« Un soir où Rachel n'avait pas réussi à trouver le sommeil, il choisit un livre intitulé La Coupe d'or dans la bibliothèque de notre mère et nous fit la lecture à haute voix. À nos oreilles, le style des paragraphes, le sentier labyrinthique que suivaient les phrases avant de s'évaporer, n'était pas sans rappeler celui du Papillon de nuit quand il prononçait ses harangues d'ivrogne. C'était comme si le langage s'était poliment dissocié de son corps. »
Qui est donc ce Papillon de nuit ? Une des présences qui ont marqué à vie le jeune Nathaniel, 14 ans, et sa soeur Rachel, qui en a 16. Comme son titre l'indique ces mois décisifs se passent à Londres, souvent à proximité de la Tamise, à la fin de la seconde guerre mondiale.
Leurs parents ont prétendu devoir partir à Singapour pour des motifs professionnels, laissant leur maison de Ruvigny Gardens, à
Putney, aux mains de quasi inconnus censés surveiller les enfants placés en pension. L'un d'entre eux est donc surnommé le Papillon de nuit, un autre le Dard. Ils ont pour point commun des activités floues et probablement pas très légales. de nombreuses autres personnes gravitent alors autour de cette maison, que Nathaniel et Rachel ont rejoint bien vite, quittant leurs internats pour mener une vie beaucoup plus libre.
Nathaniel cherchera longtemps à retrouver des traces de cette époque car si sa mère, Rose, réapparait quelques mois plus tard dans des circonstances dramatiques, son père ne reviendra pas. Tout ce petit monde avait travaillé ou travaillait encore pour le Foreign Service.
Il y a un côté éminemment modianesque dans le ton de ce très beau roman. L'autre versant se rapproche davantage d'un
John le Carré, en plus nostalgique et tendre. La narration, souvent très lente il faut le reconnaître, avance de manière non linéaire : des évènements restés énigmatiques rejoignent leur explication longtemps après.
Tout se joue sur les caprices de la mémoire, sur le ressenti de mêmes évènements par différentes personnes. Pourtant, seul Nathaniel est le narrateur de cette histoire, allant jusqu'à quasiment se mettre dans la peau des autres quand les faits manquent…
J'ai été convaincu par cette première incursion dans l'oeuvre de
Michael Ondaatje. Et je vais regarder de près sa bibliographie.