Assez bizarrement je n'avais jamais entendu parler d'
Hugues Pagan et c'est au fil d'une liste Babelio sur les polars et la guerre d'Algérie que ce roman a retenu mon attention. Je l'ai emprunté en bibliothèque, pensant lire un roman policier ambiance seventies... J'ai basculé dans une autre réalité.
Le carré des indigents n'est effectivement pas à mes yeux un roman policier. Certes il s'agit d'un roman centré sur un policier, héros déjà mis en scène dans d'autres titres. Roman écrit par un ancien policier. Mais c'est bien plus. Une oeuvre littéraire qui dérange et fait bouger son lecteur.
Alors bien sûr il est question d'enquête, de crime et de braquage, du quotidien d'un commissariat, des collusions de pouvoirs dans une petite ville de province. D'un policier inébranlable, mais torturé par son passé, qui met sa rage dans son opiniâtreté à résoudre ses enquêtes. de victimes innocentes, de la banalité du mal, de la lâcheté.
Mais l'auteur utilise des procédés littéraires qui emmènent son lecteur bien au delà du genre policier.
La construction du roman d'abord, n'est pas fondée sur la résolution d'une enquête mais bien sur le nouveau départ du héros, Schneider, qui revient dans sa ville d'origine. Nouveau départ qui est donc un retour en arrière. le roman se clôt douloureusement sur une nouvelle impasse, occasion manquée de saisir un bonheur utopique.
Le véritable sujet du livre, à mes yeux, n'est donc pas l'intrigue policière (il y en a même plusieurs de diverses intensités), mais la solitude existentielle, incarnée par Schneider et à divers degrés par tous les personnages.
Dans cette zone grise de solitude, les personnages regardent passer une vie dont ils sont dépossédés, amputés par la violence, la guerre, l'irréparable. Les vivants sont sans cesse ramenés vers leurs morts dont ils ne peuvent se détacher. Peuvent ils encore vivre ? Ou même seulement survivre ?
L'ambiance du roman est marquée par ce somnambulisme existentiel, lyrique et esthétique, autour duquel gravite un décor volontairement flou. L'action se déroule dans les années 70 mais cela pourrait être n'importe quand. Nous sommes dans une ville indéterminée, normande peut être ? Peu importe. L'essentiel est ailleurs.
Revenu seul à sa case départ, Schneider restera seul. Revenu hanté par son passé, encombré de nouveaux fantômes au fil des pages jusqu'au cruel point final. Seul face au trou noir de la guerre, de l'abus, de la violence, de la haine, face au mystère du Mal.