Naomi Novik propose au lecteur une immersion au coeur d'un hiver tenace, ennemi des petites-gens comme des plus aisés, pour les maux qu'il instille : le froid et la faim.
Dans ce monde imaginaire d'inspiration slave, nous suivons les déboires de 3 héroïnes, qui luttent pour leur sécurité ou leur prospérité, mais aussi pour leur indépendance et leur intégrité.
Wanda partage une vie de pauvreté avec ses frères Sergey et Steppon, le peu d'argent amassé étant dilapidé par leur père en boisson. Elle se démène pour nourrir sa famille, et plus que tout redoute les négociations menées par son père pour la marier en échange de quelques cochons ou litres de Sputnik.
Myriem est la fille du prêteur, un homme bon et empathique, qui n'hésite pas à effacer les dettes des plus démunis ou des plus opportunistes. Sa fille a, en revanche, hérité du pragmatisme et du sens des affaires de son grand-père. Elle devient la nouvelle prêteuse, et bientôt circule la rumeur selon laquelle elle serait capable de transformer l'argent en or.
Irina est la fille du duc. L'ambition de son père est de la marier au Tsar, n'hésitant pas, pour cela, à constituer une dot exorbitante.
Trois femmes, trois vies qui s'entremêlent autour de thèmes récurrents et interconnectés :
- la pauvreté / l'argent,
la misère dans laquelle évolue Wanda et ses frères / la recherche fanatique de l'or par les Staryk / la fierté de Myriem d'offrir à sa famille une vie confortable, … offrant des exemples de solidarité
les Mandelstam.
- le commerce, sous toutes ses formes allant du troc à la vente de services, sans oublier la marchandisation de la femme au travers du mariage – arrangé – par le père.
- plus généralement, la notion de contrat (et de dette à rembourser) est omniprésente dans le livre, et se développe bien au-delà du point de vue matérialiste. L'importance capitale accordée à la parole donnée – contrat oral – relève presque parfois d'un lien que l'on pourrait qualifier, suivant les interprétations, de magique ou de cultuel.
La lecture est agréable bien que la mise en place de l'intrigue soit assez lente, et on a parfois l'impression de traverser avec les protagonistes un long hiver dont on ne voit pas le bout.
Le récit est nimbé d'une ambiance fantasy discrète, mais originale
j'ai notamment apprécié l'idée selon laquelle, pour acquérir un pouvoir, il faut réussir l'impossible par trois fois – entraînant un jeu de dupes, incitant le débiteur à jouer sur les mots pour exploiter les failles du contrat. Il n'y a rien de magique dans ce business, mais l'ultimatum, la promesse de conséquences funestes en cas d'échec, combiné à la difficulté de la tâche, créent cette magie .
Le récit cumule une dualité des forces en présence
Famille Staryk VS Démon Tchernobog , non sans un certain manichéisme
les ennemis apparaissant d'ailleurs sous des traits masculins, si ce n'est principalement sous l'étiquette de l'Époux.
Ce choix renforce le côté girl power, nos héroïnes ne manquant, d'ailleurs, ni de ressource ni de tempérament.
Mon avis est assez mitigé concernant la fin du roman.
le récit se focalise sur une lutte éternelle entre le feu et la glace, entre le Démon et les Princes Staryk, au coeur de laquelle s'érige l'Hiver en principal rempart contre les assauts du Mal.
Les femmes se trouvent d'abord prisonnières de ces deux forces terrifiantes, et déploient leur ingéniosité pour sortir de ce traquenard.
J'ai trouvé la fin un peu trop belle, trop simple, au regard de toute cette tension qui était jusque là poignante. Irina parvient à délivrer l'Homme (son époux) de l'emprise du Démon. Myriem met en péril le contrat conclu avec Tchernobog pour sauver le peuple de l'Hiver, et également, son Prince Staryk. Après tant de réussites jugées de prime abord inconcevable, elle gagne l'estime et l'amour de son Epoux, et décide de partager sa vie. Wanda, quant à elle, a trouvé une famille et le confort d'une vie dans laquelle survient le printemps, et avec lui l'abondance des denrées.
Bref, un happy end total, peut-être un peu trop ?, en tout cas qui me paraît en décalage avec les promesses du roman.
En conclusion, une immersion réussie dans un univers original, un récit aux aspects de conte, et malgré quelques lenteurs, une lecture agréable – bien que déçue par la fin.