Japon. 1989. Amélie revient au Japon, son pays bien aimé et dépose une annonce pour donner des cours de français. Rinri y répond, qui sera le frère samouraï de sa vie.
Mon avis
Amélie raconte dans ce roman son amour japonais, il faut croire que ce fut une histoire vraie, et tellement émouvante ! Notons que cette histoire précède "
Stupeur et Tremblements", paru en 1999, dans laquelle elle témoigne de son expérience dans le monde du travail nippon.
"Début janvier 1990, j'entrai dans l'une des sept immenses compagnies nippones qui, sous couleur de business, détenaient le véritable pouvoir japonais. Comme n'importe quel employé, je pensais y travailler une quarantaine d'années. Dans mon traité de stupeur et de tremblements, j'ai raconté pourquoi j'eus peine à y rester jusqu'à la fin de mon contrat d'un an. (p.160)"
Ni d'Eve ni d'Adam est donc une histoire d'amour, ou d'amitié, insolite, presque surréaliste, trop belle et en même temps, frustrante. Personnellement j'aurais dit OUI, plusieurs fois OUI à Rinri!!!!! Pauvre Rinri, abandonné avant le mariage, sans formalités excessives, sans même un véritable "au revoir", et cela m'est insupportable. Pauvre Rinri, il ne méritait pas ce traitement. Enfin, chacun sa vie.
"Me fut épargné cet épisode sinistre entre tous, barbare et mensonger, qui s'appelle la rupture. Sauf en cas de crime ignoble, je ne comprends pas qu'on rompe. Dire à quelqu'un que c'est terminé, c'est laid et faux. Ce n'est jamais terminé. Même quand on ne pense plus à quelqu'un, comment douter de sa présence en soi ? Un être qui a compté compte toujours. (p.179)"
Mettant de côté cette divergence d'opinion considérant la manière d'échapper à une union qui aurait pu être du genre librement consentie, ce livre est un enchantement, pour moi qui aime le Japon. Où l'on apprend qu'il ne faut pas aller au Japon en septembre si l'on est sujet aux piqûres de moustiques, mais en octobre.
"Je recevais l'énorme charge d'amour de cette gent vrombissante avec une résignation qui, le supplice passé, se muait en grâce. le sang me chatouillait de plaisir : il y a une volupté au fond de ce qui lancine. (p.118)"
Où l'on apprend que, bizarrement, les étudiants japonais ne sont pas très assidus pendant leurs études.
"De trois à dix-huit ans, les Japonais étudient comme des possédés. de vingt-cinq ans à la retraite, ils travaillent comme des forcenés. de dix-huit à vingt-cinq ans, ils sont très conscients de vivre une parenthèse unique : il leur est donné de s'épanouir. (p.120)"
Où l'on apprend qu'Amélie adore la montagne, que c'est une très bonne grimpeuse et qu'elle se prend pour Zarathoustra.
Où l'on est obligé de constater qu'
Amélie Nothomb est capable de tout : faire rire, pleurer, amuser, agacer.
"La partie se déroulait entre les trois Nippons, tandis que je digérais en extase et que l'Américaine perdait en criant de colère. Elle bénit ma présence car je jouais encore plus mal qu'elle. Chaque fois que c'était mon tour, je traçais sur le papier quelque chose qui ressemblait à des frites. (p.22, le jeu du Pictionnary)"
Où l'on apprend qu'Amélie et sa soeur Juliette (qui est cuisinière) sont quasi inséparables.
"Notre vie à deux reprit comme avant 1989. Vivre avec sa soeur, c'était bien. La sécurité sociale belge avait officialisé cette union en me donnant le statut authentique de ménagère : sur mes papiers, il était inscrit : "Ménagère de
Juliette Nothomb". (p.178)"
Où l'on apprend à quel point Amélie adore certains mets, et notamment, l'okonomiyaki (omelette aux crevettes, chou et gingembre, arrosé de sauce aux prunes rapportée d'Hiroshima).
Un petit focus sur "le livre dans le livre"
Où il est question d'"
Hiroshima mon amour" de
Marguerite Duras :
- Je n'y suis jamais allé.
- Ça tombe bien. Tu n'as rien vu à Hiroshima, rien.
- Pourquoi dis-tu ça ?
Je lui expliquai que je parodiais un classique du cinéma littéraire français.
- je n'ai pas vu ce film, s'indigna-t-il.
- Tu peux lire le livre.
- Quelle est l'histoire ?
- Je préfère ne pas te raconter et te laisser découvrir.
Et, comme dans le scénario de
M. Duras, l'histoire d'Amélie et de Rinri est celle d'une impossible complicité intime. Quoique l'on en pense, quoiqu'on lise sur Nothomb, tout est vrai. Elle est inégalable, comme le château de Versailles : fastueux, hors du temps, simplissime et sophistiqué, tout cela en même temps. Mais le plus beau, qu'elle garde pour la fin, c'est le coup du samouraï, lorsque les deux anciens amants se retrouvent plusieurs années après leur histoire, lors d'une séance de dédicace absolument renversante et atrocement émouvante. Je n'en dis pas plus. Lisez vite ce petit roman qui passe comme une lettre à la poste.