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Que demande-t-on à un écrivain ? D'écrire avec ses tripes et de nous remuer, de bouger notre petit confort de lecteur, de nous surprendre, de nous malmener même, bref, de nous marquer.
Tochi Onyebuchi serait donc à ce titre un très grand écrivain puisque son premier roman, en réalité une novella, porte en elle toute sa colère et toute sa rage comme un brasero incandescent, comme une arme brutale qui détonne quand on ne s'y attend pas.
Pourtant, Gilles Dumay nous prévient déjà dans la préface de L'Architecte de la Vengeance. Il nous dit que ce texte a tout de l'uppercut, ce qualificatif souvent galvaudé, et qu'il faudra du contexte au lecteur pour comprendre ce qu'il va se prendre dans la face. Que le lecteur soit noir ou blanc d'ailleurs.
C'est pourquoi la novella s'accompagne de deux articles de Tochi Onyebuchi, ancien juriste en droits civiques américain, d'origine Nigériane et plus précisément Igbo comme une certaine Nnedi Okorafor, autre grande écrivaine de science-fiction et fantasy américaine.
Des articles passionnants et essentiels pour resituer la pensée et l'état d'esprit de son auteur, et qui amènent forcément le lecteur à réfléchir encore et encore sur ce qu'il vient de lire.
Ce qui permet d'en venir au second point important autour de la littérature, de l'écrivain et de tout le reste : la « grande littérature » , celle qui perdure dans le temps, est aussi celle qui fait réfléchir et qui refuse le consensuel.
Alors asseyez-vous, car vous êtes au bon endroit.

Nous étions des enfants…
L'architecte de la Vengeance n'est pas une novella confortable.
C'est un récit de rage, de colère, d'indignation, de révolte où deux frère et soeur retrouve une voix.
Ella est une jeune fille noire qui vit en Californie. Tous les jours, elle est confrontée aux gangs locaux, à la violence, à l'injustice. Elle vit dans un monde que les blancs ne connaissent pas et ne veulent pas connaître, un monde de discriminations et d'injustices, un monde où un gamin de dix ans peut être abattu froidement dans la rue et où des policiers vous font la peau parce qu'il n'aime pas sa couleur. Un monde dans lequel des détenus noirs peuvent être tués par un rodéo « récréatif » sans que personne ne bronche.
Kev, lui, c'est l'enfant de l'Émeute, né pendant le Soulèvement de 1992 suite à l'acquittement des policiers qui ont tabassé Rodney King. Kev n'est pas comme sa soeur, même s'il subit le système aussi. Même s'il finit en taule pour un cambriolage qui tourne mal et parce qu'il n'a simplement pas la thune pour sa caution.
Car Ella a un Don. Elle peut s'infiltrer dans le souvenir des gens et se balader dans leur avenir. Elle peut ressentir les drames et les joies, les ombres et les peines. Mais surtout, Ella pourrait faire bouillir la cervelle des gens ou détruire un pâté de maison si elle le voulait.
Et si, enfin, Ella utilisait son Don pour que l'injustice cesse ?
Comment décrire ce texte autrement que par l'image d'un brasier ?
Celui d'une colère sourde qui grandit de page en page, taillée dans un style acéré qui tranche ses phrases à la serpe et les retaille au scalpel ?
Tochi Onyebuchi n'est pas un adepte des fioritures, son récit va droit où il doit aller, à la mesure de la rage qui habite ses personnages.

Black Live Matters
Le lecteur découvre, ou redécouvre, l'injustice raciale qui règne aux États-Unis. L'architecte de la Vengeance explore les quartiers noirs où les gangs s'entretuent, où la drogue fait des ravages, où les gens vivent dans la misère et l'humiliation. L'humiliation. C'est un mot important celui-ci car dans nombre des réminiscences que va parcourir Ella, c'est l'humiliation qui engendre la rage, la haine, l'envie de vengeance. Ella, continuellement confrontée aux émeutes, aux conditions de vie, au mépris des Noirs, à la vie carcérale, à sa naissance même, Ella va ressentir une colère aussi légitime que brûlante. L'Architecte de la Vengeance, c'est la description d'un système qui ne laisse pas de place au Noir, qui l'envoie à Rikers pour un cambriolage ou un vol de rien, qui le garde sous contrôle et l'humilie constamment.
C'est un roman dur. Un roman qui sait vous prendre les tripes pour les tirer d'un coup, comme lorsqu'Ella explore la souffrance de sa mère lors de son accouchement, un moment de bravoure littéraire qui sonne comme un direct dans le plexus. Et puis il y a chaque histoire, chaque bout de récit croisé de-ci de-là qui s'additionnent et forment quelque chose de monstrueux, le fondement d'un ressentiment, d'une colère, d'une envie de se venger devant ce spectacle innommable.
L'Architecte de la Vengeance voit deux trajectoires et deux « acceptations » de la condition Noire par Ella et par son frère Kev. Lui, plus victime qu'autre chose, et elle, un espoir, mais un espoir qui n'est pas celui, consensuel, que l'on attend dans ce genre de récit. L'histoire de Tochi Onyebuchi n'est pas là pour faire dans la nuance, ici, Le Blanc n'a pas de rédemption, il est, au mieux, pitoyable et très loin de l'image de dominant qu'il veut se donner.
Non, ce roman n'est pas pour la nuance.
C'est à la fois son plus grand et évident défaut…et sa plus brillante qualité.

Justice ou Vengeance ?
En tant qu'objet purement littéraire, L'Architecte de la Vengeance impressionne par la précision de sa plume, sublimement retranscrite en français par la géniale Anne-Sylvie Homassel. Si le récit vire carrément à la dystopie dans ses dernières pages, c'est aussi pour renforcer le sentiment de son auteur derrière, son sentiment que rien, non rien ne s'arrangera…à moins que…
Et c'est ici que L'Architecte de la Vengeance divisera. Car sa solution radicale passe par la révolte et l'annihilation, sa solution c'est d'arrêter les demi-mesures et de ne plus murmurer mais d'hurler. C'est de mettre le feu et de ne plus lever un bras. Pendant de nombreuses pages, on comprend.
Oui, on comprend que confronter de façon sempiternelle à l'injustice et, disons-le carrément, à l'horreur, l'écrivain derrière ce récit n'a plus envie d'être timoré, il a envie d'aller au bout, d'abattre les responsables et de ne pas être là où on l'attend, comme un chantre de l'égalité ou pour l'apaisement entre les Noirs et les Blancs. D'une façon extrême, L'Architecte de la Vengeance, qui porte très bien son titre français, montre qu'à la fin, tout ce qui reste à des gens désespérés et sans cesse humiliés, c'est la vengeance, c'est la violence, ce sont les sauterelles et les ténèbres pour les Blancs.
Alors oui, Tochi Onyebuchi n'a aucune nuance. Ce n'est pas le récit mesuré (et pourtant génial) d'un P. Djèlí Clark dans Ring Shout ou celui d'un Colson Whitehead dans Nickel Boys. C'est celui d'un homme qui a la rage, d'un écrivain en colère et qui n'en peut plus, c'est un exercice cathartique qui va au bout et qui, en un sens fait peur car il montre le résultat de décennies de racisme et de violences policières (ou non). Ce qui est intéressant ici, c'est qu'on peut ne pas du tout adhérer au point de vue de plus en plus radical exprimé par l'auteur, on peut trouver aussi qu'à force de ne plus voir que la violence et la haine, il finit par avoir un prisme complètement déformé de tout ce qu'il lit et ce qu'il vit. Oui. On peut penser tout ça et parvenir tout de même à comprendre qu'on lit quelque chose de grand et d'important qui laisse à réfléchir. Un récit où une héroïne des X-Men décide de prendre sa liberté en se salissant les mains pour qu'enfin tout cela cesse. On pourrait arguer que cela ne fera que transformer la victime en monstre mais ce qui est certain, c'est que cette fois au moins, le monstre a des raisons d'advenir. L'exploit de L'Architecte de la Vengeance, par sa force littéraire et sa force de conviction, c'est de laisser admiratif même quand on est fondamentalement en désaccord avec son idéologie finale.
Parce que c'est un roman de rage et qu'Ella, comme Kev, sont des personnages inoubliables qui ont toutes les raisons de perdre l'espoir dans un monde devenu tout simplement dégueulasse.

L'Architecte de la Vengeance n'est pas une claque comme on le dit souvent.
Non.
L'Architecte de la Vengeance est une série d'uppercuts d'une rare violence qui tapent là où ça fait mal : au coeur. Avec cette plume trempée dans le feu, une plume qui scalpe le récit comme on sculpte un bloc de pierre pour en faire une statue que personne ne pourra ignorer, Tochi Onyebuchi nous secoue, nous émeut, nous transporte, nous fracasse et nous laisse là, à comprendre que tout cela mènera à la vengeance…à défaut d'obtenir justice.
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Roman coup de poing !

Ella, adolescente noire qui vit dans les quartiers déshérités de Los Angeles dans les années 1990, a un Don. Elle voit le destin de certains enfants autour d'elle, y compris le petit garçon qui mourra lors d'une fusillade. Dans une Amérique gangrénée par le racisme, tout son univers tourne autour de la violence, la pauvreté et l'injustice. le danger est omniprésent.

Pendant les émeutes raciales de 1992 naît son petit frère Kev. Rapidement, le don d'Ella évolue, et leur mère s'inquiète. Ella veut protéger son petit frère, Ella voit ses congénères noirs victimes de la violence policière dont les USA sont coutumiers, Ella réconforte Kev quand il est envoyé en prison et le visite d'une manière inhabituelle…

Servie par une écriture âpre et à fleur de peau, l'auteur dissèque cette Amérique où trop de jeunes sont happés par une destinée implacable. L'histoire est prétexte à un cri de douleur et un désir de vengeance ; la touche fantastique crée l'allégorie de la femme à la fois protectrice et prophétesse dans un univers où le sang coule trop facilement, où l'impossibilité de grandir en paix comprime toute une communauté qui aspire à une autre vie.

Le voyage prend aux tripes le lecteur. Quand le style de l'écriture porte autant le message que l'histoire elle-même, on est sans conteste dans de la littérature.

On n'est pas dans la nuance ni la complexité du monde : chez l'auteur, tous les policiers sont des racistes violents, et tous les noirs sont des pauvres vivant dans des quartiers gangrénés par la criminalité. Il s'en dégage une révolte face à des situations que le lecteur au courant de l'actualité sait être trop fréquentes dans les USA, encore aujourd'hui.

L'auteur, un ancien juriste spécialisé dans les droits civiques, se sert de sa plume pour dénoncer une société américaine qui enferme les noirs des quartiers pauvres : même ceux qui ne sont pas en prison ne jouissent pas réellement de libertés. Les articles joints au récit confirment une vision sombre de la société raciale — du moins aux États-Unis — et un fort sentiment d'injustice allant jusqu'à une argumentation approchant certaines notions du racisme systémique. Vous êtes prévenus !

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Laquan McDonald, Michael Brown, Eric Garner, Breonna Taylor, George Floyd, Walter Scott, Tamir Rice, Philando Castille. Qu'ont en commun ces noms ? Ils appartiennent à des femmes et hommes afro-américains abattus dans des circonstances souvent douteuses par la police américaine. Par des policiers blancs. Et cette liste n'est pas exhaustive. Pourquoi commencer cette chronique par une telle liste ? Parce que ces morts et d'autres encore sont au centre du roman (ou novella) de Tochi Onyebuchi, L'Architecte de la vengeance.

Cet ouvrage est différent des précédents de la collection initiée par Gilles Dumay chez Albin Michel. Comme il l'écrit lui-même dans un avant-propos très éclairant, il n'avait pas prévu de publier de textes de ce format, laissant cela à des collections comme UHL chez le Bélial' (dont j'ai parlé récemment, mais pas seulement, à propos de leurs dernières publications : le Serpent de Claire North ou Simulacres martiens d'Eric Brown) . Mais ce texte s'est imposé à lui comme un coup au plexus (« un coup de coeur pour ce texte coup de poing ») et, nous le verrons en suite, c'en est effectivement un. Pour l'enrichir et le rendre plus compréhensible, rendre plus sensible son contexte d'écriture, il lui a adjoint deux articles du même auteur : « Je ne vois pas mention dans votre déposition du fait que vous êtes noir » et « Je n'ai pas de bouche : et pourtant, il me faut hurler ». Articles bourrés de références et écrits de façon parfois elliptique, mais effectivement bienvenus pour accompagner un récit polémique par son message, par ses prises de position.

Cette novella met en scène deux jeunes gens, noirs, Ella et son petit frère Kevin. Ce dernier est né en pleine émeute suite à l'acquittement d'officiers de police blancs accusés d'avoir passé à tabac un automobiliste noir américain, Rodney King. Un cas de plus. On va les suivre tous les deux, et un peu leur mère, pendant leur enfance et, surtout, leur entrée dans l'âge adulte. Mais la narration n'est aucunement linéaire. Tout va fonctionner par retours en arrière plus ou moins intuitifs, plus ou moins expliqués. L'Architecte de la vengeance n'est pas un texte qui s'offre sans une légère résistance : il se mérite. le style, autant en dire un rapide mot tout de suite, est sec et ne s'embarrasse pas de fioritures. On va à l'essentiel. Et l'essentiel, c'est la violence et la haine qui hantent cette société et, par conséquent, ces pages.

Car dans cette novella, on est loin des clichés douceâtres offerts autrefois (et encore parfois) par les soaps. L'extérieur est dangereux : les policiers, aidés par de nouvelles technologies, surveillent et répriment avec sévérité et violence, sans vraiment se soucier de justice. Les interpellations sont musclées, injustifiées, fréquentes. Les affrontements entre policiers blancs et jeunes noirs, pas présentés sous leur meilleur jour (branleurs qui traînent dans les rues et se droguent en permanence), sont quotidiens. Difficile de marcher dans les rues sans risquer d'être pris dans l'un d'eux. Si l'on est noir de peau, dommage ! C'est le même décor que dans la nouvelle du même auteur récemment paru en version numérique gratuite aux mêmes éditions : « Dommages et intérêts » (https://lenocherdeslivres.wordpress.com/2022/03/19/dommages-et-interets-tochi-onyebuchi/). Et l'on retrouve la même ambiance délétère à l'intérieur de son appartement : les bruits et donc, la violence sont permanents. On ne peut s'extraire de ce climat malsain et anxiogène qui est là tout le temps et partout. Résultat, au moindre faux pas, c'est la faute et la prison. C'est ce qui arrive à Kevin, surnommé Kev. Il a fini par « choisir » les bandes et se retrouve derrière les barreaux.

Et on va l'y suivre, y découvrir son quotidien. Mais pas en versant dans le misérabilisme, ni dans la description précise et millimétrée de ses gestes, de ses souffrances, de ses doutes. Avec le même système que pour le reste : par touches qui se suivent de façon plus ou moins directe. Avec pour principal fil directeur Ella, sa soeur. Car Ella a un Don : depuis qu'elle est jeune, elle s'est aperçue qu'elle pouvait agir sur la matière, sur ce qui l'entoure. Elle est capable de créer des boules de glace, de feu. Elle peut s'immiscer dans les pensées et même lire l'avenir de chacun. Elle peut se déplacer instantanément de l'autre coté de la Terre. Enfin, tout cela lui a pris du temps : temps de prendre conscience de son Don, temps d'entraînement et de découverte de la pluralité de ses capacités. Or, elle supporte de moins en moins ce qu'elle voit. Surtout quand elle découvre le passé de sa famille, cruel et injuste, traitement fréquent de Noirs par des Blancs dans cette société gangrenée par la haine et la peur. Mais avec ses pouvoirs, cette colère qui naît en elle n'est-elle pas dangereuse ?

Et c'est là que réside le problème pour certains lecteurs. Cette novella explique, sans pour autant la justifier, la colère et, à sa suite, le désir de vengeance. Car quand on subit ce genre de traitements une fois, deux fois, cent fois, que l'on voit autour de soi que rien ne change ou alors si lentement, comment ne pas avoir envie de se venger, de tout casser ? Alors attention, je ne suis pas en train de cautionner les actes de violence. Mais soyons clairs, je suis un homme blanc inséré dans une société « faite pour lui ». Et donc, malgré toutes mes lectures, toute mon empathie, je ne peux réellement comprendre, ressentir ce que ressentent les personnes qui subissent ces situations. Je ne peux, par conséquent, pas dire, toujours, de rester calme à des gens qui vivent cela. Facile de parler de modération quand on ne subit pas ces agressions dans ses tripes, dans sa chair. La violence infiniment présente dans L'architecte de la vengeance est compréhensible. Pas souhaitable, pas facilement entendable, mais compréhensible. le « Bien fait ! » est lui aussi compréhensible, même s'il est puéril, malvenu ou tout ce que l'on veut. N'empêche qu'à la lecture de cette novella, cette violence, on la ressent à fond, on la prend en pleine gueule et, qu'on soit noir ou blanc, on n'en ressort pas indemne. On y est et on veut réagir aussi. C'est la force de ce texte.

L'Architecte de la vengeance est un cri, un hurlement à la face de tous ceux qui acceptent le monde tel qu'il est. Une paire de claques à ceux qui se sont endormis alors que les horreurs et les injustices continuent à pleuvoir. Un coup de boule à ceux qui, au nom d'un ordre défaillant, réclament des sanctions toujours plus fortes pour les personnes osant se plaindre. C'est un livre salutaire parce qu'il force à réfléchir et à se poser des questions sur des acquis. À ouvrir des yeux trop souvent baissés.
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D'ordinaire plutôt habitué à s'adresser à un jeune public, Tochi Onyebuchi se lance dans la littérature pour adulte avec un roman coup de poing qui retranscrit durement la violence subie par les populations noires aux États-Unis. L'ouvrage est court (cent cinquante pages) et est suivi de deux articles écrits par l'auteur sur le même sujet : « Je ne vois pas mention dans votre déposition du fait que vous êtes noir » et « Je n'ai pas de bouche : et pourtant il me faut hurler ». Paru quelques mois seulement après le meurtre de Georges Floyd et l'amplification du mouvement Black Lives Matter qui a suivi, le roman traite d'un sujet brûlant d'actualité dont il nous expose sans pincettes la brutalité. Les péripéties qui rythment l'histoire racontée ici par Toni Onyebuchi s'apparentent en effet pour le lecteur à une succession d'uppercuts, que chacun encaissera plus ou moins aisément en fonction de sa sensibilité mais qui n'en laisse pas moins quelque peu sonné une fois la dernière page tournée. le roman met en scène une petite fille, Ella, qui comprend peu à peu qu'elle possède la capacité de voir ce que l'avenir réserve à ceux qui l'entourent. Or, dans un quartier populaire presque exclusivement peuplé de personnes racisées, inutile de préciser que les visions de notre héroïne sont généralement plus tragiques qu'enthousiastes. Très tôt, la jeune fille réalise que le destin des garçons de ces quartiers est tout tracé, les condamnant presque systématiquement à périr dans un règlement de compte entre bandes rivales, ou bien sous les balles ou les coups de la police, et ce en toute impunité. Alors quand sa mère accouche de son petit frère en plein pendant les émeutes de 1992, déclenchées suite à acquittement des policiers impliqués dans l'arrestation particulièrement brutale de Rodney King, Ella entend tout faire pour le protéger, quitte à se laisser ronger par ce curieux pouvoir qui l'habite et qui se révèle bien plus vaste que prévu.

Compte tenu de la dureté du sujet abordé, c'est sans surprise que le roman se révèle agréable à lire du point de vue de la narration, mais compliqué d'un point de vue émotionnel. La colère est évidemment le sentiment qui prédomine tout au long du récit et celle-ci s'incarne à merveille dans le personnage d'Ella à laquelle on peine à s'attacher en raison de sa froideur mais qui dégage malgré tout une telle force qu'on se sent presque magnétiquement attiré par elle. La question des violences policières est abordée de manière frontale et brosse, en filigrane, le portrait d'une Amérique raciste, incapable d'affronter sa propre histoire et de s'interroger sur les dégâts causés par la relégation de sa population noire en marge de la société. Parfaitement au fait à la fois des différents drames qui ont conduit à l'émergence du mouvement Black Lives matter, mais aussi du fonctionnement des institutions états-uniennes en tant qu'ancien juriste spécialiste des droits civiques, l'auteur décrit avec un réalisme glaçant le terrible engrenage dans lequel se retrouve pris le frère de l'héroïne, multipliant pour ce faire les scènes brutales mettant l'accent tour à tour sur la violence exercée par les policiers lors des arrestations, celle subie en prison, et celle, plus insidieuse mais toute aussi marquante, qui suit la sortie. le fantastique occupe une place centrale dans le roman et a une sorte d'effet cathartique, la colère débordante d'Ella et la puissance terrifiante de son pouvoir permettant ainsi au lecteur de ne pas exploser. Les articles qui suivent sont quant à eux passionnants et interrogent la question des races en imaginaire ainsi que la réactions des écrivains noirs à l'heure des émeutes qui enflamment l'Amérique après la mort de chaque afro-américain de la main d'un policier. Loin des lieux communs habituels, l'auteur se livre à une analyse sans concession de la racialisation des inégalités sociaux-économiques et du racisme systémique qui gangrène la société américaine, faisant entendre ainsi un cri de colère légitime et poignant.

« L'architecte de la vengeance » est un roman coup de poing consacré au destin d'une jeune fille et de son frère dans une Amérique dans laquelle les populations noires subissent de plein fouet le racisme de leurs institutions, à commencer par la police. Bien que rude émotionnellement, la lecture n'en est pas moins captivante, entraînant un sentiment proche de ce qu'on pouvait ressentir avec « Vigilance » de Robert Jackson Bennett ou encore « Ring shout » de Phenderson Djeli Clark.
Lien : https://lebibliocosme.fr/202..
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Ella vit en Californie dans un quartier défavorisé, elle est noire et a un don qui lui permet de voir l'avenir des personnes qu'elle croise. Elle sait que les petits garçons de son voisinage appartiendront certainement à des gangs et certains seront tués très jeunes. Son petit frère Kevin nait durant les émeutes de 1992, suite à l'acquittement de policiers blancs qui ont tabassé un Noir. La famille déménage à Harlem, dans un appartement minuscule, dans un quartier où la délinquance est importante. Les deux enfants sont très liés et Ella veut protéger son frère des nombreux dangers qui le guettent. Son don se développe, mais elle ne le maîtrise pas et risque de tuer sa mère, aussi part-elle dans le désert pour le développer sans faire courir de risques à sa famille. Kevin est bon élève, il est ambitieux mais finit par se laisser entraîner dans un braquage qui tourne mal par son meilleur ami.

J'ai eu beaucoup de peine avec ce roman très violent et sans nuance. Il nous parle de la condition des Noirs américains qui vivent des des quartiers délabrés, n'ont pas d'avenir, peuvent être abattus sans raison par la police etc. On les emprisonne pour un oui ou un non, et même lorsqu'ils peuvent sortir en conditionnelle, on continue de les contrôler. Kevin est présenté comme une victime, Ella a un certain pouvoir grâce à son don qui lui permet de voir le passé et l'avenir des gens, mais elle ne rêve que de vengeance. J'ai de la peine avec ce genre de littérature. Finalement la haine des blancs parce qu'ils sont blancs ne fait qu'alimenter les violences raciales aux USA, justifier l'idéologie suprématiste et faire perdurer un cercle vicieux meurtrier sans espoir d'en sortir. Comme l'auteur le souligne, la société américaine s'est construite sur la violence puisque la terre a été volée aux Indiens, mais on dirait qu'elle s'y complaît avec délice. Je ne nie pas les terribles injustices que subissent les minorités dans ce pays, mais je doute que la solution soit celle préconisée par Ella, qui souhaite juste inverser la situation.

Le roman est suivi de deux articles qui précisent le contexte et l'expliquent. le manque de nuance m'a dérangée, tous les Noirs sont des victimes, tous les blancs sont d'infâmes salauds (les flics ou les gardiens de prison) ou des minables (les turfistes). Sinon j'ai apprécié le côté fantastique et les pouvoirs d'Ella qui structurent le récit. Elle se donnera les moyens d'en faire quelque chose de positif, du moins de son point de vue.

Le style est à l'image du récit, sans fioriture. La narration n'est pas très construite, c'est une suite de scènes et de flashbacks qui laissent la première place au ressenti et à la colère de l'auteur, c'est cohérent avec le message. Ce roman est avant tout un cri de rage devant les injustices subies par la communauté noire. Je peux évidemment l'entendre et le comprendre, mais la solution me heurte : Est ce que la vengeance désirée ne va pas seulement engendrer encore plus de haine, de violences et d'injustices ? Pour moi la lutte contre le racisme ne consiste pas à remplacer une sorte de discrimination par une autre mais plutôt d'essayer de construire une société diverse, apaisée et tolérante, mais certains considèrent ce point de vue comme de la naïveté. Merci à Netgalley et Audiolib pour cette découverte.

#LArchitectedelavengeance #NetGalleyFrance !
Lien : https://patpolar.com/
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Ella a le don de prédire l'avenir et de lire les souvenirs dans l'esprit des gens et les lieux. Son frère Kevin, nait pendant les émeutes suite à l'affaire Rodney King.
J'ai eu beaucoup de mal à arriver à la fin de mon écoute de ce roman pourtant assez court. Si le sous-texte est fort et important, l'histoire en elle-même présente peu d'intérêt. On oscille avec Ella d'un évènement à un autre, on la suit dans son exploration de la condition de la minorité noire aux USA, passant d'une violence à une autre, sans contexte ni explication, si l'on se révolte facilement contre cette accumulation de "preuves", la narration, trop onirique, peine à passionner. Je sais que certains ont adoré, mais moi, j'ai besoin qu'on me raconte une histoire avec des personnages auxquels je peux m'attacher et ce n'est clairement pas le cas ici. J'ai eu un peu d'espoir à partir de la libération sous caution de Kevin, puisque l'auteur développe (enfin !) une dimension dystopique à son récit, mais, las, ce pan n'est pas vraiment exploité.
Quant aux articles ajoutés en fin de lire, ils sont intéressants, mais là encore, le résultat est redondant par rapport aux thématiques du roman.
J'ai cependant vraiment apprécié le lecteur de ce roman, Charles Morillon, qui apporte une vraie interprétation aux personnages.
Au final, L'Architecte de la vengeance est un roman aux thématiques fortes, mais à la narration brouillonne et redondante.
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Tochi Onyebuchi est un ancien juriste en droits civique américain, d'origine Nigériane.

" Voilà le roman d'un homme en colère, mais aussi l'oeuvre d'un homme qui a longtemps étudié le droit et à minutieusement observé la société dans laquelle il vit." Gilles Dumey 

Cette nouvelle a été remarquée et encensée…c'est mérité. Elle m'a percutée… Ce texte va me marquer longtemps. 

Aux États-Unis, dans les quartiers, là où la violence envahit les êtres tout entiers. Ella déteste avoir à se cacher dans le placard chaque fois qu'il y a du gang dans l'air.

Heureusement que sa Mamie qui n'est pas vraiment la sienne veille sur elle. 

L'histoire débute lorsque Ella, aux cheveux gris, a une petite dizaine d'années. Toute petite, elle se rend compte qu'elle peut plonger dans les profondeurs de n'importe quel esprit, comprendre ce qui inquiète les gens, ce dont ils ont besoin…un vertige, un saignement de nez, l'impression de grondement dans les alentours, une crise.

Le bébé de LaTonya se fera tuer dans une ruelle quand il sera plus grand, Kaylen travaillera plus tard dans un hôpital.

 Elle se rend compte qu'elle peut même les manipuler.

Faire voler les objets, exploser la tête des rats. À l'âge de l'innocence, elle comprend ce qui est arrivé à Rodney King, et tout le monde regarde la vidéo où il est battu par la police.

Ella a un petit frère Kevin, qui est né pendant une émeute suite à l'acquittement des policiers qui avaient passé à tabac Rodney King, il va se passer quelque chose d'affreux… Ella le sait.

Pendant quelques années, elle disparaît, un départ nécessaire pour découvrir son Don, là où elle ne fera de mal à personne.

Visite son frère en taule à plusieurs reprises, sa haine légitime ne cesse de grandir. 

Ella n'en peut plus de la guerre des gangs, les inégalités entre les blancs et les noirs, l'univers carcéral, la haine, l'injustice, la discrimination, le racisme.

Son don pourra-t-il sauver l'Amérique ou son frère Kevin ?

Cette nouvelle est suivie de deux articles écrits par l'auteur :
"Je ne vois pas la mention sur votre déposition du fait que vous êtes noir "et " Je n'ai pas de bouche et pourtant il me faut hurler '"

Quelle lecture captivante, j'ai lu presque d'une traite ce livre malgré sa charge émotionnelle très haute et sa dureté a chaque page, il y a beaucoup d'âpreté dans cette nouvelle, c'est un livre jusqu'au boutiste, duquel jaillit la colère, le besoin de vengeance, de réparation… car la compréhension n'est jamais arrivée. Tochi nous parle de la place que les personnes d'origines afro-américaines n'ont pas pu trouver à ce jour, les drames, les discriminations, les bavures policières…

Ne passez pas à côté. 

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Franchement, quelle puissante claque je me suis pris. Le texte est tellement poignant et le fait qu'il soit si bien lu par #charlesmorillon augmente cette impression.

Écouter un roman, ce n'est pas quelque chose dont j'ai l'habitude. C'est assez spécial, mais lorsqu'on prend le tram, qu'on fait la vaisselle, c'est plutôt sympa pour avancer plus rapidement dans ses lectures. Mais j'aime toutefois toucher les pages d'un livre.

Je trouve sympa de pouvoir être à la fois dans la tête d'Ella que celle de son grand frère, Kevin. Mais je trouve que c'était parfois un peu difficile de comprendre qu'on changeait de tête.

Les sentiments des personnages sont extrêmement bien expliqués. La rage qu'ils ont face à l'horreur qu'ils subissent, due au fait qu'ils soient noirs et qu'ils habitent dans un quartier difficile est phénoménale. 

J'ai eu envie d'éclater la tête des policiers au sol moi-même à l'écoute des parcours des personnages. Ce texte ne laisse vraiment aucun point de côté : l'injustice des arrestations, des procès, des détentions. 

Mais c'est aussi l'incompréhension du comportement des blancs qui diffère pour des choses aussi bête qu'une couleur ou qu'un lieu d'habitation. Sans oublier ce qui fourmille autour d'eux : drogue, misère, espoir, entraide, guerre de gangs...
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Kevin est né lors des émeutes qui ont secoué les Etats-Unis en 1992. Sous l'oeil vigilant et protecteur de sa soeur aînée Ella, télékinésique, il va grandir et embrasser un destin pavé de violence. Dans une Amérique policière et persécutrice vis à vis des Noirs, Kevin et Ella pourront-ils échapper aux pièges de ce système pernicieux et survivre ?

Heurté par les décès successifs de Michael Brown, d'Eric Garner et de Laquan McDonald, en 2014, tombés sous les coups de policiers, Tochi Onyebuchi a eu besoin d'extérioriser ces exactions et les émeutes qu'elles ont entraînées. Dès lors les premières idées d'un roman ont commencé à germer dans son esprit, notamment autour de son duo de personnages principaux.

L'Architecte de la Vengeance s'est nourri des failles du système américain qui accorde l'impunité à des représentants de la loi ayant usé d'un excès de violence sur des citoyens entraînant de graves blessures et même la mort. A travers les destins cabossés de Kevin et d'Ella, l'auteur souhaite mettre en exergue les injustices et les persécutions dont peuvent être victimes certains de ses concitoyens dont le seul tort est d'avoir la peau noire. Avec son expérience d'avocat en droit civique, Tochi Onyebuchi nous rappelle la nécessité de faire respecter les droits civiques de chacun afin de maintenir l'égalité entre les hommes.

L'Architecte de la Vengeance est un texte plein de fureur qui nous conte le destin tourmenté d'un garçon en passe de devenir un homme dont l'enfance va être marquée par de mauvaises fréquentations sans pour autant être enrôlé dans le moindre gang grâce à l'omniprésence d'une mère et d'une soeur aimantes. Néanmoins, cela ne va pas l'empêcher d'être arrêté et incarcéré à tort au pénitencier de Rikers et d'y subir de plein fouet la haine policière. Tochi Onyebuchi insère donc son récit dans un contexte politico-social très fort qui suscite émotions et indignation. Les violences policières sont plus que jamais une thématique d'actualité qui revient au coeur des débats. En effet, qu'elles visent des populations pour leur ethnie, leurs oppositions politiques ou leur revendications sociales, la répression est là et semble sans limite. Elle s'installe de plus en plus dans de nombreux pays et est une redoutable arme d'état. D'ailleurs, avec son livre, l'auteur l'a remis au coeur des préoccupations.

Mais L'Architecte de la Vengeance est également un roman dystopique imprégné de notes fantastiques. Celles-ci s'expriment à travers le don que possède Ella car elle est capable de s'immiscer dans l'esprit des autres pour communiquer ou y induire des émotions. Ce court roman est une fiction spéculative qui réserve son lot de surprises jusque dans ses dernières lignes. L'auteur y projette ses hypothèses autour de l'évolution possible de la société qui oscille entre modernité et dérive.

Voici un court roman qui est finalement très foisonnant car il réserve à ses lecteurs une tournure très inattendue. La force de ce texte réside aussi dans le caractère attachant de ses personnages. En effet, ce livre est un huis clos dont l'intrigue se focalise autour d'un duo de personnages, formé par Ella et Kevin. Un choix narratif qui donne un ton intimiste au texte tout en assurant une proximité avec les lecteurs.

Dans ce récit, le frère et la soeur ont deux personnalités bien différentes. Grâce à son don, Ella est une personne très empathique. Véritable éponge émotionnelle, elle se prend les événements qui ont embrasé l'Amérique de plein fouet, et les interprète de manière bien différente. C'est ainsi qu'elle va s'assigner la mission de changer les choses, en commençant par sauver son frère en lui ouvrant les yeux. Etant très jeune au début du livre, elle évolue beaucoup au cours de l'histoire. Or, la maîtrise et la compréhension de son don y est clairement pour quelque chose. Pour son frère, la situation n'est pas la même. Il n'a que peu de prises sur les choses et se laisse souvent entraîner sur la mauvaise pente. Kevin incarne autant force et faiblesse dans le sens qu'il va connaître la malchance d'être accusé à tort mais va ressortir de cette expérience avec un mental renforcé. Peu à peu, il s'engage dans une lutte acharnée pour ne pas être broyé par ce système inique.

A travers ces deux figures, l'auteur nous fait passer par un panel d'émotions fortes où la peur, la colère, la tristesse côtoient l'espoir et l'amour.

L'Architecte de la Vengeance est un récit puissant qui nous tient en haleine par son intrigue sans concession. le propos de Tochi Onyebuchi y est d'une grande finesse et son analyse de la société est ciselée... suite sur Fantasy à la Carte.
Lien : https://fantasyalacarte.blog..
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Certains avis sont difficiles à écrire est c'est clairement le cas ici.
Novella percutante qui suinte la colère, voire la rage, mais aussi une profonde tristesse pour la manière ignoble dont sont traités les noirs américains.

Ces sentiments nous sont transmis via un texte déroutant, qui peut sembler confus voire abscons mais qui n'en est pas moins puissant et parfaitement maitrisé.
La plume est sèche, incisive, et l'auteur, ancien avocat spécialisé dans les droits civiques, nous communique la violence de ses expérience propres, notamment dans les deux articles qui suivent le roman.

Les pouvoirs mystérieux d'Ella permettent de voir au-delà du temps.
Kevin, son petit frère est né pendant les émeutes suite à l'acquittement des quatre policiers ayant agressés (massacré plutôt) Rodney King.
C'est un personnage très attachant et nous tremblons pour lui tout du long.

A lire, à relire, et à étudier afin de saisir les références glissées et toute la quintessence du texte.

Des violences policières au racisme ordinaire, L'Architecte de la vengeance est un uppercut qui nous laisse KO et dégouté par certains aspects de ce monde.
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