Mais quel dommage, quel dommage... (en même temps, j'aurais dû me douter : ce livre est plébiscité par les libraires (femmes) et les bibliothécaire (femmes) !)
Ca commence façon conte de fées à la Perrault, dans la veine « tableau social bien glauque « : une famille au milieu de la forêt (dans un marais de Caroline du Nord) le papa ogre, la maman princesse, les frère et soeurs, et tous qui disparaissent un à un, sans laisser un seul petit caillou blanc, abandonnant la petite dernière seule à survivre dans la nature (bienveillante, elle, et quelque peu Douanier Rousseauscisée)...
De fait, par convention, on accepte les invraisemblances et le côté caricatural des personnages.
Cette belle écriture sent bon la terre et les herbes sauvages, et cette pauvre petite poucettte nous tire une larmichette...
Et puis...on sent doucement venir la chose, la petite grandit, rencontre un prince charmant -Non ! L'auteur ne va pas oser nous faire ça ? Mais si - : patatras (si vous permettez cette expression de jeunes) : on bifurque alors sur une histoire d'amour bien tarte : quand un auteur n'a rien à dire, il écrit une histoire d'amour. Avec toujours la même recette éculée depuis la fameuse collection Arlequin (en fait bien avant quand certains pondaient des "Paul et Virginie" et autres inepties) (en fait bis : déjà au moyen-âge ; bon en fait depuis qu'existe l'écriture et sans doute avant) : la pauvre fille rencontre le prince charmant, ça se complique et à la fin ils finissent ensemble après bien des épreuves (il faut être très con (conne) pour feindre le doute sur ces retrouvailles finales)
Sur le coup, ça ne fonctionne plus : le côté invraisemblable ne passe plus, ça devient infantile, tellement basique, notamment ces méchants qui sont des méchants et les gentils qui sont des gentils.
Exemple de passage torché où l'auteur ne s'embête pas à développer du crédible : le père du prince charmant, qui toute sa vie a eu, comme tout le village, des préjugés sur la fille des marais, subitement , là d'un coup, sans crier gare, se rend compte de son fourvoiement impardonnable : il gare son bateau fissa au port, court comme un dératé vers le tribunal où a lieu le procès et va s'asseoir dans la salle au côté de son fils : tout ça torché en une demi page !
Autre exemple dans ce foisonnement abracadabrantesque : cette pauvre orpheline qui n'a jamais été à l'école, à 20 ans devient auteur de livres scientifiques ("prouesse scientifique et artistique" nous dit l'auteur, peu avare à en faire des tonnes (artistique parce que comme le gentil prince a donné de la peinture à la Causette, celle-ci devient évidement un maître dans la maîtrise de la couleur et du dessin) ! Et puis après, on dirait qu'elle aurait un gros chagrin d'amour, et même qu'un très méchant essaie de la violer, et elle, toute frêle, elle arrive à bagarrer le méchant géant toxique champion de football américain surentraîné en lui mettant un coup de pied dans les roustons (ça, les mémères vont adorer ! Si elles n'avaient pas encore réussi à se glisser dans la peau de la pauvre orpheline, là... peu importe qu'elles sachent (dans leur chair) combien tout cela n'est que fable, une jeune fille qui échappe à un homme en rut !)
Et puis après on dirait qu'elle est accusée de meurtre et mise en prison : parce que l'auteur ne sait pas où aller (où plus certainement pour essayer de ratisser au delà des très majoritaires mémères qui vont adorer mouiller leurs yeux et leur culotte, sans doute une suggestion de l'éditeur, y a pas de petits profits) voilà t'y pas que ça devient une enquête policière !
A ce stade, seule une fin inattendue, surprenante, pouvait encore sauver le roman (car oui, malgré tout ce naufrage, c'est encore possible : la partie "polar" n'est pas mal fichue : si on déchire toute la partie nounouille d'amour, ça peut se lire), mais non.
Certains pourraient alors s'étonner d'un tel succès pour un produit d'une telle naïveté : cela serait ignorer ce qu'est devenue la littérature populaire aujourd'hui : si les collections spéciales pour mémères (du type Arlequin) n'ont plus le vent en poupe, c'est parce que c'est pratiquement toute la production actuelle populaire qui a infusé (imbibée, détrempée) ces logiques d'éditions infantilisantes : la mémère est reine dans l'édition aujourd'hui, elle a tous pouvoirs : en choisissant de plaire à celles qui sont la très grande majorité des lecteurs (lectrices) de la littérature populaire aujourd'hui, on reproduit évidement du produit sans aspérité, sans complexité et sans aucune surprise (la mémère n'aimant pas être malmenée, tel l'enfant au fond de son lit qui aime bien se faire peur tout en sachant qu'à la fin la gentille princesse sortira triomphante)
Malgré ce constat, il n'ya pas là malédiction, certains (très très) rares auteurs arrivent quand même (Dans « le prince des marais » de
Pat Conroy par exemple, malgré là aussi pas mal d'invraisemblances) à créer un intérêt littéraire. Il faut chercher, longtemps, très longtemps.