J'appréhendais un peu de renouer avec
Naomi Novik. Parce que lire ses romans, c'est signer le contrat tacite que l'on accepte de se perdre dans des mondes dont les codes nous sont inconnus. Ses romans sont denses, incroyablement consistants, et pleins de détails lourds de sens. Elle ne dresse jamais de portraits simples, quoiqu'ils recouvrent toujours une certaine évidence.
Avec
La fileuse d'argent, j'ai retrouvé le plaisir complexe que j'avais éprouvé à la lecture de
Déracinée. À nouveau, elle puise dans les contes slaves les idées qui vont fleurir son conte. Cette fois, pas de baba Yaga, mais on fera la connaissance du terrifiant Tchernobog, le dieu des Ténèbres, du peuple Staryk (genre de vampires des neiges), dans une Russie médiévale aux prises avec un éternel hiver.
L'héroïne, Miryem, est la fille d'un prêteur sur gages juif (c'est là qu'on apprend que dans le temps, les juifs étaient les seuls autorisés à prêter de l'argent, quand la chrétienté l'interdisait à ses fidèles). C'est là aussi, que j'ai appris le mot pogrom. Un terme qui désigne les attaques à l'encontre des juifs en Russie. Et c'est pas joli joli tout ça.
J'ai été éblouie par la puissance féminine qui émane de ce récit. Il y a toute une galerie de femmes fortes, qui font preuve d'une résilience à toute épreuve, qui tendent vers l'indépendance, intellectuelle ou financière, et qui pointent régulièrement vers la célébration d'un féminin sacré.
Ce conte initiatique recèle une cruauté qui remue les tripes. Chapitre après chapitre, dans la première moitié de l'histoire, on est témoins de l'objetisation des filles, des femmes, que l'on peut échanger avec son voisin pour un peu de gnôle par exemple.
On se demande vraiment comment les choses pourraient s'arranger pour Miryem, Wanda et Irina. Et c'est là que le récit prend tout son sens. Et son temps !
Par moment c'est peut-être un peu contemplatif, peut-être trop détaillé, mais la richesse des décors, l'attention portée aux détails, permet de déployer un univers d'une richesse incroyable.
J'ai pris beaucoup de temps pour le lire. Pas par ennui, mais parce que comme je le disais plus haut, l'écriture est très dense.
C'est vraiment une auteure que j'aime follement, pour le dépaysement perpétuel qu'elle propose, pour les relations complexes qu'elle tisse entre les personnages, et pour ses conclusions qui sont comme du baume sur les brûlures.