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Critique de Woland


The Accursed
Traduction : Claude Seban

ISBN : 9782757832271

Le grand Stephen King en est resté "baba" et, croyez-moi, il ne s'agit pas d'une critique de complaisance, bien loin de là. "Maudits" est peut-être d'ailleurs le livre que King rêve d'avoir écrit. On y retrouve une Joyce Carol Oates que l'on n'avait pas vue depuis longtemps aussi en forme, partant d'un thème fantastique (une mystérieuse "malédiction" qui aurait sévi, entre 1905 et 1906, dans la ville de Princeton et ses environs, Princeton dont le Directeur d'Université n'était autre alors que Woodrow Wilson, futur Président des Etats-Unis d'Amérique) pour nous dresser une fois de plus non pas le portrait des Etats-Unis mais, allant bien plus loin, avec une lucidité qu'on ne pourra que saluer avec respect, celui de la dégénérescence d'une société mondiale que le Mal et le Chaos dominent actuellement.

Comment Oates atteint-elle à ce miracle en nous donnant, comme point d'appui, une préface rédigée par le narrateur du roman, lequel fut, à sa naissance mais uniquement par certains "initiés", suspecté d'être un rejeton du Démon en personne (!!), puis en s'étalant à plaisir sur la lutte sournoise qui oppose un Woodrow Wilson dévoré par l'hypocondrie à son rival, le doyen Andrew West (qu'on suspecte de pratiques satanistes) avant de, après une entrevue capitale entre Wilson et son mentor, le Révérend Winslow Slade (dont la famille tout entière va bientôt entrer dans la tourmente de la "malédiction"), déployer tout son art pour nous dépeindre une Amérique à ses débuts mais qui se voit déjà, comme son président de l'époque, le flamboyant Teddy Roosevelt, en futur "gendarme du monde civilisé" ? Oui, comment s'y prend-elle tout en utilisant dans ce roman si inclassable, avec la maestria qu'on lui a connue dans ses plus grandes oeuvres (comme "Blonde" ou "Nous Etions Les Mulvaney" et j'en passe), à peu près tous les genres littéraires connus : du fantastique teinté de gore à une sorte de S. F. qui ne dit pas son nom (Cf. la fin, dont je ne veux rien vous révéler) en passant par la description fortissimo d'une Amérique où se croisent les extraits de journaux intimes et de confidences à demi-mots de femmes "malades" qui révèlent tant sur la sexualité puritaine de l'époque ; les bribes rêveuses de la vie d'un Upton Sinclair qui vient d'écrire "La Jungle" et dont le plus grand rêve est de rencontrer son idole, Jack London (la scène du restaurant, entre Sinclair, le Végétarien utopiste et London, le Carnivore opportuniste, atteint à des sommets où la réalité, le fantastique quasi lovecraftien et le désenchantement sont, pour moi en tout cas, du jamais vu en littérature sauf, peut-être, chez Boulgakov) ; les visions tantôt glauques, tantôt ensoleillées, tantôt irréelles ou franchement décalées d'un Princeton inquiétant puis d'un New-York qui commence à tordre ses tentacule avides dans tous les sens ; les réflexions, toujours présentes chez Oates, sur la Mort et son devenir ainsi que quelques meurtres inexpliqués commis par des notables sur l'un ou l'une de leurs proches ; une quadruple résurrection hallucinante et le non moins hallucinant manteau d'oubli que Princeton finit par jeter autant sur la "malédiction" et ses acteurs que sur la dissolution, dans le vent, dans l'air enfin purifié, de toute cette histoire qui, pour quiconque ne connaît ni le génie, ni l'univers de Joyce Carol Oates, risque de passer pour n'ayant ni queue, ni tête ?

Sous-jacente et précise, la réflexion politique et historique est d'une intensité, d'une amertume et d'une lucidité implacables. L'Homme n'est qu'un homme, nous dit l'auteur, oh ! doué de qualités certes mais qui écoute trop souvent ses défauts. Et c'est pour cela que les USA sont aujourd'hui ce qu'ils sont et, partant, que le monde est ce qu'il est. Pour autant, n'allez pas croire que Oates prenne parti pour une quelconque formation politique. Elle rejette seulement ce qu'elle tient pour injuste et immoral comme le Ku Klux Klan (tout en mentionnant, cependant, que, à ses débuts, le KKK n'avait pas la triste vocation devenue la sienne), l'opportunisme et l'argent qui mettent en place des politiciens qui se laissent vite corrompre et qui, de ce fait, corrompent ce qui les entoure et, ce qui est plus grave, perdent très vite le contrôle de ce qu'ils font, la sexualité et la place, toutes deux soumises, de la femme dans une société le plus souvent patriarcale, les excès que cela annonce déjà en 1905 et qui sévissent actuellement tant en la personne de ceux qui veulent à tout prix "voiler" la femme qu'en celle des "Fémens" et autres pseudo-féministes, les uns et les autres radotant à plaisir et ayant, eux aussi, perdu tout contrôle ...

Oh ! bien sûr, Oates nous jette en pâture un "Malin" (Axson Mayte) qui semble avoir vécu mille vies, possède mille identités et règne sur des Marais dignes d'Arkham, un "Malin" qui joue du sexe et de l'argent mais, très vite, on le perd de vue et l'on raccourcit son nom pour ne plus le désigner que comme le "Mal", ce mal éternel qui, Oates nous le certifie, ne remporte pas, lui non plus, tous les combats, mais qui se relève toujours, prêt à fomenter un nouvel incident, une nouvelle brouille, une nouvelle fâcherie définitive, un nouveau duel, un nouvel assassinat, une nouvelle déception, un nouvelle scission dans un parti qui promettait pourtant d'améliorer le monde, une nouvelle guerre, et une autre encore, et ...

Insaisissable, talentueuse, géniale même, n'ayons pas peur des mots, malicieuse aussi, pleine d'ironie mais tout autant de compassion, dotée d'un sens de l'Histoire particulièrement aigu et affiné, Joyce Carol Oates, qui reste l'un des plus grands écrivains engendrés par les USA (dans mon panthéon personnel, pour la seconde moitié du XXème siècle, elle se place immédiatement après le non moins fabuleuxPhilip Roth) représente à mes yeux une authentique "Citoyenne du Monde" en ce que ce terme présente de plus noble et de plus élevé.

Inutile donc, je crois, de vous préciser que je vous recommande très chaudement ce "Maudits" dont la chute magistrale symbolise une fois encore la méfiance de l'auteur envers la Religion mal comprise et mal appliquée. Toutefois, ce "pavé" de plus de 800 pages impressionnera peut-être les néophytes qui n'ont jamais lu cet auteur. A ceux-là, je conseillerai de commencer par "Délicieuses Pourritures" ou encore par "Hantise", merveilleux recueil de nouvelles de l'auteur, bref, par un texte plus court à moins qu'ils n'osent se risquer dans la vie de Marilyn Monroe, "Blonde, revue et corrigée par Joyce Carol Oates.

Quoi qu'ils fassent, il leur arrivera certainement d'être déçus par tel ou tel ouvrage - Oates se double d'une graphomane, ne l'oublions pas - mais quand ils en découvriront un qui parlera à leur coeur, qu'ils sachent qu'ils ne l'oublieront jamais.

Jamais. ;o)
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