Il y a aussi ceux qui espèrent susciter l'admiration par leur chasteté absolue. Il faut bien qu'ils en tirent vanité : c'est le seul consentement qu'ils auront dans leur vie.
La mémoire est pareille. Ta grand-mère est morte mais le souvenir de ta grand-mère la rend vivante. Si tu parviens à écrire les mer- veilles de ton paradis dans la matière de ton cerveau, tu transporteras dans ta tête sinon leur réalité miraculeuse, au moins leur puissance.
Désormais, tu ne vivras plus que des sacrés. Les moments qui le mériteront seront revêtus d'un manteau d'hermine et couronnés en la cathédrale de ton cråne. Tes émotions seront tes dynasties,